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Les réels déterminants sont hélas culturels

M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'ESCA.

Les réels déterminants sont hélas culturels
Nous produisons peu et consommons à crédit la production des autres.

Les discours sur le développement (remplacé depuis peu par le concept moins ambitieux d’émergence) ne se focalisent que sur ses déterminants économiques. Or même la croissance, qui n’en est qu’une étape et qui est un concept éminemment économique, ne peut se produire sur une large échelle et de manière permanente sans rupture culturelle. Les élites des pays qui ont amorcé leur décollage ont au préalable réglé les éléments culturels du développement et sont toutes passées par cette case. Au Maroc, nous associons la culture à ses manifestations (festivals, expositions et spectacles), passant malheureusement à côté des vrais débats.

Si la culture puise dans le patrimoine historique d’un pays, elle n’est pas pour autant une fatalité dont on doit subir les effets néfastes passivement. L’enseignement et les médias jouent un grand rôle dans le façonnage de la culture et son orientation dans le sens qui sert les agendas des gouvernants. Aujourd’hui, on fabrique la conscience d’un pays grâce à ces deux éléments (enseignement et médias) comme on produirait n’importe quel bien ou service. Les éléments culturels sur lesquels nous devons agir dans cette phase cruciale de notre évolution sont les suivants :

L’importance des éléments identitaires

L’histoire nous enseigne que les pays qui ont réussi leur décollage économique peuvent être rangés dans deux catégories. La première est celle des pays ayant opté pour des processus révolutionnaires de changement de régimes et de remplacement d’un ordre ancien par un nouvel ordre. Ce fut le cas des pays berceaux de la démocratie libérale, à savoir la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis. La seconde catégorie de pays est celle où le changement s’est opéré dans la continuité, en puisant dans leurs éléments identitaires les ressorts du développement économique, autour des idées de Nation, de passé grandiose à ressusciter et de destin commun à bâtir. Ce fut le cas de pays comme l’Allemagne, le Japon et plus récemment l’Espagne et la Turquie. En fédérant leurs peuples autour de ces idéaux, ils ont fait du développement davantage une nécessité historique et civilisationnelle qu’un simple impératif économique de création de richesses et de leur répartition. Ils ont soudé les populations par des révolutions culturelles puisant dans leurs histoires, leurs religions et leurs langues, les dynamiques nécessaires à leur décollage. Au moment, où nous nous apprêtons à revenir sur l’arabisation, il est utile de rappeler qu’aucun pays ne s’est jamais développé en adoptant la langue d’un autre.

Celle-ci n’est pas qu’un simple outil de création et de transmission du savoir (ce que l’arabe peut largement faire), c’est un facteur qui cimente l’élite et la base dans une société et c’est cette fracture linguistique qui nous coûte annuellement plusieurs points de croissance. On comprendra dans quelques années les raisons pour lesquelles le retour à l’enseignement des matières scientifiques en français ne résoudra pas le problème de la baisse généralisée du niveau qui est expliquée par d’autres facteurs ; et que la décision la plus sage aurait été d’arabiser les études supérieures pour ne pas créer une rupture linguistique mortelle chez les élèves à partir du bac. Les origines de la régression académique sont liées à la baisse du niveau des enseignants et à la gouvernance médiocre des structures académiques et non à la langue d’enseignement. L’arabe est une langue riche et stable et a été la langue des sciences, des arts et de la culture pendant plusieurs siècles. Aujourd’hui, qu’on professe en français, en anglais ou en martien, tant que la qualification et la motivation des enseignants et la mauvaise gestion des établissements d’enseignement n’auront pas été résolues, nous tournerons en rond, en jouant avec l’avenir d’une nouvelle génération.

La place de l’entrepreneur dans la société

La société marocaine valorise d’abord le fonctionnariat, puis le salariat et enfin l’entrepreneuriat. Un jeune Marocain préfère être directeur dans une grande banque que propriétaire d’une très petite entreprise, et il préfèrera aux deux un poste de haut fonctionnaire à Rabat. Et même quand l’entrepreneur réussit, c’est davantage le résultat (succès financier) que valorise notre culture collective que le processus entrepreneurial lui-même qui importe. Or le développement économique suppose une inversion de cette hiérarchie sociale, en mettant l’entrepreneur au centre du dispositif et en lui accordant une attention institutionnelle (formation, financement et accès à l’administration) équivalant au moins à celle que nous consacrons aux athlètes de haut niveau et aux stars, et proportionnelle aux risques qu’il prend pour créer des emplois, produire des biens et services, payer des impôts et rémunérer ses bailleurs de fonds.

La culture de la consommation

Depuis la fin de l’ajustement structurel et la libéralisation du crédit, les Marocains ont appris à vivre au-dessus de leurs moyens grâce à la dette. La frénésie consumériste qui s’est emparée de la société marocaine ces deux dernières décennies a profondément impacté notre culture, désormais centrée sur l’apparat et la jouissance immédiate. Nous sommes de ce fait loin de l’attitude stoïque indispensable aux premiers stades de développement, à savoir une forte production de richesses et leur consommation d’une manière modérée. Bien au contraire, nous produisons peu et consommons à crédit la production des autres. C’est le changement de notre rapport à la production et à la consommation qui constitue l’un des éléments clés du développement.

Le rapport à l’argent

Du fait de cette culture consumériste, notre rapport à l’argent a complètement muté. Le capital est devenu une finalité en soi. L’accumulation sans limites et la concentration de la richesse entre les mains d’une minorité, creusant ainsi les inégalités, sont devenues la marque de fabrique d’un capitalisme triomphant et donc décomplexé. Les milliardaires rivalisent désormais avec les stars dans les classements Forbes et les couvertures des magazines de mode. La création de richesses (savoir-faire) ne suffit plus à se hisser dans la société, c’est leur exhibition (faire-savoir) qui devient le signe suprême de la réussite sociale. Au lieu d’épiloguer sur le nécessaire changement de modèle économique du Maroc, nos responsables seraient bien avisés d’agir sur les vrais leviers. Malheureusement, aucun espoir dans ce sens ne pointe à l’horizon.

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