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La magie dans toute sa splendeur

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

La magie dans toute sa splendeur
Du point de vue des prêteurs, la dette est une véritable aubaine. Elle permet de recycler en crédits à moindre risque les excédents d’épargne, obtenus grâce à la performance de l’économie d’un pays (productivité des salariés et compétitivité des ent

Les autorités monétaires de ce pays se sont alarmées quand, malgré toutes les mesures prises pour encourager le crédit, elles ont constaté à leur grand dam que les Marocains ne s’endettent plus. Ce constat a été suffisant pour lancer un branle-bas de combat, et que Bank-Al-Maghrib organise une réunion de crise, à laquelle elle a convié les banques et le patronat. Le but de ce remue-ménage est de chercher à comprendre pourquoi les Marocains ne veulent plus passer leurs vies à rembourser des dettes, dont les intérêts iront gonfler les profits des banquiers. Tout se passe comme si la doxa économique officielle était que la dette est la solution miracle à tous nos problèmes économiques.

Le pouvoir disciplinaire de la dette

Dans la littérature financière, la dette dans une entreprise a un pouvoir disciplinaire, car elle force les dirigeants à se concentrer sur le profit pour payer le service de celle-ci (principal et intérêts). En endettant une entreprise, les investisseurs feraient d’une pierre plusieurs coups. D’abord, ils font jouer l’effet de levier de la dette, car ils ne seront pas obligés de financer l’intégralité d’un investissement de leurs fonds propres et les prêteurs peuvent trouver des emplois à leurs épargnes, au lieu qu’elles restent improductives de revenus. Ensuite, ils pendent sur le management une épée de Damoclès, constituée par la contrainte des remboursements à échéances fixes auxquels ils astreignent la direction générale. Enfin, ils contraignent les dirigeants à ne pas poursuivre d’autres objectifs personnels que la maximisation du profit. Ces objectifs peuvent être, à titre d’illustration, une course non rentable à la taille ou une diversification hasardeuse. Du point de vue des prêteurs, la dette est une véritable aubaine. Elle permet de recycler en crédits à moindre risque les excédents d’épargne, obtenus grâce à la performance de l’économie d’un pays (productivité des salariés et compétitivité des entreprises). Quand on sait que ces crédits seront ensuite octroyés aux agents économiques grâce auxquels cette amélioration de la productivité a été rendue possible, on comprend mieux le pouvoir magique de la dette et pourquoi les marchés financiers l’aiment tant.

Le tour de passe-passe des marchés financiers

Toutefois, le véritable coup de maître est réalisé par les marchés financiers qui ne jouent que l’intermédiation entre prêteurs et emprunteurs, mais deviennent le vrai centre de pouvoir en faisant d’une pierre un triple coup. Ils réalisent des profits considérables, en marges d’intermédiation, dépassant parfois les gains que réalisent les entrepreneurs qu’ils sont censés financer. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à étudier l’étonnante bonne santé financière des banques quand toute l’économie est dans le marasme.
Ils font supporter les risques sur le capital aux autres agents économiques, qu’ils soient prêteurs ou emprunteurs. Ainsi, quand une banque fait faillite, ce sont les déposants qui perdent tout et les emprunteurs qui se trouvent soudainement privés de financement, ce qui peut les conduire à la faillite ; les actionnaires de la banque auront souvent déjà récupéré leur mise en dividendes. Enfin, les marchés financiers s’adjugent au passage un pouvoir politique considérable sur les débiteurs (cas de la Grèce et même des États-Unis). Aujourd’hui, les agences de notation (organismes qui évaluent par une note la capacité d’un emprunteur à honorer ses dettes) ont plus de pouvoir que les votants. Nicolas Sarkozy n’avait-il pas prévu de perdre les élections, si la France perdait son triple A (la notation élevée sur la capacité d’un débiteur à rembourser ses dettes) ?
Finalement, la France a perdu son triple A et Sarkozy les élections présidentielles.

De l’économie de la dette

La dette permet, en hypothéquant les revenus futurs d’un agent économique (car c’est la garantie de paiement pour le créancier), de l’asservir par la force de la loi. Ainsi, quand on veut contrôler un peuple, on n’a nul besoin de répression et de force. La dette remplit cette tâche à merveille.
De même, quand on veut mettre un pays sous domination étrangère, il suffit de l’endetter et de lui apprendre la facilité d’avoir des capitaux qui ne soient pas issus d’une richesse qu’il a créée.
La spirale de l’endettement peut se produire soit en le poussant à la guerre, soit en l’engageant dans des dépenses pharaoniques sans logique économique de retour sur investissement, mais en veillant à lui démontrer par des études le contraire. Avant, c’était les pays qui utilisaient cette tactique d’expansion économique quand ils jetaient leur dévolu sur plus faible qu’eux. Aujourd’hui, ce sont les marchés financiers qui font ce travail, car eux-mêmes sont obligés de prêter pour recycler les excédents de capitaux dont regorge le monde. Le plus cynique est que quand bien même on sait qu’un pays est insolvable, il y a toujours quelqu’un pour lui prêter. Le jour où il ne pourra plus rembourser, on mettra la main sur ce qu’il a de précieux (privatisation de services publics, augmentation d’impôts, réduction de dépenses sociales, etc.). Le Maroc n’est-il pas tombé sous le joug du protectorat, car il a été incapable de rembourser de lourdes dettes de réparation de guerre et de dépenses ostentatoires ? Plus récemment, ce pays n’a-t-il pas été forcé à entreprendre des réformes douloureuses imposées par les bailleurs de fonds, dans les années 1980, car il a été incapable d’honorer ses engagements ? Notre Chef du gouvernement ne passe-t-il pas plus de temps à justifier ses choix économiques au FMI qu’aux élus ? Le problème de notre élite est qu’elle connaît mal l’histoire et sera donc amenée à reproduire les erreurs du passé. Son autre problème, qui est encore plus sérieux, est qu’elle a la naïveté de penser que l’économie est un ensemble de modèles mathématiques dénués d’arrière-pensées idéologiques et de visées politiques.

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