Menu
Search
Vendredi 19 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 19 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next Conférence Internationale Du Sucre

Vers une relation bilatérale solide et durable

Cette semaine, S.M. le Roi Mohammed VI s’est rendu à Moscou. «La Russie et le Maroc renforcent leur coopération bilatérale, et la prochaine visite du Roi Mohammed VI à Moscou va y contribuer». C’est en ces termes que l’agence de presse russe Sputnik avait annoncé la visite du Souverain à Moscou. Sa Majesté le Roi n’en est pas à sa première visite, puisqu’il s’était déjà rendu à Moscou en octobre 2002. Un déplacement couronné par la signature de la Déclaration sur le partenariat stratégique entre les deux pays prévoyant une coopération bilatérale accrue dans plusieurs domaines tels que le commerce, l’agriculture, le tourisme et la défense. La visite de 2016 n’a pas manqué de donner un coup d’accélérateur à la coopération entre le Royaume et la Fédération russe. Les discussions ont porté aussi bien sur des questions de coopération bilatérale que sur des dossiers internationaux.

Depuis quelques années, la Russie s'affirme de plus en plus sur la scène internationale. Par des coups d'éclat médiatiques comme l'hospitalité offerte à Edward Snowden en 2013, alors même que la Chine, l'Équateur et le Venezuela avaient refusé de le faire, suite aux pressions américaines. Par des coups stratégiques majeurs comme la promesse arrachée à Bachar Al-Assad de détruire son arsenal chimique en 2013, évitant ainsi des frappes américaines sur le pays. Mais aussi par des manœuvres plus secrètes, mais non moins importantes, qui reflètent la lecture assez claire que la Russie fait du jeu international.

Elle a par exemple été la première à affirmer que le rôle de l'Iran était nécessaire dans la résolution du conflit syrien et à demander sa participation à la conférence internationale de 2013. Une idée qui avait été rejetée alors, mais qui a fait son chemin depuis : nous avons en effet observé un réchauffement des relations américano-iraniennes dans lequel le problème syrien joue certainement un rôle clé.

Et beaucoup plus important, elle a été l'un des premiers pays à réellement mesurer le danger que représentait la crise syrienne dès le début et à prôner d'autres angles pour la résoudre. Contrairement aux Occidentaux, la Russie n’hésite pas à conduire des opérations au sol. Des bombardements guidés par des troupes régulières, des forces spéciales et par une trentaine de blindés russes ont permis de remporter des avantages décisifs, notamment à Homs, Hama et Alep. L'avènement de Daesh et la crise migratoire sévère que subit l'Europe depuis deux ans ont obligé l'Europe à nuancer sa position et à considérer le point de vue russe.

La Fédération russe est un acteur qui pèse lourd dans le cercle restreint des membres permanents du Conseil de sécurité. Et le Maroc, qui essaie de convaincre la communauté internationale de son plan d’autonomie, a tout intérêt à avoir un allié diplomatique de poids comme la Russie, dans un monde où les alliances sont guidées par les intérêts. Sur le dossier du Sahara, la Russie est un allié stratégique pour le Royaume et l’a bien démontré en 2013, quand Ban Ki-moon avait tenté d’élargir le mandat de la Minurso au contrôle des droits de l’Homme dans les provinces du Sud. Il a fallu l’intervention de Moscou, qui s’est opposé à l’adoption de cette décision que le Maroc a farouchement rejetée. On est donc face à une position russe qui conforte le Maroc dans ses droits légitimes et respecte son intégrité territoriale. Avoir Moscou comme allié supplémentaire sur le dossier du Sahara renforcera la position marocaine face au comportement impartial dont a fait preuve dernièrement le secrétaire général des Nations unies en tenant des propos inappropriés politiquement et contraires aux résolutions du Conseil de sécurité.

À titre de rappel, le secrétaire général de l’ONU n’a pas de pouvoir de décision, qui appartient au Conseil de sécurité de l’ONU. Ce dernier comprend cinq pays qui ont un droit de véto : États-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne et Chine. Il suffit que l’un de ces pays use de son droit de véto, pour qu’une résolution du Conseil de sécurité ne soit pas adoptée. Outre l’aspect politique, le Royaume investit des milliards afin de transformer les provinces du Sud en une porte majeure de commerce international, et en qualité d’investisseur et de partenaire stratégique, la Russie a la possibilité de participer au processus de développement social et économique très dynamique de cette région.

Sur le plan économique, conscient du rôle déterminant qu’il peut jouer dans la mondialisation, le Maroc met en œuvre tous les moyens dont il dispose pour se mettre en valeur et tirer le meilleur parti possible de ses relations avec ses partenaires et booster son développement économique. Sur ce volet, le Maroc a beaucoup à gagner en jetant les ponts avec la Russie.
La Russie est un acteur important de la mondialisation et cela de plus en plus. Elle est actuellement le premier client du Maroc en matière d’agrumes : elle absorbe 60% du volume exporté quand l’Union européenne en absorbe 30 et l’Amérique du Nord entre 10 et 15%. Elle est également importatrice de farine et d’huile de poisson. Les opérateurs marocains en sont conscients et multiplient les actions pour renforcer leur présence dans ce pays. En 2014, le volume des échanges commerciaux a atteint plus de 5 milliards de dollars, confirmant ainsi la place du Maroc parmi les premiers partenaires commerciaux de la Russie sur le plan arabe et africain.

La Russie va participer au développement du GNL (gaz non liquéfié) au Maroc et en assurer la sécurité d’approvisionnement à travers le groupe public russe Gazprom, considéré comme le premier producteur, exportateur et détenteur mondial de gaz naturel.
Les Russes auront peut-être aussi des choses à apprendre du Maroc, vu la situation sécuritaire actuelle dans le monde, marquée par la montée du terrorisme. Le Maroc est un allié de taille pour lutter contre le djihadisme. Quand le Maroc arrive à réduire la pauvreté sur son sol, la Russie voit le nombre de pauvres passer de 15 à 23 millions de personnes en une année, entre 2014 et 2015. Au moment où le Maroc est cité en exemple en matière de développement économique diversifié alliant croissance et durabilité, la surdépendance russe aux hydrocarbures expose la Fédération à des chocs exogènes. Alors que le Maroc développe un système bancaire qui contribue à faire de lui le deuxième investisseur africain sur le continent, l’infrastructure bancaire russe est sous-développée, puisqu’elle demeure dépendante des grandes banques étrangères et est souvent adossée aux grands groupes énergétiques.

En cette période de difficultés économiques et de violence soutenue, les deux pays auront beaucoup à gagner du renforcement de leur partenariat qui s’avère d’ores et déjà win-win sur les deux plans géopolitique et géoéconomique. 


Russie : Son passé reste encore un obstacle pour son futur géopolitique

La connaissance de la guerre froide permet de mieux comprendre les réticences exprimées par les deux côtés et les interprétations qui peuvent être faites des attitudes des uns et des autres. Il ne faut en effet pas oublier que les États-Unis et la Russie se sont livré une guerre sans merci par pays interposés pendant plusieurs décennies. Et que même si cela ne se dit pas clairement aujourd'hui, le sentiment de rivalité et d'opposition persiste. L'anti-américanisme, par exemple, est bel et bien cultivé par Vladimir Poutine au sein de sa population et il est clair que le véto utilisé par la Russie et son allié chinois dans certains dossiers vise purement et simplement à bloquer les États-Unis. De leur côté, ces derniers placent de petites vengeances circonstancielles, comme la volonté d'intégrer la Géorgie et l'Ukraine dans l'OTAN, malgré les promesses faites à Mikhaïl Gorbatchev, en son temps, et cela malgré l'accord de Moscou pour l'installation de bases militaires chez ses alliés d'Asie centrale pendant la guerre d'Afghanistan ou encore la fermeture des dernières installations de surveillance soviétiques à Cuba.


Politique russe contre le djihadisme

L’intervention au sol est soutenue par un contingent aérien d’une vingtaine d’hélicoptères, des drones et une trentaine d’avions de combat, par un groupement naval, commandé par deux croiseurs, qui intervient depuis la Méditerranée et une armada de quatre navires opérant depuis la mer Caspienne et qui peuvent lancer des missiles de croisière SS-300 à plus de 1.500 kilomètres des zones de combat.
La Russie n’hésite pas à se donner les moyens militaires de ses ambitions géopolitiques dans la région. Loin de toute explication idéologique, la Russie cherche à se forger une réputation de leader de l’antidjihadisme et à préserver ses intérêts dans la région. Pour preuve, les concertations de Poutine avec les différents acteurs de la région, même ceux en conflit avec Bachar Al-Assad : le Président turc, le Roi d’Arabie saoudite, le Roi de Jordanie, le Président égyptien, ainsi que les insurgés kurdes. Le réalisme géopolitique guide les alliances et pour les Russes leur soutien sera indéfectible pour la solution politique qui défendra leurs véritables intérêts. Quant aux Américains, il est primordial de préserver leur influence dans la région en contrant le fait que la Russie devienne un «game changer» au Proche-Orient.


Consolider la coopération maroco-russe

Afin de renforcer les relations avec ce pays, le Maroc a organisé une mission BtoB en avril 2015 dans les villes de Saint-Pétersbourg, Kazan et Moscou. En juin 2014, le Maroc a organisé, à Moscou, le premier forum économique des deux pays sous le thème : «Maroc, un partenaire stratégique de la Russie». La délégation marocaine a regroupé de grosses pointures de l’économie nationale : Othman Benjelloun (BMCE Bank), Miriem Bensalah (CGEM), Mohamed Kettani (Attijariwafa bank), Mohamed Benchaâboun (Banque populaire)… Pas moins de 120 opérateurs ont pris part à cet événement qui visait à insuffler une nouvelle dynamique aux échanges économiques et présenter les potentialités du Maroc en termes d’opportunités d’affaires et d’investissement. De même, sur le plan institutionnel, la cinquième session de la commission mixte intergouvernementale maroco-russe, tenue dans la capitale, Rabat, en septembre 2014, avait, aux dires des gouvernements des deux pays, donné «un nouvel élan à la coopération» entre le Maroc et la Russie.


Visite du Souverain en Russie, sur fond d’économie et de sécurité

Sa Majesté le Roi Mohammed VI se trouve actuellement en visite officielle en Russie, où il a notamment rencontré le Président Vladimir Poutine. Cette visite officielle est la deuxième du monarque en terre russe. Durant leur rencontre, les deux dirigeants ont bien évidemment abordé des questions stratégiques et économiques.
Sur le plan stratégique, il a été question d’aborder la montée du terrorisme et de la crise syrienne. En effet, on a pu constater la montée en puissance du terrorisme dans la région du Maghreb et du Moyen-Orient. La Russie affirme donc son soutien à la lutte contre les groupes terroristes dans cette région. Sur la question syrienne, le Souverain a fait savoir sa position, commune aux pays de la Ligue arabe, qui est pour le départ du régime en place. Position différente de celle de la Russie, sachant que ce pays a affiché depuis le début du conflit son soutien à Bachir Al Assad.
Il a été question durant cette rencontre d’aborder la question des échanges. Le volume des échanges entre les deux pays s’élevait en 2015 à 2,5 milliards de dollars (deuxième plus gros client du Royaume). Si le Maroc importe de l’énergie russe, il exporte en revanche principalement des produits agricoles et agroalimentaires. Cette donnée pourrait changer, du fait de l’embargo européen sur la Russie en représailles de la crise ukrainienne. Les exportations marocaines en direction de la Fédération de Russie pourraient être revues à la hausse selon l’Asmex. Il ne s’agira plus uniquement de produits agricoles, mais également de poisson ou encore de produits hallal, dans un pays comptant pas moins de 20 millions de musulmans.
Le Maroc connaissant un recul de l’afflux des touristes européens pourrait bien se tourner vers le marché russe, car selon le directeur de l’Office du tourisme, la Russie constituerait un fort potentiel. Plusieurs accords ont été paraphés dans ce sens mardi entre les deux dirigeants. Des visites des acteurs touristiques russes ainsi que des médias audiovisuels sont prévues pour les prochaines semaines au Maroc, ainsi que l’ouverture prochaine de lignes directes aériennes reliant les grandes villes russes à Marrakech et à Agadir. Sur la question épineuse du Sahara, Moscou, par la voix de Vladimir Poutine, a tenu à exprimer tout son soutien à la marocanité du Sahara. Position intervenant après la grande manifestation anti Ban Ki-moon de dimanche dernier à Rabat, où le peuple lui reprochait d’une seule voix sa non-neutralité dans le dossier sahraoui. Moscou, quant à elle, a rappelé au secrétaire général de l’ONU le respect du caractère neutre de l’organisation dans ce conflit qui dure maintenant depuis plus de 40 ans.

 

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

Lisez nos e-Papers