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Peut-on venir à bout du fléau du terrorisme ?

Le mois de janvier sera-t-il le plus sanglant de l’année 2016 ? 227 morts uniquement pour ce mois-ci. Voilà le bilan sombre des attentats recensés jusque-là à travers le monde. Avec, pour la majeure partie d’entre eux, un seul dénominateur commun, à savoir des organisations terroristes «islamiques».

De Jakarta à Ouagadougou en passant par Istanbul et Bagdad pour ne citer que ceux-là, les mêmes images d’horreur, à peine 20 jours après le début de la nouvelle année, une quinzaine d’attentats déjà dénombrés.
En Afrique, cela se veut d’être expliqué par la bataille de leadership entre organisations terroristes, car si Daech ne s’est pas totalement imposé dans la sous-région, Al-Qaïda au Maghreb islamique a voulu, par le récent attentat d’Ouagadougou et celui de Bamako en novembre 2015, réaffirmer sa présence. Ailleurs, il pourrait se traduire par un rejet des méthodes et des mœurs occidentales, comme en témoignent les attaques perpétrées sur des lieux touristiques, fortement fréquentés par les étrangers d’origine européenne ou encore contre des universités, comme les attaques au Pakistan.

L’augmentation dramatique et inédite du nombre de décès dus aux attentats terroristes (voir encadré : Terrorisme, attentats et victimes…) dans le monde coïncide avec le début, en 2003, de l’invasion américaine de l'Irak fondée sur l’injustice et l’abus de pouvoir, et avec en 2013 la montée en puissance de l’État islamique bâti sur fond de désintégration des États irakiens et syriens et d’éclatement des sociétés, plus que jamais divisées en clans, tribus, courants islamiques, anéantissant ainsi les perspectives de survie et de vie de millions de personnes. À ces désordres provoqués par la confrontation des intérêts des grandes et moyennes puissances loin sur des territoires éloignés, la mondialisation, surtout de la finance, est venue ajouter de nouveaux désordres initiés par des acteurs de toutes origines, motivés aussi bien par la cupidité que par leur désir d’arracher le rôle de leader dans leur région respective. La mondialisation a libéré la force maléfique de l’argent et la projection facile des moyens financiers n’importe où dans le monde permet de changer aisément les rapports de forces politiques, militaires, économiques, sociaux… et même religieux dans des pays dotés d’États peu structurés, démunis et en construction de nations effectives. À ce niveau, un débat est plus que capital, aussi bien sur l’aggravation des conflits que sur la responsabilité de tous les acteurs impliqués dans l’avènement d’un pareil désordre, dont la montée sans précédent de la violence et de l’insécurité partout dans le monde est la conséquence directe et tragique. Dans la guerre contre le terrorisme, outre les interventions militaires, les grandes puissances ont eu recours à des alliances politiques circonstancielles avec des acteurs locaux douteux, en les inondant d’armes et de moyens de violence d’une grande ampleur et en attisant les rivalités entre les groupes sociaux pour le pouvoir.

On assiste, dès lors, à l’entrée en scène de deux autres acteurs de ce désordre mondial, à savoir l’industrie de l’armement et le business de l’insécurité. Une situation paradoxale qui a jeté le Moyen-Orient, le Pakistan et l’Afghanistan dans un cercle vicieux de la violence. Un tel cynisme ne manquera pas de se projeter dans toutes les régions du monde. La solution est de prendre des mesures de réduction de la violence. Pour ce faire, il faut des réponses ancrées dans la compréhension des contextes locaux et régionaux spécifiques.

Le monde, le Moyen-Orient et l’Afrique ont effectivement besoin d’une stratégie globale pour faire face aux facteurs et aux acteurs majeurs de l’insécurité dont font partie les groupes qui recourent au terrorisme. Certes, cette stratégie doit inclure un renforcement de la coopération entre les services de sécurité et de renseignement à l’échelle internationale, exigée par la mobilité des acteurs de la violence. Mais elle doit aussi contribuer à construire des États organisés et effectifs, sous des directions politiques responsables, et à créer des espaces de débats ouverts et citoyens permettant la formulation progressive de politiques publiques réfléchies. Une fois les États établis, il est aussi primordial d’inclure dans cette stratégie des processus d’identification des fragilités dans les pays, avec des indicateurs permettant d’évaluer un risque de glissement vers un conflit pour mieux anticiper ce dernier et le prévenir. Le trou noir libyen est le cas le plus éloquent à cet égard. C’est un pays qui a besoin de la mise en place d’un État fort et du déploiement et de la conjugaison de tous les efforts de la communauté internationale afin de tuer dans l’œuf toute tentative de connexion entre le groupe Daesh en Libye et Boko Haram. Une telle union pourrait avoir des conséquences dramatiques pour le continent et le reste du monde. Selon le «Global Terrorism Index», ces deux organisations sont les plus meurtrières via le recours à l’hyper violence et aux attaques sanglantes. Elles sont responsables de la moitié des morts dues au terrorisme. En tête du peloton, on retrouve Boko Haram avec 6.644 morts suite aux attentats perpétrés en 2014, soit une progression de 317% par rapport à 2013. De son côté, Daesh est responsable de 6.073 décès sur la même année.

Faire le maximum de victimes en un minimum de temps dans des lieux emblématiques, les malls, les gares, les aéroports, les marchés ou les hôtels devient un mode de fonctionnement qui permet d’exister et d’être reconnu. Faire fuir les investisseurs et les touristes reste le meilleur moyen pour remplacer une économie normale par une économie basée sur le grand banditisme, principale source de financement du terrorisme. Le monde entier s’unit pour enrayer la propagation du terrorisme avec des moyens considérables. La communauté internationale doit faire attention à l’effet de «sidération» engendré par une succession de succès apparents et des mises en échec de la coalition qui a du mal à juguler l’insécurité. Après une réaction de soulagement, les populations civiles qui voient leur situation empirer, à la suite des escarmouches et des opérations de terreur et de vengeance de la part des terroristes, se mettront à haïr ces armées étrangères qui, loin de leur apporter la paix attendue, ne font qu’aggraver la situation. Il faut certes des interventions au sol, mais bien en amont des conflits, des rébellions et des révoltes, de façon à éradiquer les rancœurs nées d’une émergence sélective et incomplète qui font naître, au cœur même des grandes métropoles les plus occidentalisées, la vocation pour le terrorisme de jeunes prêts à tous les combats, à tous les massacres. 


Terrorisme, attentats et victimes…

Les victimes du terrorisme sont de plus en plus nombreuses dans le monde et 2014 peut être considérée comme l’année la plus sanglante. On dénombre même trois fois plus de victimes d’attentats en Irak en 2014 que dans le monde entier en 2000. Selon l'étude de l'Institute for Economics and Peace publiée en novembre 2014, le monde a connu entre 2013 et 2014 une progression sans précédent du nombre de morts dans des attentats. Ces derniers ont connu une hausse de 80% en l’espace d’une année, une hausse considérée comme la plus forte enregistrée depuis quinze ans. Les victimes sont pour la plupart des civils qui constituent de plus en plus la principale cible des terroristes avec une augmentation de 172% entre 2013 et 2014. Un chiffre qui fait froid dans le dos. En 2014, cinq pays dans le monde totalisent 78% des morts dans des attentats terroristes, il s’agit de l’Afghanistan, du Nigeria, du Pakistan, de la Syrie et de l’Irak. C’est en Irak que la situation est la plus dramatique avec 9.929 morts. Un fait que ne connait pas la région ouest de la planète où les attaques terroristes sont beaucoup plus rares et le nombre de victimes est moindre, et ce malgré le 11 septembre qui a fait 3.000 morts en 2001, malgré les attentats survenus le 13 novembre en France, qui rappellent de tristes précédents à Madrid en 2004, à Londres en 2005, à Uttoya en 2011... Et malgré le fait qu’à l’échelle de la France, 2015 est de loin l’année la plus meurtrière depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Coût du terrorisme

Depuis 2000, et selon l’Institute for Economics and Peace (IEP), le coût mondial des attaques terroristes a atteint un niveau dramatique. D’après son rapport annuel, le coût des attaques terroristes est estimé en 2014 à 52,9 milliards de dollars (environ 49,5 milliards d’euros), soit une augmentation de 60% par rapport à 2013. En revanche, ces constats chiffrés n’impliquent pas d’autres coûts supplémentaires liés au terrorisme, comme le renforcement des effectifs de sécurité ou encore l’augmentation des prix des contrats d’assurance. Le coût en morts et en blessés représente la plus grande partie des coûts liés au terrorisme recensés dans cette étude : en 2014, 97% des 53 milliards de dollars annoncés émanent directement du coût économique lié aux victimes, quant aux 3% restants, ils découlent essentiellement des détournements, dommages matériels… représentant ainsi 705 millions de dollars.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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