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Opération séduction de la Chine

Le sommet du G20 tenu en Chine a été l’occasion pour lancer un nouveau consensus, comme précisé dans la résolution de la déclaration de Hangzhou : «Dans ce contexte (voir résolution 2 et 3), nous, membres du G20, principal forum de coopération économique mondiale, élaborons un scénario global et intégré en faveur d’une croissance forte, durable, équilibrée et solidaire, et adoptons l’ensemble de mesures et d’actions figurant en Annexe, le Consensus de Hangzhou… (Voir encadré 4)», traçant ainsi une nouvelle trajectoire de croissance. La Chine a saisi l’opportunité pour dévoiler la nouvelle orientation de son soft power.

Opération séduction de la Chine

LLes résolutions adoptés lors du sommet du G20 sont bien la preuve qu’à la formule de Bush le père (1991) «What we say goes» (ce que nous disons s’impose aux autres) sera substitué le discours d’Obama (2010) : «Sur certaines questions essentielles, l’Amérique avait agi unilatéralement sans se soucier des intérêts des autres. (…) Ne vous y trompez pas. Les progrès à venir ne peuvent pas seulement dépendre des États-Unis. Ceux qui fustigeaient l’unilatéralisme de l’Amérique ne peuvent pas demeurer sur la rive en attendant que l’Amérique seule règle les problèmes du monde.» La vision américaine change à son tour et s’accommode de la puissance croissante de la Chine, de l’Inde et du Brésil.

Jim O’Neil, responsable de la recherche économique pour Goldman Sachs et spécialiste des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) l’avait bien prédit, il faut compter et construire le monde avec les pays émergents. Une réalité que confirmait l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Vedrine, dans son rapport à Nicolas Sarkozy sur la mondialisation : «Les Occidentaux sont certes encore dominants, mais ils ne représentent qu’environ un milliard d’êtres humains sur les six milliards et demi d’habitants de la planète, proportion appelée à baisser encore avec le “choc démographique”… Les pays émergents émergent pour de bon. Ils ne cherchent pas seulement à entrer de plain-pied dans l’économie globale de marché, mais aussi à retrouver la place géopolitique qui leur revient.» Sans aucun doute, ces pôles de puissance portent une vision de l’architecture internationale qu’ils comptent modifier et la déclaration de Hangzhou tient lieu d’un nouveau consensus qui traduit cette vision. La Chine en a profité pour redorer son blason.

Dès 2013, la Chine n’a pas cessé de multiplier les initiatives pour peser davantage dans l’ordre international. Les 4 et 5 septembre, la Chine a organisé le sommet du G20. Faisant preuve d’un grand sens de la communication, le Président Chinois Xi Jinping a prononcé devant un parterre des plus prestigieux un discours préparé avec minutie. Il a surtout impressionné la planète par le passage sur l’environnement : «les montagnes vertes et l’eau avaient autant de valeur que l’or et l’argent», précisait-il. Quelques jours auparavant, le Parlement chinois avait ratifié l’Accord de Paris sur le climat. Stratégiquement, une telle adhésion devenait cruciale pour changer l’image négative de la Chine. Géopolitiquement, cette déclaration va certainement changer la politique énergétique mondiale en obligeant de nombreux pays à opérer des réorientations vers les énergies renouvelables notamment et plus largement vers des économies moins productrices de carbone.
En ce 21e siècle, les défis que constituent les menaces sur l’environnement planétaire, et notamment le réchauffement climatique et le risque pour l’environnement et la planète représentent une évolution structurelle à prendre en considération, surtout quand on prétend à la position de leader sur l’échiquier mondial. La Chine a bien compris que si elle veut jouer le rôle de leader dans la gouvernance mondiale, elle doit d’urgence se réorganiser et améliorer son image.

Au-delà de cet intérêt géostratégique, l’intérêt géoéconomique est omniprésent. La Chine ne doit pas ignorer que le changement climatique est susceptible de bouleverser les modes de vie, même s’il est difficile de prédire dans quelle mesure, tellement ses conséquences (géographiques, démographiques, sociales, économiques, géopolitiques…) sont nombreuses et intimement liées les unes aux autres. L’impact géopolitique du réchauffement climatique peut paraître surprenant. Potentiellement, des conflits régionaux pourraient naître à partir de disputes sur l’utilisation de ressources naturelles, raréfiées sous l’effet du réchauffement planétaire.
La mise à l’ordre du jour du changement climatique au Conseil de sécurité des Nations unies, en avril 2007, tient de la nature de cette idée. Ces dernières décennies, de nombreux travaux et réunions internationales au plus haut niveau ont fait progresser, dans l’opinion publique, la prise de conscience des risques lourds que porte en germe le réchauffement climatique. Les changements climatiques, au-delà d’aggraver les effets néfastes de la dégradation environnementale, contribuent à l’augmentation de la pauvreté et à la marginalisation et engendrent des conflits violents. Instabilité politique, situation économique difficile, insécurité alimentaire et migrations massives sont citées par l’organisation internationale comme étant des facteurs de risque susceptibles d’engendrer la violence dans les pays en voie de développement. Si aucune mesure n’est prise, la Chine sera contrainte de payer plus pour sécuriser ses sources d’approvisionnement et ses marchés et assistera impuissante à une explosion de ses coûts de production.

Le porte-drapeau du libre-échange perdra alors en compétitivité. Sur un autre plan, la Chine aurait-elle compris l’importance de la séduction qui devient une nouvelle arme pour asseoir son influence sur un territoire donné et conquérir des marchés, allant du niveau régional au niveau mondial ? Dans cet effort, la diplomatie, le commerce, la diffusion des valeurs, l’aide internationale, la protection de l’environnement... ont un rôle aussi important que la puissance économique et militaire.
Désormais, les enjeux climatiques joueront forcément un rôle dans la réorganisation des relations internationales. Il est temps de considérer l’influence de plus en plus grande et perceptible des problématiques climatiques et environnementales au sens large dans le remodelage des rapports de force et dans les dynamiques de compétition.

Les mutations de l’écosystème peuvent contenir des conséquences géopolitiques dont dépendront les alliances, selon le degré de vulnérabilité et selon les enjeux. Le climat est devenu un terrain d’interactions complexes avec les relations internationales : le réchauffement global influe sur les relations entre les États, et celles-ci à leur tour déterminent la coopération internationale sur le sujet. La Chine l’a bien compris ! 

 

La Chine : Un modèle peu respectueux de l'environnement

La Chine est aujourd'hui confrontée à des problèmes environnementaux de grande ampleur en raison du poids conjugué de la croissance économique extensive et de la recherche d'une volonté de rentabilité économique à court terme, de la mauvaise efficacité énergétique de la production, de l'importance du charbon (70% de l'énergie produite) dans son bouquet énergétique, de la rapidité de son urbanisation et des transformations du mode de vie de plus de 1,3 milliard d'individus. La Chine serait ainsi devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre avec près de 25% du total mondial et ses effets sur le pays même sont bien connus. Le pays rencontre des problèmes majeurs dans les domaines de la gestion de l'eau, de l'air, de la déforestation, dans l’élimination des déchets avec des conséquences économiques et sanitaires désastreuses.
Un tiers des fleuves sont fortement pollués. Le Yangzi et le fleuve Jaune charrient près de 10 millions de tonnes de déchets toxiques qui se déversent en mer de Chine et provoquent une contamination à l'origine d'une multiplication des cancers des voies digestives. La qualité de l'air est tout aussi mauvaise, voire très mauvaise, dans les grandes villes avec des phénomènes de smog. Aujourd'hui, sur les 50 villes les plus touchées par la pollution, plus d'un quart, dont Pékin et Shanghai, sont chinoises. La gestion des déchets laisse tout autant à désirer avec près de 600 millions de tonnes de déchets à détruire, dont 15 à 20% sont considérés comme dangereux, mais ne donnent lieu qu'a un enfouissement sommaire. Au bout du compte, le coût économique de la pollution représenterait 8 à 10% du PIB et coûterait 700.000 à 800.000 décès prématurés.

Les résolutions 2, 3, 4 et 5 : contexte et objectifs

1. Nous, chefs d’État et de gouvernement du G20, nous sommes réunis à Hangzhou (Chine) les 4 et 5 septembre 2016.
2. Nous nous sommes réunis à un moment où la reprise économique mondiale s’intensifie, la résilience s’améliore dans certaines économies et de nouvelles sources de croissance voient le jour. Cependant, la croissance reste plus faible qu’il ne le faudrait. Des risques baissiers subsistent en raison de la volatilité potentielle sur les marchés financiers, des fluctuations des prix des matières premières, du ralentissement du commerce et de l’investissement, de la faiblesse de la productivité et de la morosité de la situation de l’emploi dans certains pays. De nouveaux défis, découlant des reconfigurations géopolitiques, de l’augmentation des flux de réfugiés, ainsi que du terrorisme et des conflits, compliquent les perspectives économiques mondiales.
3. Nous nous sommes aussi réunis dans un contexte marqué par de constants bouleversements et des transformations profondes dans la situation économique mondiale et les dynamiques de croissance. Ces transformations s’accompagnent de défis et d’incertitudes, mais elles ouvrent aussi de nouvelles possibilités. Les choix que nous ferons ensemble détermineront l’efficacité de notre réponse aux défis actuels et contribueront à façonner l’économie mondiale de demain.
4. Nous sommes convaincus qu’un partenariat plus étroit et une action conjointe des membres du G20 renforceront la confiance dans la croissance économique mondiale, stimuleront ses moteurs et intensifieront notre coopération, contribuant ainsi à une prospérité partagée et au bien-être du monde.
5. Nous sommes déterminés à promouvoir une économie mondiale innovante, revigorée, interconnectée et solidaire, pour inaugurer une nouvelle ère de croissance mondiale et de développement durable, en tenant compte du Programme de développement durable à l’horizon 2030, du Programme d’action d’Addis-Abeba et de l’Accord de Paris.

La résolution 6 de la déclaration de Hangzhou : le Consensus

Dans ce contexte, nous, membres du G20, principal forum de coopération économique mondiale, élaborons un scénario global et intégré en faveur d’une croissance forte, durable, équilibrée et solidaire, et adoptons l’ensemble de mesures et d’actions figurant en Annexe, le Consensus de Hangzhou, sur la base de ce qui suit :
4 Vision. Nous renforcerons la stratégie de croissance du G20 de manière à stimuler les nouveaux moteurs de croissance, ouvrir de nouveaux horizons de croissance, amorcer une transformation plus durable et innovante de nos économies, et mieux refléter les intérêts communs des générations présentes et futures.
4 Intégration. Nous formulerons des politiques et des plans de croissance innovants, en créant une synergie entre les politiques budgétaires, monétaires et structurelles, en renforçant la cohérence entre les politiques économiques, sociales, du travail et de l’emploi, et en associant la gestion de la demande aux réformes de l’offre, les mesures de court terme aux politiques de moyen et long terme, et la croissance économique au développement social et à la protection de l’environnement.
4 Ouverture. Nous poursuivrons nos efforts pour bâtir une économie mondiale ouverte, rejetterons le protectionnisme et promouvrons le commerce et l’investissement mondiaux, notamment en renforçant le système commercial multilatéral. Nous garantirons un soutien public de grande ampleur favorisant l’expansion de la croissance dans une économie mondialisée et de plus grandes opportunités dérivant de cette croissance.
4 Participation de tous. Nous nous efforcerons de garantir que notre croissance économique réponde aux besoins de tous et qu’elle soit bénéfique à tous les pays et à chacun, en particulier les femmes, les jeunes et les catégories défavorisées, en créant davantage d’emplois de qualité, en agissant sur les inégalités et en éradiquant la pauvreté pour que nul ne soit laissé pour compte.

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Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.



 


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