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«Le processus de changement sociétal est lent, mais il est encore plus lent lorsqu’il s’agit de l’espace familial»

La ministre Bassima Hakkaoui analyse dans cet entretien les résultats de l'enquête sur les changements de perception et de comportement des Marocains entre 2009 et 2015. Les chiffres révèlent une évolution lente mais réelle des mentalités.

«Le processus de changement sociétal est lent, mais il est encore plus lent lorsqu’il s’agit de l’espace familial»
Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social

Le Matin : Que ressort-il de l’enquête de 2015 que vous avez menée en comparaison avec celle de 2009 ?
Bassima Hakkaoui : Le Code de la famille est un projet de société. C’est aussi un cadre juridique qui régule les relations au sein de la famille, la préservation de son unité et sa cohésion ainsi que la promotion des droits des femmes et la garantie de l’intérêt supérieur de l’enfant.
De ce fait, une comparaison entre les résultats de l’enquête sur les changements de perception, les attitudes et les comportements des Marocaines et des Marocains entre 2009 et 2015 révèle plusieurs constats. D’abord, en ce qui concerne l’égalité des droits et des devoirs au sein de la famille, presque 59% (58,9%) des personnes interrogées pensent en 2015 que les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes droits et les mêmes obligations au sein de la famille, contre 53,4% en 2009, mais uniquement pour les droits. 34,8% en 2015 contre 32,5% en 2009 pensent qu’ils ne doivent pas avoir les mêmes droits au sein de la famille.

Pour ce qui est de la contribution des femmes aux dépenses du foyer, presque 70% (69,7%) en 2015 contre 69% en 2009 pensent que les femmes ayant un revenu devraient contribuer aux dépenses du ménage. Puis 15,5% en 2015 contre 21% en 2009 refusent la contribution des femmes aux charges de la famille et presque 14% (13,9%) en 2015 contre 10% en 2009 l’exigent uniquement dans certaines situations, notamment lorsque le mari est indigent. S’agissant de la contribution de l’époux aux travaux domestiques, nous avons noté que 53,5% en 2015 contre 49% en 2009 déclarent que les hommes devraient contribuer aux travaux domestiques. Il y a aussi 27,1% en 2015 contre 39,1% en 2009 qui sont contre la contribution des conjoints aux travaux domestiques. Ces résultats montrent une certaine rupture dans la division sexuelle du travail.

Quid de l’éducation des enfants ?
Concernant l’éducation des enfants, l’enquête révèle que presque 88% (87,8%) en 2015 contre 67,4% en 2009 de l’échantillon interrogé pensent que l’éducation des enfants incombe aux deux conjoints, contre 9% en 2015 et presque 30% en 2009 qui estiment qu’elle relève uniquement des attributions de la mère. L’enquête que nous avons menée nous a également permis de cerner la prise de décision au sein de la famille. Tenez-vous bien, 72,6% de l’échantillon interrogé en 2015 contre seulement 50,1% en 2009 pensent que les deux conjoints doivent prendre ensemble les décisions relatives à la famille, 17,9% en 2015 contre 36,5% en 2009 pensent que le pouvoir de décision revient au mari en tant que chef de famille. Et 6,9% en 2015 contre 11,3% en 2009 pensent que chacun devrait prendre la décision dans son domaine en raison de la division sexuelle du travail.

Compte tenu de ces résultats, quelle est votre appréciation quant au processus de changement des rapports sociaux de sexe ?
L’analyse des résultats montre de manière claire que le processus de changement des rapports sociaux de sexe est entamé dans la société marocaine. Ces changements ont été impulsés grâce à la scolarisation des femmes, à leur entrée dans le marché de l’emploi, à leur investissement dans l’espace public et à leur accès aux postes de décision. Cette dynamique est engagée grâce aux multiples engagements constants de Sa Majesté le Roi en faveur des femmes, depuis son intronisation, et est consacrée par l’adoption du Code de la famille en 2004.

Le Code de la famille ne pose-t-il pas de nouvelles interrogations
inhérentes à la démocratisation de l’espace privé ?
Oui. L’application de ce Code depuis 2004 est sans doute porteuse de profonds changements au niveau de l’espace familial, au-delà du fait qu’elle garantit l’équilibre de la famille et la protection des droits de tous ses membres. Le Code fonde de nouvelles revendications et pose naturellement de nouvelles interrogations inhérentes à la démocratisation de l’espace privé. Il s’agit de la représentation légale parentale des enfants, l’identité de l’enfant dont le père ne reconnaît pas la filiation, l’instauration de l’expertise médicale systématique pour la recherche de paternité, le partage des biens acquis pendant l’union conjugale, la coresponsabilité des conjoints dans la direction de la famille, autant de questions auxquelles l’échantillon interrogé a montré un intérêt particulier.

Quelles sont les contraintes auxquelles se heurte la Moudawana ?
La mise en œuvre du Code de la famille, en dépit des avancées réalisées grâce à la mobilisation des départements concernés, en l’occurrence le ministère de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social, et le ministère de la Justice et des libertés, en partenariat avec les acteurs de la société civile, les médias, etc., bute encore contre des obstacles dont le principal demeure la méconnaissance du contenu du Code de la famille par la population marocaine.
C’est la connaissance qui permet réellement d’exercer un impact sur les perceptions, les attitudes et surtout sur les comportements des Marocains et des Marocaines. La méconnaissance des dispositions du Code de la famille maintient des comportements qui sont éloignés de la philosophie égalitaire dont le Code est porteur et qui s’expriment par certaines résistances, parfois des rejets, et le plus souvent par de nombreux questionnements.

Quels sont ces questionnements
et comment peut-on arriver à y répondre ?  
Ces questionnements constituent sans doute le signe que la société marocaine est en pleine mutation. Il est nécessaire à cet égard d’apporter des réponses à ces questionnements pour que le Code de la famille en tant que projet de société soit accepté par l’ensemble de la population marocaine, qui s’appropriera ses valeurs à travers de nouveaux comportements au sein de la famille. C’est dans ce sens que la majorité de l’échantillon interrogé revendique l’accès à la connaissance du Code de la famille par le biais des médias et notamment la télévision. Celle-ci est interpellée pour jouer un rôle important dans la connaissance du Code, mais aussi dans les problématiques d’actualité nécessitant des programmes spécifiques, telles que la question du dialogue au sein de la famille, la question des services d’aide à la famille (médiation familiale, la guidance familiale et l’éducation
parentale...).
Ces programmes doivent être appuyés en amont par l’école, qui, en véhiculant les valeurs d’égalité, tendra à construire de nouveaux rapports sociaux centrés sur les notions d’égalité, de dialogue et de non-violence. Le succès de ces programmes nécessite une socialisation sociale où le message de la famille et de l’école doit converger dans le même sens.

Ne trouvez-vous pas le processus
du changement assez lent ?
Oui, le processus de changement sociétal est lent, mais il est encore plus lent lorsqu’il s’agit de l’espace familial.
Il est important de noter qu'actuellement les actions menées, principalement par le ministère de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement social et le ministère de la Justice et des libertés, en partenariat avec les associations œuvrant les domaines de la femme de la famille et de l’enfance, témoignent l’intérêt porté à l’équilibre de la famille marocaine et le souci de faire du Code de la famille un véritable projet de société, où tous les membres de la famille, sans aucune discrimination, jouissent de la dignité et exercent les droits humains fondamentaux reconnus à la personne humaine.

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