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L’élite et les peuples

Le World Economic Forum, qui se tient cette semaine en Suisse, réunit cette année 3.000 participants, dont 1.200 patrons et une cinquantaine de Chefs d’État et de gouvernement, pour débattre du thème du «leadership réactif et responsable». Le choix de ce thème semble pertinent quand on consulte les résultats de l’étude du cabinet PWC publiée à l’ouverture du Forum et qui révèle que 60% des patrons jugent positifs les effets de la mondialisation, contre 38% dans la population. La semaine prochaine se tiendra au Brésil le Forum social mondial, une rencontre qui tente depuis 2001 de proposer un cadre théorique et pratique permettant d’envisager une mondialisation de type nouveau et d’affirmer qu’un autre monde, moins inhumain et plus solidaire, est possible. Retour sur ces deux forums rivaux.

Davos, Porto Alegre, deux endroits qui accueillent deux grands forums qui font chaque année, au cœur de l’hiver, la une des journaux et alimentent des discussions politico-économiques. Le World Economic Forum (WEF) à Davos et le Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre, chacun selon sa logique, abordent de façon très claire la question de la mondialisation. L’enjeu est de taille et donne l’impression que c’est le destin de l’humanité qui est en jeu. Chaque année, au Brésil et en Suisse, ces deux forums rivaux vont partager les mêmes préoccupations, mais sous des angles d’attaque différents. Hormis, le thème de la mondialisation, ces deux forums sont connus pour ne partager aucun point en commun.

Le World Economic Forum a lieu à Davos dans une petite commune de 12.000 habitants à l’est de la Suisse. Celle-ci se transforme pendant quelques jours en foyer économique qui capte l’attention du monde entier. Cette petite ville rassemble plus de 2.000 global leaders, autrement dit, les principaux responsables de la planète – Chefs d’État, banquiers, financiers et patrons des grandes entreprises transnationales. Quoi de mieux qu’une station de ski huppée pour accueillir le gotha mondial de la finance et des transnationales ? Moins sectaires qu’on le croit, les organisateurs de Davos veillent à convier à leurs débats une sélection d’intellectuels, d'artistes et de chercheurs, voire des syndicalistes.

Le principal objectif de ces élites mondialisées est de faire le point sur les avancées de l’économie de marché, du libre-échange et de la déréglementation, de formuler des recommandations pour combattre l’inflation, réduire les déficits budgétaires, poursuivre une politique monétaire restrictive, encourager la flexibilité du travail, démanteler l’État-providence et stimuler le libre-échange.

Ils ont surtout vanté l’ouverture croissante des pays au commerce mondial, les efforts des gouvernements pour réduire les déficits, les dépenses et les impôts. Ils ont applaudi aux privatisations. Ce qui a valu au WEF d’être qualifié de «centre de l’hyper libéralisme», de «la capitale de la mondialisation» ou encore du «foyer principal de la pensée unique». On reproche de plus en plus à cette élite qui se réunit au Davos de défendre un modèle qui l’avantage. En 2009, Jacques Attali confiait au quotidien suisse «La Liberté» : «Il ne faut y voir rien de plus qu’une machine à café mondiale où des gens se rencontrent, bavardent, se serrent la main, échangent des tuyaux et s’en vont». Somme toute, c’est le manque d’impact qui est souvent reproché au Forum de Davos.

Porto Allègre a jeté, dans un cadre novateur, les bases d’un véritable contre-pouvoir au néolibéralisme tant défendu par Davos. Le FSM défend une mondialisation multidimensionnelle. Cette dernière doit se préoccuper non seulement de l’économie, mais aussi de la protection de l’environnement, de la crise des inégalités sociales et des droits humains et il revient aux citoyens de la planète et non seulement à une élite de les prendre en main. C’est dans cette optique que le FSM réunit chaque année un public sensiblement différent de celui du WEF : dirigeants syndicaux, responsables d’associations, fondations et organisations non gouvernementales, représentants de réseaux de mouvements citoyens – culturels, écologiques, féministes, de droits humains, etc. – de tous les continents. Le choix du lieu, qui répond à l’esprit du FSM, est aussi très symbolique.

Porto Alegre, au Brésil, dans l’hémisphère sud, est considérée comme un laboratoire social et comme une ville singulière, où se développe une démocratie pas comme les autres. En termes d’évolution, il a suffi de trois années pour que Porto Alegre devienne le grand rendez-vous de la contestation antimondialiste. Entre 2001, date de création du FSM, et 2003, le FSM avait réuni respectivement 20.000, 55.000, puis 100.000 personnes, remportant ainsi un franc succès face au WEF qui n’accueillait que 2.150 participants en 2003.
Certes, beaucoup de choses distinguent ces deux forums, mais ils restent sans conteste des lieux de pensée et d’influence. Les idéologies et les intérêts en présence dans ces deux espaces de débat sont totalement différents, toutefois, le WEF et le FSM partagent la même ambition, à savoir : peser sur les évolutions économiques et politiques de la planète. 


Davos – dates clés

1971 : Première édition du Forum avec comme objectif de promouvoir un modèle de management européen – il s’appelait d’ailleurs «European Management Forum».

1987 : C’est la date à laquelle le forum est devenu le «Forum économique mondial». Son fondateur, Klaus
M. Schwab, était impressionné par le modèle américain, notamment dépeint dans «Le Défi américain» du Français Jean-Jacques Servan-Schreiber.

1996 : Première mise en garde envers la mondialisation formulée par le professeur Klaus Schwab, fondateur du Forum de Davos : «La mondialisation est entrée dans une phase très critique. Le retour de bâton se fait de plus en plus sentir. On peut craindre qu’il ait un impact fort néfaste sur l’activité économique et la stabilité politique de nombreux pays».

2000 : Tout tournait autour de Seattle et révélait la prise de conscience quant au déficit démocratique qui accompagne la mondialisation.

2001 : Prise au sérieux des protestations citoyennes qui, de Seattle à Nice, ont lieu désormais, systématiquement, lors de chaque sommet des grandes institutions qui gouvernent, de fait, le monde : Organisation mondiale du commerce, Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation de coopération et de développement économiques, G7 et même Union européenne.

2017 : Le WEF accueille pour la première fois le Président chinois Xi Jinping.


Manifeste de Porto Alegre

Porto Alegre, 29 janvier 2005 Les signataires :

Tariq Ali (Pakistan), Samir Amin (Égypte), Walden Bello (Philippines), Frei Betto (Brésil), Atilio Boron (Argentine), Bernard Cassen (France), Eduardo Galeano (Uruguay), François Houtart (Belgique), Armand Mattelart (Belgique), Adolfo Pérez Esquivel (Argentine), Riccardo Petrella (Italie), Ignacio Ramonet (Espagne), Samuel Ruiz Garcia (Mexique), Emir Sader (Brésil), José Saramago (Portugal), Roberto Savio (Italie), Boaventura de Sousa Santos (Portugal), Aminata Traoré (Mali), Immanuel Wallerstein (États-Unis).
Dans «Manifeste de Porto Alegre», les signataires s’expriment à titre strictement personnel et ne prétendent aucunement parler au nom du Forum. Ils ont identifié douze propositions issues du FSM qui font à la fois sens et projet pour la construction d’un autre monde possible et permettraient aux citoyens de commencer à se réapproprier ensemble leur avenir :
Ce socle minimal est soumis à l’appréciation des acteurs et mouvements sociaux de tous les pays. C’est à eux qu’il appartiendra, à tous les niveaux – mondial, continental, national et local –, de mener les combats nécessaires pour qu’elles deviennent réalité. Nous ne nous faisons en effet aucune illusion sur la volonté réelle des gouvernements et des institutions internationales de mettre en œuvre spontanément ces propositions, même quand, par pur opportunisme, ils en empruntent le vocabulaire.

I. Un autre monde possible doit respecter le droit à la vie pour tous les êtres humains grâce à de nouvelles règles de l’économie. Il faut donc :

1. Annuler la dette publique des pays du Sud, qui a déjà été payée plusieurs fois, et qui constitue, pour les États créanciers, les établissements financiers et les institutions financières internationales, le moyen privilégié de mettre la majeure partie de l’humanité sous leur tutelle et d’y entretenir la misère. Cette mesure doit s’accompagner de la restitution aux peuples des sommes gigantesques qui leur ont été dérobées par leurs dirigeants corrompus.
2. Mettre en place des taxes internationales sur les transactions financières (en particulier la taxe Tobin sur la spéculation sur les devises), sur les investissements directs à l’étranger, sur les bénéfices consolidés des transnationales, sur les ventes d’armes et sur les activités à fortes émissions de gaz à effet de serre. S’ajoutant à une aide publique au développement qui doit impérativement atteindre 0,7% du produit intérieur brut des pays riches, les ressources ainsi dégagées doivent être utilisées pour lutter contre les grandes pandémies (dont le sida) et pour assurer l’accès de la totalité de l’humanité à l’eau potable, au logement, à l’énergie, à la santé, aux soins et aux médicaments, à l’éducation et aux services sociaux.
3. Démanteler progressivement toutes les formes de paradis fiscaux, judiciaires et bancaires qui sont autant de repaires de la criminalité organisée, de la corruption, des trafics en tout genre, de la fraude et de l’évasion fiscales, des opérations délictueuses des grandes entreprises, voire des gouvernements. Ces paradis fiscaux ne se réduisent pas à certains États constitués en zones de non-droit ; ils comprennent aussi les législations de certains pays développés. Dans un premier temps, il convient de taxer fortement les flux de capitaux qui entrent dans ces «paradis» ou qui en sortent, ainsi que les établissements et acteurs, financiers et autres qui rendent possibles ces malversations de grande envergure.
4. Faire du droit de chaque habitant de la planète à un emploi, à la protection sociale et à la retraite, et dans le respect de l’égalité hommes-femmes, un impératif des politiques publiques, tant nationales qu’internationales.
5. Promouvoir toutes les formes de commerce équitable en refusant les règles libre-échangistes de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et en mettant en place des mécanismes qui permettent, dans les processus de production des biens et services, d’aller progressivement vers un alignement par le haut des normes sociales (telles que consignées dans les conventions de l’Organisation internationale du travail [OIT]) et environnementales. Exclure totalement l’éducation, la santé, les services sociaux et la culture du champ d’application de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC. La convention sur la diversité culturelle actuellement en négociation à l’Unesco doit faire explicitement prévaloir le droit à la culture et aux politiques publiques de soutien à la culture sur le droit du commerce.
6. Garantir le droit à la souveraineté et à la sécurité alimentaires de chaque pays ou regroupement de pays par la promotion de l’agriculture paysanne. Cela doit entraîner la suppression totale des subventions à l’exportation des produits agricoles, en premier lieu par les États-Unis et l’Union européenne, et la possibilité de taxer les importations afin d’empêcher les pratiques de dumping. De la même manière, chaque pays ou regroupement de pays doit pouvoir décider souverainement d’interdire la production et l’importation d’organismes génétiquement modifiés destinés à l’alimentation.
7. Interdire toute forme de brevetage des connaissances et du vivant (aussi bien humain, animal que végétal), ainsi que toute privatisation des biens communs de l’humanité, l’eau en particulier.

II. Un autre monde possible doit promouvoir le «vivre ensemble» dans la paix et la justice à l’échelle de l’humanité. Il faut donc :

8. Lutter, en premier lieu par les différentes politiques publiques, contre toutes les formes de discrimination, de sexisme, de xénophobie, de racisme et d’antisémitisme. Reconnaître pleinement les droits politiques, culturels et économiques (y compris la maîtrise de leurs ressources naturelles) des peuples indigènes.
9. Prendre des mesures urgentes pour mettre fin au saccage de l’environnement et à la menace de changements climatiques majeurs dus à l’effet de serre et résultant en premier lieu de la prolifération des transports et du gaspillage des énergies non renouvelables. Exiger l’application des accords, conventions et traités existants, même s’ils sont insuffisants. Commencer à mettre en œuvre un autre mode de développement fondé sur la sobriété énergétique et sur la maîtrise démocratique des ressources naturelles, en particulier l’eau potable, à l’échelle de la planète.
10. Exiger le démantèlement des bases militaires des pays qui en disposent hors de leurs frontières, et le retrait de toutes les troupes étrangères, sauf mandat exprès de l’ONU. Cela vaut en premier lieu pour l’Irak et la Palestine.

III. Un autre monde possible doit promouvoir la démocratie du local au global. Il faut donc :

11. Garantir le droit à l’information et le droit d’informer des citoyens par des législations : mettant fin à la concentration des médias dans des groupes de communication géants ; garantissant l’autonomie des journalistes par rapport aux actionnaires ; et favorisant la presse sans but lucratif, notamment les médias alternatifs et communautaires. Le respect de ces droits implique la mise en place de contre-pouvoirs citoyens, en particulier sous la forme d’observatoires nationaux et internationaux des médias.
12. Réformer et démocratiser en profondeur les organisations internationales et y faire prévaloir les droits humains, économiques, sociaux et culturels, dans le prolongement de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Cette primauté implique l’incorporation de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international (FMI) et de l’OMC dans le système et les mécanismes de décision des Nations unies. En cas de persistance des violations de la légalité internationale par les États-Unis, il faudra transférer le siège des Nations unies hors de New York dans un autre pays, de préférence du Sud.

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