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Les vestiges de l’archaïsme des méthodes

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Les vestiges de l’archaïsme des méthodes
Les outils budgétaires utilisés remontent aux années 50 du siècle dernier et convenaient à un environnement stable, à une gestion pyramidale des organisations et à une insuffisante intégration et sophistication des systèmes d’information.

Demandez à Jack Welch, le légendaire patron de General Electric, ce qu’il pense de la pratique budgétaire dans les entreprises américaines et vous serez surpris qu’il n’ait pas de mots assez durs pour la qualifier, voire la fustiger. Et pourtant, l’élaboration et l’approbation des budgets sont un temps fort de la vie de l’entreprise et un signe de saine gouvernance. Il s’agit d’un exercice indispensable à toute entreprise moderne et dont l’abandon est juste inimaginable et suscite les pires réactions d’indignation. Ce qui est en cause, ce n’est pas tant le budget que la pratique budgétaire. Comment ?

Une pratique héritée d’un monde disparu

Le dernier trimestre de chaque année est généralement consacré à l’élaboration des budgets. Pendant trois mois, la vie de l’entreprise ralentit et les managers sont occupés à remplir des dizaines de canevas et à les envoyer au contrôle de gestion pour les consolider et établir les états de synthèse prévisionnels, à présenter en conseil d’administration.
C’est dire la solennité du moment. Or un trimestre, c’est 25% du temps annuel d’un manager. L’élaboration des budgets obéit à un formalisme tellement lourd, que sa simple évocation devient traumatisante pour les différents acteurs. On a vu des clients attendre leurs livraisons, des fournisseurs souffrant de retards de paiement, ainsi que des opérations retardées parce que les interlocuteurs sont occupés à préparer les budgets. La complexité et la lenteur du processus budgétaire sont ses principales tares. Les outils budgétaires utilisés remontent aux années 50 du siècle dernier et convenaient à un environnement stable, à une gestion pyramidale des organisations et à une insuffisante intégration et sophistication des systèmes d’information. Autrement dit, à un monde dont on ne garde que des souvenirs et des chapitres dans les cours d’histoire.

Un jeu de dupes

Bien souvent, le budget est réduit à un point à discuter dans l’ordre du jour du conseil d’administration. Pour le dirigeant d’entreprise, c’est une formalité qui ne change rien au fonctionnement de l’entreprise. Tout au mieux, des réunions de suivi budgétaire seront organisées pendant l’année et bien souvent animées par le contrôleur de gestion qui en devient l’acteur central. Il relègue ainsi les managers au rôle d’assistants passifs se contentant de justifier les écarts, au lieu de défendre des stratégies et des plans d’action. Mais, le grand jeu de dupes auquel se livrent les acteurs est la négociation budgétaire. Les dirigeants cherchent à maximiser les objectifs et à minimiser les moyens et les managers à réduire les objectifs et à augmenter les moyens. Chacun cherche à dégager des «bonis» budgétaires. Au final, on aboutit, au mieux, à une cote mal taillée de moyenne des différentes propositions (dans une entreprise démocratisée), au pire, à un budget imposé de haut, ce qui ajoute à la pénibilité de son élaboration, la frustration de son exécution.

Une simple formalité

Les dirigeants oublient que le budget est d’abord un moyen d’organisation de la délégation. Ainsi, à partir du moment où il est validé, le manager peut engager les moyens convenus sans l’autorisation préalable de son supérieur. Celle-ci n’est requise qu’en cas de dépassement, justifié quand les objectifs initiaux sont dépassés et qu’il y a besoin de plus de moyens pour saisir une bonne conjoncture. Ceci étant, l’engagement de dépenses doit se faire dans le cadre d’un système de contrôle interne rigoureux, sécurisant les transactions et évitant les dérapages.
Or, la réalité est toute autre, le budget reste dans les fichiers Excel et l’engagement de moyens nécessite une autorisation a priori, même quand le budget des moyens n’est pas consommé et que les objectifs sont largement atteints.
La signature du responsable se substitue, dès lors, à tous les systèmes de contrôles internes. Les managers ne disposent du pouvoir d’engager des moyens qu’à un niveau très élevé de la hiérarchie.
Parfois, ils doivent attendre d’être
numéros 1 pour pouvoir le faire. L’entreprise devient alors otage de personnes, au lieu d’être organisée autour de systèmes.

Vers de nouvelles pratiques

Beaucoup d’entreprises, sans remettre en cause le principe du budget, en ont simplifié considérablement l’élaboration. Pour elles, l’ère des budgets qui s’étalent sur plusieurs mois est révolue, l’élaboration ne doit pas excéder entre 4 et 6 semaines et doit être focalisée sur quelques indicateurs pertinents (financiers et non financiers), au lieu de tous les états comptables prévisionnels (Chiffre d’affaires prévisionnel, coûts de production, frais généraux, état des investissements, compte de produits et charges, bilan et tableaux de trésorerie). Pour pallier ces lourdeurs, on parle aujourd’hui de «Beyond Budgeting» (BB). En effet, il s’agit plus d’une philosophie de management que d’une technique d’élaboration des budgets. Elle repose plus sur la flexibilité et l’agilité que sur l’exactitude et l’exhaustivité. En libérant l’énergie des collaborateurs du poids d’une bureaucratie lourde et d’un contrôle suffoquant, et leur permet de disposer de plus de temps de réfléchir, de partager, d’apprendre et de s’améliorer, car opérant dans des organisations complexes à l’ère postindustrielle où l’innovation et l’adaptation sont les seules sources d’avantage compétitif durable. Le BB est donc une combinaison de méthodes modernes de management, en vue de l’élaboration des budgets :

• La confection des budgets se fait en utilisant le Balanced ScoreCard (Tableau de bord stratégique) qui permet d’aligner la stratégie au sein de l’entreprise et d’équilibrer entre indicateurs financiers et non financiers.

• Le calcul et le suivi des charges prévisionnels sont fondés sur la méthode Activity Based Costing qui permet une meilleure compréhension de la consommation des ressources et leur allocation aux activités créatrices de valeur.

• L’actualisation est effectuée au moyen de Rolling budgets. Il s’agit de budgets souples produits trimestriellement ou mensuellement, en tant qu’alternative aux budgets annuels. Les actualisations sont flexibles, car ne se basant pas sur des chiffres obsolètes d’une année auparavant et permettent une meilleure représentation de la réalité et bonne allocation des ressources.
Cette flexibilité est indispensable dans un environnement où il est plus important de réaliser la performance, que de dépenser beaucoup de temps et de ressources à la prévoir.

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