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La politique étrangère américaine à l’épreuve du «trumpisme»

L’élection de Donald Trump avait suscité une grande consternation. La vérité c’est que l’environnement géopolitique et géo-économique international a contribué à sa victoire : terrorisme, Brexit, crise économique… Ce qui surprend le plus, c’est sa vision du monde qui peut mener à plusieurs changements au niveau géopolitique.

La politique étrangère américaine  à l’épreuve du «trumpisme»
Ph.AFP

Après son élection, le Président américain Donald Trump n'a pas manqué, dans des entretiens avec plusieurs médias, de critiquer l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) et l’UE, qu’il qualifie de «véhicule pour les intérêts allemands». Il ne s’est pas non plus interdit de critiquer les accords internationaux, d’attaquer la Chine sur des questions de frontières. Certains reconnaîtront que dédain, brutalité, imprévisibilité et mercantilisme sont les adjectifs appropriés pour qualifier les sorties médiatiques qui laissent percevoir l’orientation de la politique étrangère du 45e président américain. Donald Trump pourrait donc bien être à l'origine d’un virage et d'un changement majeur dans les rapports de force et les alliances géopolitiques mondiales et de déceptions, aussi bien géopolitiques que géo-économiques. Le monde se divise déjà entre certitude pour les uns et incertitude pour les autres.

L’Amérique d’abord

Durant toute sa campagne électorale, Donald Trump n’a pas cessé de marteler le slogan «America First» (L’Amérique d’abord) qui semble guider ses choix géo-économiques. Quant à sa politique étrangère, elle est vraisemblablement fondée sur le principe du «Great again». Il ne fait pas de doute que Trump adhère à la doctrine des relations internationales réalistes et hostiles au mondialisme tant économique que géopolitique. Il s’érige comme le premier Président américain favorable à un monde multipolaire de l'après-Guerre froide. Ce qui semble correspondre à la vision de Vladimir Poutine et à sa référence en matière de politique étrangère russe qui prône un monde multipolaire pluraliste dans lequel la Russie entend vouloir travailler «avec des partenaires responsables et indépendants pour une organisation du monde plus juste et plus démocratique garantissant la sécurité et l’épanouissement de tous». La Russie a toujours redouté la puissance américaine et nourrit un sentiment d’encerclement de la part de l’OTAN. L’Occident avait proféré plus d’une menace et plus d’un signal hostile envers la Russie post-soviétique : l'ex-commandant en chef adjoint de l'OTAN pour l'Europe, Sir Richard Shirreff, dans son roman intitulé «2017 : guerre avec la Russie», estimait qu’une guerre nucléaire russo-américaine est «hautement probable». Quelque temps plus tard, le chef d'état-major de l'armée américaine, Mark Milley, avait affirmé, en 2016, qu'une guerre avec la Russie est «quasiment certaine». Les dernières déclarations de Trump comportaient des critiques à l’encontre de l’OTAN, il est allé jusqu’à remettre en cause l’article 5 de cette organisation pour que les membres asiatiques et européens soient plus responsables et prennent en main financièrement et stratégiquement leur défense. D’un autre côté, Trump a manifesté la volonté de s'entendre avec la Russie.

Pour Trump, l’extrémisme violent est la principale menace, et elle concerne aussi bien la Russie que les États-Unis, donc ces deux puissances peuvent parfaitement concevoir une alliance du monde chrétien et constituer une vaste coalition militaire russo-occidentale tant souhaitée par le Président russe depuis le début de la guerre civile face aux djihadistes pour aller en guerre contre le terrorisme en Irak, en Libye, en Syrie ou ailleurs.
Sur un autre plan, quand Trump adresse des critiques continuelles contre l’octroi par les États-Unis de budgets conséquents à l’OTAN pour renforcer cette organisation face à la Russie, sans que pour autant les pays européens augmentent leurs budgets. Cela laisse présager un probable dénouement de la question du bouclier antimissile. Pour résumer, le fait est que Trump a envisagé verbalement de rénover, voire de démanteler l'OTAN, ce qui en pratique peut s’avérer être une tâche très ardue qui réhabilite déjà Poutine et renforce le statut de la Russie post-soviétique, souvent humiliée par l’OTAN (voir encadré 1) et laisse entrevoir une collaboration, peut-être aux dépens de l'Europe. Une telle situation fait planer l’ombre d’une reconfiguration des rapports de force entre la Russie et l’OTAN dans le bassin stratégique de la mer Noire.

L’Europe doit se demander comment faire sans l’appui considérable du grand frère américain face à une Russie qui a officialisé l’installation d’un bouclier antimissile en Crimée afin de rebâtir une aire d’influence. D’autant plus que Trump n’a jamais précisé clairement s’il s’opposerait à une nouvelle intervention militaire de Vladimir Poutine sur ses frontières occidentales, laissant planer une menace sur les pays frontaliers de la Russie, en particulier, les pays baltes, l’Ukraine et la Pologne.

Une telle situation offre une opportunité à la Grande-Bretagne, qui pourra jouer un rôle de premier ordre dans la défense européenne pour compenser sa sortie de l’Union européenne. La réduction, voire le retrait, de la protection militaire américaine va au-delà de l’Europe pour concerner certains pays asiatiques, tels que le Japon et la Corée du Sud, ce qui pourrait déclencher une course à l’armement nucléaire dans la région, d’autant plus que le Président élu a non seulement fait part de son admiration pour le leader nord-coréen, Kim Jong-un, mais ce dernier avait même appelé à voter pour lui. Ce qui pourrait faire basculer la région asiatique dans une spirale de la terreur.

De surcroît, les tensions sino-américaines risquent sans doute de s’accroître dangereusement, compte tenu des propos très virulents de Donald Trump contre la Chine. Trump a affirmé que «tout était sur la table, y compris la politique de la Chine unique», laissant entendre qu’il pourrait discuter directement avec Taipei, rompant avec l’usage diplomatique en vigueur depuis 1979, et a rappelé, selon l’AFP, que les États-Unis avaient conclu en 2015 une transaction avec Taipei de «2 milliards de dollars d’équipement militaire dernier cri». À ces propos s’ajoutent les préconisations inquiétantes de Rex Tillerson, chef de la diplomatie américaine, lors de son audition début janvier, à savoir interdire au gouvernement de Xi Jinping l’accès à certains îlots contrôlés par Pékin en mer de Chine du Sud : «Nous allons devoir envoyer un signal clair à la Chine, pour lui signifier que les constructions sur les îles [contestées] doivent cesser, et que [son] accès à ces îles ne sera plus permis». Le contrôle de l’accès à cette zone maritime par la Chine serait, selon lui, une menace contre «l’ensemble de l’économie mondiale». L’ancien PDG d’Exxon Mobil qualifie la situation d’«extrêmement inquiétante». Il n’a pas hésité à comparer la construction qu’il juge «illégale» et la militarisation de ces îles artificielles par Pékin à «l’annexion de la Crimée par la Russie». Titiller une Chine désireuse de régler un jour ses comptes avec les États-Unis (mer de Chine) et la Russie (Sibérie) peut s’avérer fatal pour l’avenir de la planète (voir encadré 2).

Au Moyen-Orient, les décisions Donald Trump pourraient entraîner un bouleversement de la carte de cette région, s’il met à exécution ses dires, qui laissent entendre l’adoption d’une stratégie radicalement opposée à celle des alliés traditionnels de Washington, puisqu’elle consiste à s’allier avec Poutine et, par transition, avec Bachar al-Assad, en déployant une force militaire considérable en Irak et en Syrie.

En ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, la réaction de Donald Trump, suite au vote de la résolution 2334 dans un Tweet : «Les choses seront différentes après le 20 janvier», conforte le sentiment qu’il fera preuve de partialité dans ce conflit. Un sentiment conforté par le choix du futur ambassadeur en Israël, David Friedman, connu pour son soutien idéologique à la colonisation et son opposition à un État palestinien, ce qui en dit long sur ses intentions. L’implication de Donald Trump, Président élu, mais qui n'était pas encore en fonction, pour faire avorter le projet de résolution, n’a réussi qu’à moitié. Les pressions sur l’administration Obama afin que les États-Unis usent de leur droit de veto n’ont rien donné. Par contre, il est arrivé à faire renoncer l’Égypte à son initiative. Cette dernière avait présenté le texte de la résolution pour le retirer juste après, selon le «New York Times», Sissi ayant cédé au lobbying d’Israël et de Trump.

L’Iran, un acteur stratégique dans la région, court le risque, d’après plusieurs experts et sur la base des déclarations de Trump, de se retrouver sur le banc des nations. Mais ceci s’avère être une tâche ardue.
Les États-Unis ne sont pas les seuls signataires de l’accord de juillet 2015, qui lie également la Russie, la Chine, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni à l’Iran. D’autant plus que l’Iran offre des opportunités d’investissements et se trouve être un des plus grands producteurs de pétrole. Le conseiller en politique étrangère de Trump, Walid Phares, envisage le scénario d’une possible renégociation. «Il se peut que des négociations sur certaines clauses de l'accord nucléaire Iran/5+1 soient relancées et soumises au Congrès». Une renégociation qui risque de donner naissance à des tensions entre les pays signataires.

Connu pour être imprévisible, Donald Trump n’en serait pas à sa première volte-face.
Les accords de libre-échange en ont aussi pâti, le recul de la compétitivité américaine et l’ampleur des déficits extérieurs, dans un contexte de perte de l’influence politique et géostratégique, ont inspiré à Donald Trump une «agressivité» dans ses relations commerciales avec les pays tiers, et du coup l'Accord transpacifique et l'Accord de libre-échange nord-américain se trouvent pointés du doigt (voir encadré 3).
Grosso modo, Trump critique l’OTAN et appelle les pays européens et asiatiques à prendre en main leur destin, et donc à s'autonomiser en matière de défense, pourrait renégocier l’accord sur le nucléaire arraché après une décennie de négociation, pourrait envenimer la situation au Proche-Orient avec sa position sur la crise palestinienne, créer un conflit armé en mer de Chine. Cela rend sceptique quant à l’avenir du monde et ajoute un troisième principe à la politique étrangère de Donald Trump «Apocalypse now», en plus de «America’s first» et de «Great again». Il nous reste à espérer que l’alliance avec la Russie l’amènera à calmer ses ardeurs. n


Quand la Chine parle de «confrontation dévastatrice» en réponse aux propos de Donald Trump et de son chef de la diplomatie

Les réactions de Pékin aux propos de Donald Trump et de Rex Tillerson ne se sont pas fait attendre : le ministère chinois des Affaires étrangères a été très explicite dans son communiqué du 15 janvier : «Il n’y a dans le monde qu’une seule Chine, Taïwan est une région inaliénable du territoire chinois, et le gouvernement de la République populaire est le seul gouvernement légitime de Chine». Le texte précise aussi que «Le principe d’une Chine unique est le fondement politique des relations sino-américaines, il n’est pas sujet à négociation».
Quant à interdire à Pékin l’accès aux îlots qu’il contrôle en mer de Chine méridionale, le journal «Global Times» a jugé l’idée «insensée», à moins que l’objectif soit une «guerre à grande échelle» entre les États-Unis et la Chine, ce que le «China Daily» envisage sous forme d’une «confrontation dévastatrice».
Donald Trump et son chef de la diplomatie ont dépassé la ligne rouge en s’attaquant à la question de l'intégrité territoriale chinoise. Nul n'ignore la loi édictée par la Chine en 1992 sur ses eaux territoriales, selon laquelle elle s’appropriait officiellement et unilatéralement les deux archipels qu'elle contrôle, dont elle a fait, au même titre que le Tibet et Taïwan, une question nationale.
Les choix de Trump seraient vraisemblablement guidés par l’indépendance énergétique, le Président élu faisant de la politique énergétique une partie intégrante de sa politique étrangère. Les relations améliorées avec la Russie, le choix de Rex Tillerson, l’ancien PDG d’ExxonMobil, la première compagnie pétrolière privée mondiale, pour en faire son ministre des Affaires étrangères, le fait de chercher à rentrer en conflit avec la Chine, pays énergivore, en mer de Chine, une région avec une dimension géostratégique capitale liée aux réserves en hydrocarbures supposées : il s’agit là d’agissements qui rappellent l’idée très défendue par Trump dans son programme, à savoir que les États-Unis ne seraient plus otages de qui que ce soit, y compris des pays de l’OPEP, pour leur approvisionnement pétrolier.


Quand l’OTAN titille Poutine

En 1991, la fin de la Guerre froide marque une nouvelle ère pour l’OTAN sur la base du «Nouveau concept stratégique». Au lieu de disparaître, l’organisation voit le champ géographique de son action s’élargir. Les pays membres entament désormais une coopération avec les anciens adversaires de l’organisation, afin de lutter contre toute menace à la sécurité de l’Europe tout entière, incluant les pays de l’Est. Les Russes ont donc usé de tout leur pouvoir pour faire échouer les pourparlers d’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie. En juin 2010, l’Ukraine renoncera à être candidate.
Depuis, d’autres pays de l’Europe de l’Est en sont devenus membres, un élargissement qui n’a cessé de s’amplifier jusqu’à nos jours, une évolution qui ne semble pas être du goût de la Russie, puisqu’elle qualifie cette politique d’«inamicale et fermée». Pour le pays des Tsars, le constat est sans appel : l’OTAN commence à empiéter sur l’ancienne sphère d’influence soviétique, générant comme l’a si bien précisé l’ambassadeur russe à Bruxelles le «syndrome de l’État situé sur la ligne de front». Une situation qui se confirmerait à travers la tactique du «tourniquet» proposée par l’organisation et qui consiste à baser sa nouvelle brigade blindée tous les neuf mois dans chacun des pays baltes, contournant ainsi l’accord de 1997 qui interdisait tout déploiement par l’Alliance d’une base permanente dans un de ces pays membres frontaliers de la Russie.
La tenue de la réunion à Varsovie le mois de juillet dernier (où fut signé le pacte de Varsovie en 1955) n’a fait qu’accentuer la rancœur russe vis-à-vis de cette structure qui a survécu à l’URSS. Et comme si cela ne suffisait pas, le Président ukrainien, bien que son pays ne soit pas un État membre de l’OTAN, a été invité à la réunion de l’Organisation dans la capitale polonaise où le Président Barack Obama lui a renouvelé le soutien des États-Unis d’Amérique aux efforts déployés pour défendre la souveraineté et l’intégrité territoriale, en rappelant la nécessité de respecter les accords de Minsk.
Or, bien avant la rencontre de Varsovie, deux faits avaient préparé le terrain à la colère de la Russie. Il s’agit de l’annonce, en février dernier, par le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, du quadruplement des dépenses du pentagone en Europe de l’Est pour l’année 2016-2017. Et pour que la provocation soit à son comble, des manœuvres portant le nom «Anakonda» ont eu lieu à la frontière russe et à quelques jours du sommet de Varsovie. Ces manœuvres ont mobilisé 30.000 hommes, 200 blindés, 105 avions et 12 navires.


Le Traité transpacifique à l’ordre du jour

Le TPP n’est pas le seul traité critiqué par Trump. Dans une de ses sorties médiatiques, Donald Trump entend renégocier ou entamer une procédure pour se retirer de l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain) en invoquant l'article 2205 de ce dernier s'il n'obtenait pas gain de cause. Déjà durant sa campagne électorale, il avait avancé qu’il voulait renégocier l'accord au profit des États-Unis, dans une perspective de protectionnisme. Lors de son passage en Pennsylvanie, il l’avait qualifié de «désastre». La nomination de Wilbur Ross, un homme d'affaires connu pour avoir critiqué publiquement l'Accord, en tant que responsable du département du Commerce aux États-Unis, en dit long sur la perception du libre-échange par le 45e Président américain. Contraindre Apple à produire aux États-Unis d’Amérique et imposer un droit de douane de 35% sur les voitures Ford produites au Mexique figuraient parmi les promesses faites par Donald Trump aux États de Floride, de Pennsylvanie, de Caroline du Nord et du Wisconsin.

Bouchra Rahmouni Benhida
Professeur à l’Université Hassan Ier, elle est aussi visiting professor aux USA, en France et au Liban. Ses travaux de recherche lui ont permis d’intervenir dans des forums mondiaux et des special topics dans des institutions prestigieuses à Hong Kong, en France, au Liban, aux Emirats arabes unis et en Suisse. Elle compte à son actif plusieurs ouvrages : «L’Afrique des nouvelles convoitises», Editions Ellipses, Paris, octobre 2011, « Femme et entrepreneur, c’est possible», Editions Pearson, Paris, novembre 2012, « Géopolitique de la Méditerranée », Editions PUF, avril 2013, «Le basculement du monde : poids et diversité des nouveaux émergents», éditions l’Harmattan, novembre 2013 et de « Géopolitique de la condition féminine », Editions PUF, février 2014. Elle a dirigé, l’ouvrage «Maroc stratégique : Ruptures et permanence d’un Royaume», éditions Descartes, Paris, 2013.

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