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Le Bitcoin ou l’An 1 du nouveau système monétaire international

Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.

Le Bitcoin ou l’An 1 du nouveau système monétaire international
La bulle se produit lorsque la valeur de l’actif est exagérément supérieure aux revenus qu’il procure. Or, dans le cas du Bitcoin, nous dépassons la fiction de loin, car à la base il n’y a aucun revenu généré par cet actif.

Les monnaies virtuelles ont fait l’apparition suite à la méfiance généralisée qu’a causée la crise de 2008, à l’égard du système bancaire. L’idée d’une monnaie développée par des algorithmes informatiques complexes, échappant au contrôle des gouvernements et gérée d’une manière démocratique par les internautes est très séduisante. Elle est surtout en phase avec l’accélération de la numérisation des sociétés. Après tout, la faillite d’une banque classique entraîne dans son sillage celle de ses clients qui perdent toutes leurs épargnes. Un risque quasi inexistant sur Internet, puisque chacun gère son propre compte. Mais est-ce vraiment aussi simple que ça ? 

D’où provient la valeur d’une monnaie ?
Jusqu’aux années 1970, la valeur d’une monnaie était indexée directement ou indirectement (à travers le dollar) sur un métal précieux, en l’occurrence l’or. Ce dernier présentant des qualités de rareté, de préservation et d’esthétique. Il pouvait, ainsi, représenter un excellent réservoir de valeur contre lequel s’échangeraient les différentes monnaies nationales. La règle était donc fort simple : un pays ne doit imprimer en monnaie nationale que l’équivalent de ses avoirs en métal jaune. Or depuis l’effondrement du système monétaire international, tel que conçu à Bretton Woods en 1944 et l’abandon de la convertibilité or – dollar en 1971, la valeur des monnaies des pays n’est plus indexée sur l’or, mais déterminée en fonction de leur puissance économique. Aujourd’hui, la valeur d’une monnaie est liée aux biens et aux services que produit le pays qui l’émet et à leur importance pour le reste du monde. En d’autres termes, même si elle est virtuelle, une monnaie a toujours pour support des biens physiques contre lesquels on peut la transformer (Or ou richesse produite par le pays qui l’émet). Par ailleurs, la monnaie est également l’expression économique d’un pouvoir politique qui en protège la valeur par les armes s’il le faut. Or dans le cas du Bitcoin, le support n’est qu’un programme informatique dont l’origine est inconnue (on va supposer naïvement que c’est le cas) et qui ne dispose d’aucune force protectrice. 
Par ailleurs, en tant qu’instrument de placement, le Bitcoin est encore plus dangereux. En effet, la valeur de tout actif est fixée par les revenus futurs actualisés que cet actif est censé générer. Dans le cas d’actions, on perçoit des dividendes. Dans le cas d’obligations, on perçoit des coupons. Dans le cas de l’immobilier, on perçoit des loyers, etc. La bulle se produit lorsque la valeur de l’actif est exagérément supérieure aux revenus qu’il procure. Or, dans le cas du Bitcoin, nous dépassons la fiction de loin, car à la base il n’y a aucun revenu généré par cet actif. Dès lors, comment expliquer le développement de cette chimère ?

À la recherche d’une nouvelle suprématie monétaire
Les États-Unis ne tirent pas seulement leur puissance d’une économie productive, d’une grande force militaire ou d’une culture envahissante, mais également d’un statut privilégié du dollar dont ils veulent garder la primauté vaille que vaille. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ils étaient littéralement le seul pays développé à sortir debout de ce conflit, avec une production industrielle record et un territoire épargné de la destruction, contrairement aux autres puissances y compris leur pire ennemi de l’époque l’Union soviétique. Ils ont profité de cette situation pour donner au billet vert un statut unique dans les annales de l’histoire humaine. Il est devenu la seule devise à avoir une valeur en or ; et toutes les autres devaient définir leur valeur par rapport au dollar. En contrepartie de cet immense privilège, les États-Unis se sont engagés à rembourser à la première demande les dollars détenus par les différents pays en or. Une promesse qu’ils n’ont, par ailleurs, jamais tenue. 
En 1971, voyant le considérable avantage que leur procurait le dollar disparaître, ils ont «convaincu» les pays du Golfe de libeller toutes leurs transactions sur le pétrole en dollar et à placer la manne financière générée par le premier choc pétrolier de 1973 dans les marchés financiers occidentaux. Cet accord, qui est connu dans l’histoire sous le nom du «recyclage des pétrodollars», a donné un deuxième souffle au dollar. Aujourd’hui avec la préparation de «l’après-pétrole» et la multiplicité des accords entre grands pays pour l’usage de leurs monnaies nationales dans les transactions bilatérales (Chine et Russie par exemple), le statut du dollar est à nouveau sérieusement menacé, même s’il reste prépondérant dans les transactions internationales. Par conséquent, c’est le moment où jamais de préparer une nouvelle situation de rente monétaire pour les États-Unis. En développant l’idée d’une monnaie virtuelle mondiale réalisée par des programmes informatiques dont les auteurs seraient «inconnus», les États-Unis s’offriront un avantage unique qui dépasse de loin celui des accords de Bretton-Woods. En effet, non seulement les Américains sont les maîtres absolus de l’économie numérique (ils pourront donc à tout moment connaître le détail des transactions financières et les contrôler, ce qui rend l’idée de l’anonymat du concepteur du Bitcoin, risible), mais c’est eux qui contrôlent la fonction racine d’Internet, à travers le IANA «Internet Assigned Numbers Authority». En effet, les structures les plus fondamentales d'Internet sont sous le contrôle de l'ICANN, l'«Internet Corporation for Assigned Names and Numbers», société à but non lucratif, soumise au droit californien. Son pouvoir est très étendu, puisqu’elle gère l’extension «.com» et peut suspendre des noms entiers de domaines, comme ce fut le cas pour les extensions de domaines afghans et irakiens. Autrement dit, imaginez un instant que votre compte en banque soit réduit à un portefeuille virtuel pouvant être supprimé par un clic à l’autre bout du monde ! C’est la géo-économie à l’état pur.

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