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Une véritable guerre pour le maintien de l’hégémonie américaine

À l’aube de cette deuxième décennie du 21e siècle, une nouvelle dynamique géopolitique régionale profonde affecta stratégiquement le Moyen-Orient, ainsi que les pays de la méditerranée. En effet, un ensemble de mutations sociales et politiques se sont produites à l’intérieur des pays de cette partie du monde, mettant à l’épreuve la stabilité des régimes et la continuité des institutions politiques des États. L’ampleur de cette dynamique conjuguée aux profondes recompositions géopolitiques mondiales ont provoqué un climat de doute sur la capacité des acteurs régionaux et mondiaux à anticiper le cours des événements.

Une véritable guerre pour le maintien  de l’hégémonie américaine

Aujourd’hui, les développements intervenus à la suite du «printemps arabe» et l’engagement occidental dans les négociations nucléaires avec l’Iran mettent à l’épreuve les diplomaties des grandes capitales régionales et mondiales ainsi que les alliances traditionnelles et les choix stratégiques à entreprendre pour mieux se positionner sur l’échiquier régional et se prémunir des dommages collatéraux de ces nouvelles recompositions. La lecture scientifique de cette dynamique à la fois régionale et mondiale revêt une grande importance dans la mesure où elle permet de déceler la nature multipolaire du Nouvel Ordre international et son impact sur les politiques étrangères des principaux acteurs mondiaux. Dans ce contexte, l’appréhension de «la guerre en Syrie», ou «contre la Syrie», ne peut se faire sans une connaissance profonde de la géopolitique mondiale et ses différents paramètres, sans l’analyse des rivalités dans leurs complexités géographique, ethnique, historique, géoéconomique et géostratégique. Sous cet angle, l’analyse scientifique suppose la critique et le rejet de la simplicité trompeuse des faits, des images, des déclarations, des déplorations, des «rapports alarmants» en provenance des médias, des ONG asservies et connues pour leur complicité et leur rôle dans les stratégies de «covert action».

À cet effet, il est nécessaire pour mettre au clair l’actuelle guerre en Syrie et la situer politiquement de remonter à l'année 2003, date clé dans l’histoire tumultueuse de la Syrie avec l’Occident, lorsque le ministre des Affaires étrangères américaines, Colin Powell, avait rendu visite au nouveau Président Bachar Al-Assad. Lors de cette rencontre, le responsable américain avait transmis une offre de l’administration américaine, au jeune Président, lui proposant son soutien économique et politique en contrepartie d’une révision de la politique étrangère syrienne, portant surtout sur trois axes : la dissolution de l’alliance syro-iranienne, l’arrêt du soutien de Damas au Hezbollah libanais et aux organisations palestiniennes, ainsi que l’ouverture politique envers Israël. Le coup préparé en cas de rejet n’a pas tardé. Ainsi, deux ans plus tard, la Syrie sera accusée de l’assassinat de Rafiq Hariri et, par conséquent, une résolution sera votée au Conseil de sécurité, demandant à la Syrie de retirer ses troupes du Liban. À cette époque, le paysage politique au Moyen-Orient était encore dominé par les répercussions de la guerre américaine contre l’Irak. Ce climat de tensions a cimenté l’alliance entre la Syrie et l’Iran face à la menace et aux dérives de l’administration Bush Junior. Depuis lors, une sorte de guerre par procuration verra le jour entre les États-Unis et les pays de l’«axe de refus» tout d’abord, sur la terre de l’Irak, et ensuite, au Liban. Cependant, l’an 2006 sera l’année de confrontation par excellence entre les projets pour la région : le projet américain et le projet irano-syrien. L’endiguement occidental de la Syrie se renforça davantage, mettant ce pays dans la ligne de mire des tirs des capitales occidentales et leurs proxys régionaux, surtout après l’échec stratégique de l’armée israélienne dans la guerre de 2006. Quel est alors, l’apport de la Syrie dans cette défaite historique de l’armée israélienne ?

La guerre de 2006 a provoqué un séisme, tant au niveau régional qu’international, d’une magnitude géostratégique spectaculaire, dont l’effet s’est fait sentir à travers les quatre coins de la planète, particulièrement dans le voisinage immédiat de la Syrie, provoquant un traumatisme géopolitique de taille, tout d’abord chez Israël, l’ennemi historique des Arabes, puis chez les monarchies du Golfe, soucieuses de préserver leurs trônes qui étaient menacés, à cause de la montée en puissance de l’axe Iran-Irak-Syrie-Hesbollah et de l’éventuelle stimulation des peuples de la région, assoiffés de voir l’État hébreu payer le prix des années d’humiliation qu’avaient enduré la nation arabe. Il s’agit, dans l’immédiat, de la première défaite claire de l’armée de Tsahal depuis le déclenchement du conflit arabo-israélien. Cependant, l’effet générateur de cette guerre dépassait de loin, les calculs des pertes humaines et matérielles pour apporter une fissure profonde, couvrant, à la fois, les règles de combat connues jusqu’à cette date et les reconfigurations géostratégiques qui s’ensuivirent. Il faut rappeler que la suprématie d’Israël dans la région du Moyen-Orient, étant le fruit des exploits militaires que son armée a cumulés pour devenir invincible dans la conscience collective des peuples arabes, s’est transformée au fil des années en une réalité admise et souhaitable pour les monarchies du Golfe du fait de la menace que constitue le nationalisme panarabe, devenu ennemi commun pour Israël et pour les régimes arabes vassaux des États-Unis.

De ce point de vue, l’inquiétude est bien réelle, du moment que le mythe de l’armée invincible s’est terni sous les pieds de la guérilla du Hezbollah et, par conséquent, les rapports de forces au niveau régional seront affectés radicalement. L’apport de la Syrie dans cette défaite ne pouvait être négligé par tous ceux qui ont été touchés par les éclats de la guerre de 2006. Alors, le pays est passé dans l’œil du cyclone.
Néanmoins, des plans dévoilés à la veille de la guerre de 2006 mènent à conclure que la décision de la guerre contre le Liban fut prise bien avant l’attaque du Hezbollah contre le convoi militaire israélien et que celle-ci l’a juste anticipée. Il s’agit d’un plan concocté par l’administration Bush, pour la mise en place d’une nouvelle carte régionale, reposant sur l’effritement de certains États, parmi lesquels la Syrie. C’est dans ce sens que s’inscrit le projet du «Nouveau Moyen-Orient» qu’avait véhiculé la ministre chargée des Affaires étrangères de l’époque, Condolezza Rice, dans les médias et à travers ses tournées diplomatiques dans la région. À cet effet, les plans et la date de l’intervention militaire au Liban furent validés quelques mois avant qu’Israël ne soit contraint de mener la guerre avant le terme fixé, en réponse à l’enlèvement de ses soldats par le Hezbollah.

Il faut le dire, la guerre contre la Syrie allait venir avec ou sans le «printemps arabe». La guerre de 2006 a annoncé le début de la fin de l’unilatéralisme américain et les limites de l’empire. Le rôle et l’implication de la Syrie dans ce tournant géopolitique régional n’a guère besoin d’une démonstration. Les États-Unis et l’Occident avaient déjà commencé à lister les principaux péchés du régime syrien. Ces derniers en font là une des médias occidentaux. Nous rappelons dans ce sens, le document secret publié par WikiLeaks le 3 août 2013, élaboré le 13 décembre 2006, par l’ambassade américaine à Damas, qui décrit les opportunités et les façons de déstabiliser la République arabe syrienne, tout en mettant l’accent sur le rôle de Damas dans le Liban. Ce document, élaboré au lendemain de la guerre de 2006, démontre irréversiblement les inquiétudes et les préoccupations de la Maison-Blanche vis-à-vis du régime de Bachar Al Assad. Ce dernier a déjà évoqué, dans un discours prononcé à l’Université de Damas le 10 novembre 2005, les pressions que subit la Syrie pour ses engagements dans la région. «Ils veulent (les Américains) nous faire payer notre opposition à l’occupation de l’Irak et notre appui à la cause palestinienne et à la résistance libanaise. Les grandes puissances veulent régler leurs comptes avec la Syrie». Ce discours a été prononcé suite aux chefs d’accusation contre la Syrie dans l’affaire de l’assassinat de Rafiq Hariri.

De ce fait, nous pouvons affirmer, et l’histoire en témoigne, que les États-Unis ne font la guerre que pour la préservation de leurs intérêts. Ainsi, dans le cas syrien, à travers la guerre contre le régime de Bachar Al Assad, l’Amérique défend son hégémonie mondiale. Pour cela, son Président n’a pas hésité à évoquer le fameux prétexte de «la sécurité nationale américaine». L’investissement américain dans cette guerre dépasse l’imaginaire. En fait, des moyens colossaux ont été déployés pour destituer le régime syrien et mettre fin à la montée en puissance d’une force de dissuasion régionale, celle de l’axe Iran-Irak-Syrie-Hezbollah. Autour de cet objectif, les États-Unis ont formé l’une des pires et importantes alliances, depuis la Seconde Guerre mondiale. En effet, des milliers de combattants ont été déplacés vers la Syrie, venus des quatre coins du monde, épaulés par les services secrets occidentaux, arabes, israéliens et turcs. Dans ce conflit, l’alliance avait conduit une guerre médiatique sans précédent, où ont été utilisés les meilleurs moyens technologiques (internet, Twiter, Facebook…). Il s’agit au début d’un plan, baptisé «Down with the Net» (abbatu par Internet), dont l’objectif est de «provoquer des émeutes à distance par l’intermédiaire des réseaux sociaux en ligne». Il s’agit d’une guerre ou les rôles ont été répartis entre les pays de la coalition (financement, renseignement, recrutements, médias). En somme, la Syrie est «l’ennemi fédérateur» d’une alliance hétérogène de démocraties et de dictatures dont l’objectif est la destitution du régime syrien. 

Aqartit Lahcen,  chercheur, analyste en géopolitique

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