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«Quand les jeunes sont devant une offre de politique publique sérieuse et crédible, ils y adhèrent»

Driss Guerraoui, secrétaire général du Conseil économique, social et environnemental, estime que l’État et la société doivent changer radicalement leur offre des voies de l’insertion des jeunes en mettant en place des politiques publiques de jeunesse mieux définies, des programmes plus ciblés en fonction des catégories de jeunes, des financements conséquents et des objectifs concertés et partagés avec les jeunes. Pour le professeur universitaire, cette offre doit comprendre toutes les formes d’insertion par l’économique, la formation, la culture, l’action sociale, le sport et les métiers du développement durable.

«Quand les jeunes sont devant une offre de politique publique sérieuse et crédible, ils y adhèrent»
Driss Guerraoui. Ph. Kartouch

Le Matin : Les préjugés sur la jeunesse d’aujourd’hui ne manquent pas. On la juge individualiste, consumériste et repliée sur elle-même. On considère aussi qu'elle n'a plus de conscience politique, ne s’investit plus dans le monde associatif, syndical ou politique. Dans quelle mesure ces préjugés sont-ils fondés ?
Driss Guerraoui : Ce qui est frappant, en effet, en matière d’examen de la problématique de la jeunesse, c’est la floraison des préjugés sur les jeunes et le développement d’amalgames concernant les politiques publiques de jeunesse. Ces préjugés se résument le plus souvent à la caractérisation du champ de la jeunesse comme étant principalement marqué par la dépolitisation des jeunes, leur défiance vis-à-vis des institutions, leur refus de la participation et leur tendance à la violence. Certes, tous ces qualificatifs correspondent à des réalités, mais celles-ci sont loin d’être générales. Car l’observation empirique du champ de la jeunesse montre qu’il n’y a pas une jeunesse, mais des jeunesses et des jeunes, évoluant dans des contextes sociaux, familiaux et territoriaux très différenciés qui soit impulsent auprès des jeunes des choix donnés, soit leur imposent des situations de fait sur les plans socio-économiques et socioculturels. Aussi, constatons-nous l’existence dans la société de plusieurs catégories de jeunes.
• Il y a ceux qui ont choisi l’initiative entrepreneuriale comme cadre de leur auto-insertion dans la vie active et donc comme vecteur de leur contribution à l’effort national de création de richesses.
• Il y a des jeunes qui ont opté pour l’action civique dans le cadre d’organisations non gouvernementales issues de la société civile pour donner un sens à leur engagement citoyen, et ce par la participation à des initiatives de solidarité sociale, de défense des droits humains, de protection de l’environnement et/ou d’aide aux personnes à besoins spécifiques.
• Il y a ceux parmi les jeunes qui ont choisi l’adhésion à un parti politique, à une organisation syndicale ou socioprofessionnelle pour marquer leur implication dans la vie de la société, exercer leur pouvoir d’influence sur la destinée de leurs institutions d’appartenance et faire entendre leurs voix en matière de projet de société pour lequel ils aspirent.
• Il y a aussi une catégorie de jeunes qui a choisi la créativité dans toutes sa diversité culturelle, artistique, scientifique, musicale, culinaire, vestimentaire et sportive comme forme d’expression de ses talents, de son appartenance au corps social, et de cadre à son épanouissement personnel et, par voie de conséquence, de sa contribution à la valorisation du capital immatériel national.
• Il y a également une jeunesse qui a opté pour la pratique religieuse et la spiritualité pour apporter des réponses à ses questionnements existentielles, à ses inquiétudes, ses angoisses et ses espérances.
• Comme il y a enfin une jeunesse marginalisée et exclue de la société du fait de sa situation de pauvreté extrême, de chômage endémique, de handicaps spécifiques et de vulnérabilités diverses. Cette catégorie de jeunes est certainement la plus importante démographiquement. Elle évolue dans tous les milieux de résidence urbains, péri-urbains et ruraux et touche beaucoup de familles. La situation de cette catégorie de jeunes génère auprès d’eux des attitudes et des comportements multiples et à leur tête la consommation de drogues atypiques, les trafics de tout genre et des formes extrêmes de violence.
Fait nouveau et important cependant : toutes ces catégories de jeunes évoluent dans un monde de plus en plus vivant et global et dans des environnements nationaux marqués par le développement de la révolution numérique. Cette nouvelle réalité offre aux jeunes d’aujourd’hui d’énormes possibilités d’expression libre de leurs problèmes et de leurs attentes, accroit leurs moyens en matière de réseautage collaboratif et développe leur autonomie vis-à-vis de toutes les institutions et à leur tête l’école, la famille et les institutions de l’État. Ce qui les transforme en acteurs sociaux dotés d’une réelle force de frappe individuelle et collective dans le sens de la créativité comme dans celui de la destruction. Une chose est sûre cependant, malgré cette complexité du champ de la jeunesse et quel que soit le poids démographique de chacune de ses composantes, quand les jeunes sont devant une offre de politique publique de jeunesse sérieuse et crédible, ils y adhèrent, se l’approprient et deviennent un acteur majeur de sa mise en œuvre. Aussi, il appartient à l’État et à la société de se pencher sérieusement sur les voies les plus appropriées et les plus adaptées à leur insertion dans la vie de leur collectivité nationale.

Devant une telle situation, quelle serait la meilleure voie à emprunter pour permettre l’insertion des jeunes ?
Les voies de l’insertion des jeunes doivent partir d’un préalable fondamental. Ce préalable réside dans le fait que nous sommes devant une nouvelle génération de jeunes produite par une dynamique sociétale nationale et un contexte mondial marqués par l’extension rapide des espaces de liberté, le développement d’Internet, l’accès à un nombre impressionnant de chaines satellitaires, mais aussi l’émergence et le développement de revendications d’un genre nouveau, comme le droit à la justice, à la dignité, à la protection sociale universelle, à un travail décent, à la culture, aux loisirs, à la vie dans un environnement sain et à la participation politique. De ce fait, la société doit s’adapter à cette donne et l’État doit mettre en place des politiques d’insertion en phase avec cette demande de nouvelle génération exprimée par les jeunes. Dit autrement, l’État et la société doivent changer radicalement leur offre des voies de l’insertion des jeunes en mettant en place des politiques publiques de jeunesse mieux définies, des programmes plus ciblés en fonction des catégories de jeunes, des financements conséquents et des objectifs concertés et partagés avec les jeunes. Dès lors, cette offre doit comprendre toutes les formes d’insertion par l’économique, la formation, la culture, l’action sociale, le sport et les métiers du développement durable. Comme elle est appelée à être plus intégrée que sectorielle et plus territorialisée que gérée à une échelle publique centrale.

On tend à croire que les questions de la jeunesse relèvent principalement de la société civile, du mouvement associatif, voire d’organismes privés. Cela veut-il dire que le rôle de l’État se limite à fixer le cadre juridique permettant à ces entités d’assumer leurs responsabilités vis-à-vis des jeunes ?
La question de la jeunesse est transversale. Par conséquent, il faut prendre garde de ne pas tout mettre sur le dos d’un seul acteur. Car s’il y a un domaine où la responsabilité est collective et partagée, c’est bien celui de l’enfance et de la jeunesse. En effet, pour cette catégorie de la société interagissent les rôles de l’État, certes, mais aussi celui de la famille, de l’école, de l’entreprise, du parti politique, de l’organisation syndicale, des acteurs de la société civile, des intellectuels, des médias et des territoires. Ces derniers auront d’ailleurs un rôle majeur à jouer dans l’avenir à partir des grandes réformes de l’État que constitue la régionalisation avancée. Celle-ci va se traduire, en effet, par un transfert aux 12 nouvelles régions de larges pouvoirs et prérogatives relatives à la gestion des questions de jeunesse leur permettant ainsi d’avoir une gouvernance de proximité de ces questions. Une telle perspective va être renforcée, car la loi organisant la régionalisation avancée a prévu la création par la région d’instances d’écoute, de dialogue et de participation des jeunes. Ces instances vont permettre aux nouvelles régions d’identifier avec des jeunes, pour les jeunes et par les jeunes leurs besoins, leurs attentes et leurs aspirations en matière d’insertion dans la vie active locale. À charge donc pour les 12 nouvelles régions de rendre effective cette dimension institutionnelle cruciale de l’exercice de la démocratie participative au niveau territorial et de faire des jeunes un de ses acteurs et porte-voix essentiels.

En parlant du rôle à jouer par les pouvoirs publics, est-ce que vous pensez qu’ils ont un devoir à remplir vis-à-vis de la jeunesse africaine, étant donné que le Maroc se positionne en tant que leader africain ?
L’Afrique d’aujourd’hui, comme celle de 2030 et 2050, est et sera celle des jeunes. En effet, si en 2015 la population des 15-24 ans est de 229,6 millions de personnes, soit près de 20% de la population totale du continent, en 2030 et 2050 le nombre de cette catégorie de population augmentera respectivement à 331,4 et 451,9 millions pour se maintenir en valeur relative à presque la même proportion. Celle des moins de 30 ans continuera, elle, à ces horizons, à représenter plus de 50% du total de la population du continent, exerçant ainsi une réelle et croissante pression sur les besoins essentiels, notamment en matière d’emploi, d’éducation et de santé. Pour toutes les problématiques évoquées auparavant, la jeunesse marocaine les partage et va les partager avec les jeunes du reste du continent. C’est ce que nous avons nous-mêmes pu constater lors de la semaine de l’Afrique organisée à Paris du 24 au 26 mai 2017 par l’Unesco sous le thème «Investir dans la jeunesse africaine». Cette conférence, où la représentation permanente du Maroc auprès de cette institution onusienne prestigieuse a joué un rôle majeur, a pris appui sur l’Agenda 2063 adopté en janvier 2015 par les Chefs d’État et celui des Nations unies dans le cadre des Objectifs de développement durable en septembre 2015. Ces deux agendas font des jeunes un acteur futur clé de la réalisation de la paix, de la sécurité et du développement durable en Afrique et dans le monde. À cet effet, l’Union africaine, que notre pays vient de réintégrer, a déclaré 2017 l'année où l’Afrique doit «exploiter le dividende démographique en investissant sur la jeunesse».
Il va sans dire que de telles initiatives vont donner corps à la Charte africaine de la jeunesse, adoptée en 2006 par le Sommet des Chefs d’État et de gouvernements de l’Union africaine, à «la Stratégie opérationnelle pour la jeunesse 2014-2021» élaborée par l’Unesco et à «la Déclaration africaine 2030», issue du forum de la jeunesse, du forum économique et du sommet Afrique-France de Bamako de janvier 2017. Cette charte portée depuis mars 2017 par l’Unesco, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le Mouvement des entreprises de France (Medef), le Club 2030 Afrique et l’Active Growth & Youth Programs (AGYP), et dont la Confédération générale des entreprises du Maroc, en la personne de sa présidente, Miriem Bensalah-Chaqroun, est un membre actif, a pour objectif de faire de l’initiative entrepreneuriale l’axe central d’une insertion productive et durable des jeunes dans la vie active.
Fort de son retour à sa maison originelle, l’Union africaine, et armé par de multiples chantiers économiques développés dans le continent, le Maroc est appelé à promouvoir une forme originale de coopération dédiée à la jeunesse africaine. Dans ce cadre, l’Agence marocaine de coopération internationale du ministère des Affaires étrangères et de la coopération internationale aura un rôle majeur à jouer en partenariat avec les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux concernés par la problématique de la jeunesse. Il s’agit d’un vaste chantier qui devrait commencer en priorité et en toute urgence par l’élaboration d’un guide des compétences africaines formées par le Maroc. Cette étape préalable est nécessaire. Elle pourrait constituer le prélude à la création d’un Réseau des étudiants et stagiaires africains formés au Maroc et à l’organisation des Premières Assises des étudiants et stagiaires africains formés au Maroc. Ces assises pourraient être une réelle opportunité pour faire un bilan des actions menées par notre pays au profit de la jeunesse africaine à partir de la formation et de la coopération technique. L’utilité de ce bilan est qu’il pourra servir à tracer les contours et à identifier les termes de ce que devra être demain la feuille de route marocaine en cette matière. C’est dans cette direction, à la fois géostratégique, humaine et solidaire qu’une politique nationale de la jeunesse africaine trouvera tout son sens. 


Entretien réalisé par Brahim Mokhliss

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