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Trop tôt à l’ouverture, trop tard pour la réaction

Par Nabil Adel M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et Géo-économie à l'[email protected]

Trop tôt à l’ouverture, trop tard pour la réaction
Les efforts de mise à niveau sont restés davantage dans les discours officiels que dans des politiques de préparation du tissu productif à affronter la nouvelle réalité de l’économie mondiale.

L’ouverture du Maroc à l’économie mondiale, au terme du programme d’ajustement structurel, s’est faite à un moment où le communisme s’est effondré et où tout le monde chantait les louanges du capitalisme. L’idéal libéral s’imposait tant sur le plan théorique que grâce à la vitrine qu’on offrait aux pays en développement (succès économiques foudroyants des pays du sud-est asiatique). La seule chose qui ne leur a pas été dite, c’est que ces modèles se sont d’abord développés, puis ouvert leurs marchés et non l’inverse. Ce détail s’avérera mortel pour beaucoup de pays qui ont été bernés par le mirage de l’économie de marché.

En dépit de la signature des différents accords de libre-échange avec l’Union européenne, les États-Unis, la Turquie et le monde arabe, la croissance de l’économie marocaine est restée étonnamment faible avec un taux moyen aux alentours de 4,5% sur le long terme et bien souvent à la faveur de bonnes campagnes agricoles. Les sources de cette croissance restent alimentées par la demande interne (ménages et dépenses publiques). Quant à l’apport du commerce extérieur à notre croissance, il est souvent négatif, en raison d’un déficit chronique de la balance commerciale. Les choix économiques des différents gouvernements depuis l’indépendance ne sont pas étrangers à cette situation.

La politique économique d’import-substitution menée par le Maroc du début des années 1960 jusqu’aux années 1990 a affranchi l’entreprise marocaine du pouvoir disciplinaire de la concurrence et du marché. Derrière un protectionnisme qui ne leur a pas permis de développer les gènes de l’innovation, beaucoup de nos entrepreneurs se sont adonnés à l’accumulation du capital et ont péché par une gestion inefficiente des ressources.

Depuis l’ouverture du Maroc au milieu des années 1990, les entreprises marocaines se sont retrouvées en face d’une concurrence à laquelle elles n’ont jamais été sérieusement préparées. Les efforts de mise à niveau sont restés davantage dans les discours officiels que dans des politiques de préparation du tissu productif à affronter la nouvelle réalité de l’économie mondiale. Ce ne sont pas les bonnes intentions qui ont fait défaut, mais une méthodologie rigoureuse et des processus efficients d’entraînement de nos entreprises à ce niveau de compétition. Le résultat fut écrit d’avance : les accords de libre-échange sont entrés en vigueur avec le même tissu économique des années du protectionnisme. Dans ces conditions, laisser nos entreprises à la merci de la nouvelle concurrence mondiale, c’est comme vouloir apprendre à nager à un bébé de quelques mois, en le lâchant seul dans l’eau, sous prétexte qu’il ne doit compter que sur lui-même. Il se noiera à coup sûr, car à la base, il y a un problème de raisonnement. Avant un certain âge, pour un individu comme pour une économie, le corps ne dispose tout simplement pas de la capacité d’accomplir un certain nombre de tâches. Sauf que dans notre cas, il ne s’agit pas d’apprendre à nager, mais d’un match de boxe entre des poids lourds et un poids mouche. C’est la raison pour laquelle, l’ouverture tous azimuts de pays insuffisamment préparés est un suicide certain. Elles deviennent des économies-comptoirs et des déversoirs des produits des pays plus avancés, ce qui tue leur embryon d’industrie et transforme les populations en candidats à l’immigration clandestine. D’où le concept de protectionnisme éducateur de l’économiste Allemand List (1789-1846). Selon cette thèse, il faut protéger les activités naissantes si l’on ne veut pas que les concurrents étrangers, qui ont déjà une longueur d’avance dans ces activités et qui grâce à leur courbe d’expérience et aux économies d’échelles, ont pu réduire leurs coûts, occupent toute la place et empêchent un pays de s’engager à son tour dans la voie de l’industrialisation.

C’est, hélas, exactement ce qui se produit sous nos yeux aujourd’hui. Ce n’est pas un appel au protectionnisme, c’est trop tard.
Il faut par contre adapter les politiques extérieures à la nouvelle réalité. Au Maroc, l’ouverture de l’économie a transformé la mentalité même de nos hommes d’affaires.

Au lieu de produire localement, ils préfèrent importer. Pour la même mise de départ, ils gagnent plus, en moins de temps et en s’affranchissant des risques liés à un investissement productif. Si le Maroc perd annuellement des milliers d’emplois industriels, c’est qu’il est tout simplement en train de liquider les industries lancées dans les années 60 et plus tard récupérées dans le cadre de la marocanisation. Ironie de l’histoire, il faut désormais compter sur l’investissement étranger pour disposer d’industries exportatrices. Au niveau national, la désindustrialisation (même si le terme est exagéré, car nous n’avons jamais été un pays industrialisé) s’explique par notre incapacité à lancer des industries dont les produits sont capables de concurrencer des produits importés de Chine, du Brésil ou d’Europe. À cette faille, il y a lieu d’ajouter le détournement des capitaux de l’industrie vers l’immobilier et la spéculation boursière durant toute la décennie 2000.

C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, notre croissance est tirée par la demande des ménages et par les dépenses publiques. La première se fait en produits importés et financés par une machine bien huilée de crédits pas chers. C’est ainsi que pendant l’Auto Expo 2016, qui a battu tous les records de vente, les établissements de crédit ont été plus dynamiques que les concessionnaires automobiles. La deuxième source de croissance que sont les dépenses publiques est également financée par de la dette dans des projets dont le rendement est très moyen, selon le dernier rapport du ministère des Finances. N’est-ce pas cette réalité que cherchent à promouvoir les autorités monétaires par leur obsession de distribution de crédits coûte que coûte ? Ce qu’on feint d’ignorer, c’est que l’essentiel de ces crédits va financer l’accélération de notre désindustrialisation. Pas mal pour une politique économique !


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