Menu
Search
Vendredi 19 Avril 2024
S'abonner
close
Vendredi 19 Avril 2024
Menu
Search
Accueil next

«Certaines dispositions du Code de la famille sont devenues caduques aux yeux de la Constitution et du droit international»

Présidente de la Commission permanente chargée des affaires sociales et de la solidarité au sein du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Zahra Zaoui a supervisé l’élaboration du rapport intitulé «Les dimensions sociales de l’égalité entre les femmes et les hommes». Dans cet entretien, elle revient sur les grandes lignes de ce rapport. Militante et avocate engagée pour la défense et la promotion des droits des femmes au Maroc, elle livre une analyse lucide des avancées et des imperfections du Code de la famille de 2004.

No Image

Le Matin : La Commission permanente chargée des affaires sociales et de la solidarité, dont vous êtes la présidente, a élaboré un rapport intitulé «Les dimensions sociales de l’égalité entre les femmes et les hommes», on y parle d’un paradoxe socioéconomique : les femmes marocaines sont de plus en plus citadines et de moins en moins actives. Comment expliquez-vous cela ?
Cette question est très importante, néanmoins, il n’est pas toujours aisé d’avancer des éléments de réponse en l’absence d’études scientifiques. Le CESE est préoccupé par cette sortie des femmes de l’activité, dans l’indifférence générale. Aucun travail politique n’a été engagé suite à la diffusion de données statistiques par le Haut Commissariat au Plan sur la sortie des femmes de l’activité économique. De plus, aucun résultat n’a été communiqué par les décideurs. Donc aucun moyen visant à accélérer la prise de conscience de cette sortie des femmes marocaines de la sphère économique, qui nuit essentiellement à la cohésion sociale, n’a été mis en œuvre. C’est pour cela que le CESE a décidé de retenir les constats globaux du rapport sur «L’égalité hommes-femmes dans la vie sociale», forgés à partir de sources d’information externes (HCP et institutions auditionnées) ainsi que des discussions menées en interne. Le CESE vise en fait à interpeller les destinataires de ses avis (gouvernement, législateurs et société civile) sur les risques portés par les phénomènes sociaux qui s’intensifient et qui contribuent à creuser davantage les inégalités, mais aussi qui exposent davantage les femmes en tant que population vulnérable à une plus grande précarité aux niveaux sanitaire, social et économique. À tous ces facteurs sociaux émergents, s’ajoutent les violences basées sur le genre : le double rôle des femmes, le déséquilibre entre l’espace personnel et l’espace professionnel, étant donné que la tâche «de conciliation» incombe largement à la femme seule. C’est ce contexte difficile qui pousse les femmes à se retirer du champ économique. Quant à l’attitude actuelle des politiques face à ce problème, leurs actions en vue d’écouter et de valoriser les femmes, d’une part, mais aussi de réduire ce déséquilibre d’autre part, sont très limitées.

Le rapport déplore également la persistance des inégalités sur les lieux de travail. Pourriez-vous nous donner des exemples ?
À l’heure actuelle, l’un des objectifs les plus importants à atteindre au nom de l’égalité des sexes est l’indépendance économique. L’indépendance économique est l’institution de rémunérations égales, un accès égal au crédit et l’établissement d’une situation d’égalité sur le marché du travail. Or la position des femmes marocaines dans l’économie nationale est révélatrice des déséquilibres et de l’inégalité des pouvoirs. En effet, dans le secteur public, le taux de féminisation des postes de responsabilité est de l’ordre de 15%, et la majorité des femmes dans ces cas occupent des postes comme chefs de service et chefs de division. La féminisation des fonctions de secrétariat général et de direction centrale ne dépasse pas 6 à 11%. En général, qu’il s’agisse du secteur privé ou public, formel ou informel, les femmes subissent des écarts de salaires de 40% par rapport aux hommes. À titre d’exemple, dans le secteur formel, le salaire mensuel moyen des femmes représente 85% de celui des hommes. Un autre problème réside dans la liberté syndicale et le droit de négociation collective des femmes qui demeurent compromis, malgré la ratification des conventions de l’Organisation internationale du travail N°98 (sur le droit d’organisation et de négociation collective) et 135 (sur la protection des représentants syndicaux).

Quels sont les autres principaux constats du rapport ?
Nous avons abordé précédemment l’exclusion des femmes du marché du travail ainsi que les inégalités entre les sexes sur les lieux de travail. À cela s’ajoute un nombre d’anomalies. D’abord, malgré la rareté des études relatives au travail des femmes en milieu rural, les organisations syndicales entendues par le CESE attirent l’attention sur la pénibilité générale des conditions de travail et de transport des femmes aussi bien dans le secteur agricole que dans de nombreuses autres activités. Ensuite, l’enquête nationale du HCP sur l’emploi évaluait en 2012 à près 450.000 le nombre de personnes de moins de 18 ans au travail. Parmi elles, 138.000 filles, qui dans la quasi-totalité ne fréquentaient pas l’école et occupaient un emploi permanent à temps plein. En milieu urbain, les filles de moins de 18 ans travaillent dans l’industrie ou les services et la moitié ne perçoivent aucune rémunération. En milieu rural, la plupart travaillent dans les activités agricoles et ne sont pas payées. Il y a également une carence en termes de protection sociale. Les femmes sont plus touchées que les hommes par la précarité sociale, alors même que les mécanismes de solidarité familiale s’affaiblissent. Peu de femmes perçoivent une pension de retraite, et la majorité des personnes âgées qui vivent seules sont des femmes. On constate un décalage entre l’évolution du rôle des femmes dans les structures familiales et les politiques de protection sociale. Les femmes actives occupées sont, dans quatre cas sur cinq, sans couverture médicale. En effet, l’affiliation aux régimes de sécurité sociale n’est obligatoire que pour les salariés, les agents de l’État et les fonctionnaires, et les régimes en question sont autonomes et non solidaires entre eux, ce qui constitue un obstacle à la prise en charge intégrée du couple et de la famille.

Que recommande le rapport pour surmonter les inégalités entre hommes et femmes ?
Le CESE recommande de réaffirmer le droit de l’égalité entre les sexes, mais aussi de mettre en place des dispositifs concrets de lutte contre les stéréotypes. Il faut aussi faire de la participation des femmes à l’activité économique une priorité, de même que la mise en place d’un socle universel de protection sociale obligatoire, qui soit élargi au bénéfice des actifs non salariés, femmes et hommes. Enfin, il s’agit de bannir avec rigueur et condamner avec sévérité les violences à l’égard des femmes et le harcèlement sexuel, ce qui nécessite de renforcer l’efficacité de l’action de la police, de la gendarmerie et du système judiciaire
à l’égard des droits des femmes.

En 2004, un nouveau Code de la famille a été adopté. Dans quelle mesure a-t-il contribué à l’instauration de l’égalité homme-femme ?
Nul ne conteste que la réforme majeure du Code de la famille de 2004 a introduit un ensemble de dispositions en faveur de l’égalité. Depuis, la gestion de la famille est sous la responsabilité conjointe des deux époux, le divorce est devenu un droit exercé par les deux époux sous contrôle judiciaire, l’âge de mariage est fixé uniformément à 18 ans (avec toutefois une faculté accordée au juge de réduire cet âge dans les cas justifiés), les conjoints peuvent convenir d’un mode de gestion des biens acquis en commun autre que la séparation des patrimoines ou encore grâce à l’effort jurisprudentiel (al ijtihad), les petits-enfants nés d’une fille peuvent hériter au même titre que ceux nés d’un fils, etc. Toutefois, malgré les progrès indéniables enregistrés, en 2011, l’expérience marocaine reste pour l’instant très limitée au plan de la mise en œuvre et de l’effectivité du droit à l’égalité.
L’adoption d’un Code de la famille ne s’est pas traduite par plus d’égalité ou de justice en faveur des composantes de la famille, à savoir l’épouse et les enfants, et les groupes vulnérables de même que les problèmes liés à la discrimination et à la violence sexiste persistent.
Des milliers de mariages de mineures continuent d’être conclus. La polygamie est toujours autorisée et l’inégalité devant le patrimoine familial persiste puisqu’en cas de divorce, la femme perd son logement, sa couverture sociale, sa pension alimentaire et ses biens acquis pendant le mariage, etc. Le système judiciaire reste discriminatoire puisque l’accès à la justice est coûteux financièrement et humainement.
Le système ne permet pas d’obtenir des mesures correctives efficaces et ne garantit nullement une procédure équitable, puisque la preuve est toujours à la charge de l’épouse quand elle est demanderesse. On a noté l’urgence de la nécessité d’une réforme prenant en compte une approche plus intégrative, plus culturelle et plus sensible aux questions du genre et des droits de l’Homme.
Enfin, la Moudawana ne prête pas d’attention particulière aux groupes vulnérables, comme les enfants nés hors mariage ou les mères célibataires. De plus, certaines dispositions de la Moudawana sont d’ores et déjà devenues caduques aux yeux de la Constitution et du droit international. Plus généralement, la structure sociale et familiale reste toujours défavorable à l’égalité entre les hommes et les femmes.

Lisez nos e-Papers