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Enfoncer des portes ouvertes

En dépit de l’entrée effective en vigueur de la finance islamique au Maroc, certains auteurs trouvent le moyen de mettre encore en doute et avec beaucoup de suffisance une activité qui a plus d’un demi-siècle d’existence, qui totalise plus de 2 trillions de dollars d’actifs, qui fait l’objet de milliers d’articles scientifiques et d’ouvrages rédigés par d’éminents chercheurs et qui est régulée par les plus grandes institutions financières internationales (FMI, IASB, Banques centrales, etc.), juste parce qu’ils ne partagent pas l’idéologie qui en est le soubassement.

Enfoncer des portes ouvertes
La fixation du niveau des taux d’intérêt, et donc des taux d’usure, est fonction de la politique monétaire d’un pays, et plus particulièrement de son niveau d’inflation.

De quoi s’agit-il ?
Pour beaucoup d’entre nous, les termes de la finance islamique sont indigestes et, pour d’autres, il ne s’agit que d’une manière déguisée de pratiquer le crédit à intérêts. Pour simplifier, il y a deux familles d’instruments de financement dans une économie, les instruments de dettes et les instruments de capitaux propres. En d’autres termes, soit que le bailleur de fonds met à la disposition de l’investisseur une somme d’argent, moyennant une certaine rémunération, quels que soient les résultats dégagés par l’investissement (dette), soit que bailleurs de fonds et investisseurs partagent les profits et les risques de l’investissement (capitaux propres). La finance islamique appartient à cette deuxième catégorie d’instruments de financement. Quant à sa déclinaison en différents produits (moudaraba, mousharaka, mourabaha, ijara), cela prendrait certainement moins de temps à expliquer que d’autres produits de la finance classique, tels que les options sur indices, les contrats d’assurance en unités de comptes, les dérivés de crédit ou le pricing des swaps de change.
Quelques termes de la finance islamique
• Moudaraba : contrat d’association entre un moudarib (entrepreneur) et un rab el mal (bailleurs en fonds). Le premier apportant son talent et ses capacités managériales et le second les capitaux nécessaires au financement d’un projet.
• Mousharaka : partenariat entre une institution financière et une entreprise sur la base duquel l'institution financière comme l'entreprise investissent dans le projet. L'institution financière et son partenaire partagent les profits et les pertes selon des proportions prédéfinies.
• Mourabaha : technique de financement qui s’apparente à la location avec option d’achat ou à la vente à tempérament.
• Ijara : contrat d'achat dans lequel une institution financière achète un équipement ou une propriété et le loue en crédit-bail à une entreprise.
Source : lesechos.fr

Intérêts et usure : fausse distinction
Certains auteurs, tels que Fouad Laroui («Banque islamique et physique quantique», le 360.ma, 23-08-2017), estiment que ce qui doit être interdit, c’est l’usure (taux d’intérêt supérieur à 20% par exemple) et non l’intérêt que pratique même le Vatican, même s’il est interdit par le Nouveau Testament. Or ce que semblent oublier les défenseurs de cette thèse, c’est que la distinction intérêt/usure est peut-être philosophique ou morale, mais certainement pas économique. Car ce qui transforme un taux d’intérêt en taux d’usure n’est pas l’excès ou l’avidité du prêteur comme ils le pensent. La fixation du niveau des taux d’intérêt, et donc des taux d’usure, est fonction de la politique monétaire d’un pays, et plus particulièrement de son niveau d’inflation. Plus celle-ci est élevée, plus les taux directeurs le seront et, par voie de conséquence, les taux auxquels s’endetteront les différents agents économiques. Ainsi, au gré du niveau d’inflation, on peut facilement avoir des taux très élevés (cas de l’Égypte avec un taux directeur de 14,75%) ou des taux carrément négatifs (cas du Japon avec un taux de la banque centrale de -0,1%). Ainsi, au risque de nous répéter, ce n’est pas la banque qui détermine ce taux d’intérêt dit «normal», mais la Banque centrale. Dans le peu de pays développés ayant une réglementation formelle de l’usure, le taux d’usure est toujours déterminé en fonction du taux d’intérêt moyen (lui-même dépendant du niveau des taux directeurs et donc de la politique monétaire). À titre d’exemple, en France, le taux d’usure sur les prêts immobiliers de plus de 20 ans n’est que de 3,25% en 2017, soit un tiers de plus que le taux d’intérêt moyen qui est de 2,44%. Ça n’a donc rien à voir avec l’excès !

Quelle est la philosophie derrière l’interdiction de l’intérêt ?
Ainsi, ce qui est interdit par la Charia, c’est le fait, pour un agent économique disposant juste de capital financier, de réaliser des profits sans prendre des risques opérationnels et n’ajoutant aucune valeur au processus de production. Cette déconnexion entre sphère économique et sphère financière est ce qui est décrié par beaucoup d’économistes, comme source des crises de plus en plus violentes qui secouent le monde. C’est la raison pour laquelle le verset coranique II, 275, énonce clairement l’objet de l’interdiction «Allah a rendu licite le commerce, et illicite l'intérêt», car le commerce est porteur de risques, contrairement au prêt à intérêts. Selon la pensée économique islamique, le profit devient illicite dès lors qu’il est dissocié d’une prise de risque opérationnel.
Le capital doit produire de la richesse et non du capital. Le déterminant du profit doit être l’économie réelle et non le capital lui-même. L’intérêt, dans ces conditions, s’apparente à de l’inceste financier.

Pourquoi est-ce plus cher que le crédit classique ?
Précisons que le prix de n’importe quel actif financier (islamique ou classique) est déterminé par trois paramètres : les flux de trésorerie qu’il va générer pour l’investisseur, leur séquencement dans le temps et les risques liés à leur réalisation. Ainsi, plus les flux d’un investissement sont élevés, éloignés dans le temps et à risque, plus le prix de l’actif sous-jacent sera élevé, et vice versa. À son lancement au Maroc, certains clients ont découvert que le prêt islamique était plus cher que le prêt classique ; et qu’en cas de décès, c’est la banque qui récupère la maison, contrairement aux crédits classiques où grâce à l’assurance, ce sont les héritiers qui récupèrent le bien. Techniquement, il n’y a aucune raison qui expliquerait des différences importantes de tarification pour le même client et le même bien.
Aujourd’hui, les crédits islamiques sont plus chers parce qu’ils ne bénéficient pas encore des mêmes avantages fiscaux que les crédits classiques (droits de mutation et TVA). D’un autre côté, les crédits islamiques sont également couverts par des assurances Takaful dont l’entrée en vigueur est prévue pour bientôt au Maroc. Mieux encore, au terme de la période de crédit, si le client est toujours en vie, il pourra récupérer une partie de la prime d’assurance Takaful, contrairement à l’assurance commerciale traditionnelle où cette prime revient de plein droit à l’assureur. En guise de conclusion, si la finance islamique ne faisait qu’intégrer dans le circuit financier des clients qui en étaient exclus, en raison de leurs convictions religieuses, elle aurait largement rempli sa mission. 

 

Par Nabil Adel
M. Adel est chef d'entreprise, consultant et professeur d’Économie, de stratégie et de finance. Il est également directeur général de l'Institut de Recherche en Géopolitique et
Géo-économie à l'ESCA.
[email protected]

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