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Les lauréats des facultés toujours recalés par les recruteurs

Le constat est dur, mais semble n'étonner plus personne : les lauréats des universités publiques sont les mal-aimés du marché de l’emploi. Ils constituent, en effet, la majorité des diplômés chômeurs avec un taux de 25,3% en 2016, selon le Haut Commissariat au Plan. Les établissements de l’enseignement supérieur public, accusés d’être axés sur la transmission des connaissances plutôt que des compétences, n’éveillent que très rarement l’intérêt des recruteurs qui préfèrent les lauréats des grandes Écoles et des filières sélectives.

Les lauréats des facultés toujours recalés  par les recruteurs

La situation empire pour les jeunes diplômés des Facultés. De 24,1% en 2014 puis 24,4% en 2015, le taux de chômage parmi cette population est monté à 25,3% en 2016, selon le Haut Commissariat au plan (HCP). Une tendance haussière qui inquiète et remet de nouveau en question la qualité de la formation dispensée par nos établissements universitaires, notamment ceux à accès ouvert.

«Je suis étonné que ce pourcentage ne soit pas beaucoup plus élevé ! Plus personne n’est surpris par le naufrage de l’enseignement supérieur public au Maroc, vu que la majorité des filières ne correspond plus à la réalité du marché», s’indigne Ali Serhani, directeur associé du cabinet de conseil en recrutement, Gesper Services. «Il faut se rendre à l’évidence que des filières telles que les études islamiques, l’histoire-géographie, l’archéologie, la littérature arabe, la physique-chimie, la philosophie, les relations internationales… sont complètement “Has been”», lance-t-il.
Les recruteurs que nous avons interrogés suite à la publication des chiffres du HCP pointent du doigt l’éternelle problématique de l’inadéquation formation-emploi, plus accentuée chez cette catégorie de diplômés. «Le système scolaire n’arrive pas toujours à suivre le rythme des transitions économiques. Le passage d’une économie industrielle à une économie numérique a fait que les étudiants fraîchement diplômés ne sont pas toujours en phase avec les attentes des entreprises de plus en plus concurrencées et devant faire preuve d’ingéniosité et de créativité», explique Ismaïl Belabbess, consultant RH, associé MCBI Conseil. Il indique également que ces jeunes diplômés se sentent discriminés par rapport à leurs camarades lauréats du privé et développent un déficit de confiance en leurs capacités et un manque en estime de soi. De plus, le système éducatif ne leur apprend pas comment «bien vendre leurs compétences».

Ce regard très sévère porté sur la formation publique met sur la défensive les responsables des établissements, même s’ils admettent implicitement le triste constat. C'est alors qu'ils soulignent tous les efforts déjà consentis ou en cours, visant à hisser le niveau de la formation et sa mise en concordance avec les besoins du monde
professionnel.

«Ce constat mérite tout de même d’être nuancé», soutient le président de l’Université Cadi Ayyad (UCA) de Marrakech, Abdellatif Miraoui, fervent défenseur de l’enseignement public. «95% des femmes et des hommes qui construisent et portent le Maroc d’aujourd’hui ont été formés dans les universités publiques marocaines»,
argue-t-il. Mais ceci ne l’empêche pas de concéder que le constat du HCP montre que «le rôle de l’université a changé et que de nouveaux paradigmes se sont imposés». Des rôles qui ne se cantonnent désormais plus dans la transmission du savoir et dans le développement et l’évolution culturelle et sociologique des sociétés. Tous ces éléments ont été pris en considération dans les démarches et stratégies de l’UCA qui, comme le souligne son président, ont été inscrites «dans les standards internationaux qui astreignent les universités à être à l’écoute des questions liées aux enjeux socio-économiques, à l’insertion professionnelle et à l’adéquation entre formation et emploi». De son côté, le président de l’Université Hassan II de Casablanca (UH2C), Driss Mansouri, signale que «la majorité de ces diplômés chômeurs sont des lauréats des filières “Licences d’études fondamentales” qui représentent dans notre établissement, par exemple, 60% des diplômés. Et c’est probablement le cas des autres universités marocaines». Ce qui représente un nombre de lauréats à formation générale élevé qu’«aucune économie ne peut absorber», résume-t-il. Contrairement aux lauréats issus des filières à accès régulé dont «le taux d’insertion dépasse les 90% dès la première année de l’obtention du diplôme». Le responsable préconise la diversification et la professionnalisation des curricula des filières incriminées, mais souligne que cela nécessite plus de moyens humains et matériels. La mise en place d’un véritable système de passerelle, d’orientation et de réorientation des étudiants est également indiquée, «car beaucoup de bacheliers s’inscrivent dans des filières à accès ouvert sans avoir les pré-requis nécessaires».

Tout en reconnaissant que la situation est inquiétante, le coordonnateur du Pôle entrepreneuriat, innovation et interface de la Faculté des sciences Ben M'Sik, Anass Kettani, avance que ce taux «peut être revu à la baisse en fonction des niveaux (Licence, Master, Doctorat) et surtout en fonction des spécialités». Il ne renie cependant pas la responsabilité de l'Université «qui doit varier davantage ses spécialités» et rappelle celle du tissu économique qui doit également consentir des efforts pour absorber un maximum de diplômés.

La Faculté des sciences de Ben M'Sik, fait savoir le Pr Anass Kettani, a adopté des réformes en master et licence professionnelle en adéquation avec les besoins du milieu socio-économique «qui ont permis de réduire fortement le taux de chômage avec une insertion professionnelle facilitée par des stages de pré-embauche dans le cadre des projets de fin d'études». Sans parler des efforts déployés pour encourager la formation en entrepreneuriat. 


Le chômage des diplômés en chiffres

Sur les 11.085.000 actifs diplômés âgés de 15 ans et plus, 854.000 sont en situation de chômage.
En 2016, le taux de chômage a atteint 14,3% parmi les détenteurs d’un diplôme de niveau moyen, avec un pic de 23,2% parmi les actifs ayant un certificat de spécialisation professionnelle, et s’est établi à 21,9% parmi les détenteurs d’un diplôme de niveau supérieur atteignant sa valeur maximale (25,3%) pour les lauréats des facultés.
(Source : HCP)


Déclarations

Pr Anass Kettani, coordonnateur du PE2I, Faculté des sciences Ben M'Sik 

«Le triste record du chômage des lauréats des Facultés annoncé par le HCP est inquiétant, cette moyenne peut être revue à la baisse en fonction des niveaux (licence, master, doctorat) et surtout en fonction des spécialités. Cependant, l'Université est certainement responsable de la formation et doit varier davantage ses spécialités. Le tissu économique a également la responsabilité de mettre tous les moyens en œuvre pour absorber un maximum de diplômés dont le pays a besoin. Cela va dans le sens de la politique royale pour la réalisation des grands projets d’investissements industriels. Dans notre Faculté, les réformes adoptées en master et licence professionnelle en adéquation avec le milieu socio-économique ont permis de réduire fortement le taux de chômage, avec une insertion professionnelle facilitée par des stages de pré-embauche dans le cadre des projets de fin d'études. L'élaboration de nouveaux modules de formations en licence et master se fait également en concertation avec les acteurs du monde de l'entreprise pour répondre au mieux à la demande. Par ailleurs, de grands efforts sont déployés par l'Université Hassan II de Casablanca pour encourager la formation à l'entrepreneuriat, levier incontournable de notre économie. Il s'agit de sensibiliser les jeunes à devenir des entrepreneurs au lieu de choisir le salariat. À cet effet, notre établissement a mis en place le Pôle entrepreneuriat, innovation et interface (PE2I) pour l'accompagnement et le suivi des jeunes étudiants entrepreneurs de l'idée à la concrétisation de leur projet. Notre Pôle participe aux grands projets européens dans le renforcement de l'entrepreneuriat au Maghreb. Donc le partage de notre expérience va dans le sens que la réduction du taux de chômage des diplômés universitaires doit passer nécessairement par le montage des formations en collaboration avec les acteurs du tissu économique fin d’anticiper les besoins en compétences et favoriser
l'insertion des jeunes via le parrainage». Propos recueillis par M.S.

Abdellatif Miraoui, président de l’Université Cadi Ayyad

«Tout d’abord, il est important de souligner que 95% des femmes et des hommes qui construisent et portent le Maroc d’aujourd’hui ont été formés dans des universités publiques. Un Maroc en pleine mutation économique et sociale grâce à des stratégies ambitieuses orchestrées par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. C’est pour dire à quel point la société marocaine compte sur l’enseignement public. Cela explique également les vives critiques à son encontre, souvent à juste titre. Cependant, ce constat mérite tout de même d’être nuancé. Nous devons considérer l’intérêt suscité comme un privilège puisqu’il nous confirme encore dans notre rôle, rôle que nous assumons pleinement. Pour revenir à votre constat, ces chiffres viennent nous conforter dans l'idée qu’il est temps pour les universités publiques de se rendre à l’évidence. Leurs rôles ne se cantonnent désormais plus dans la transmission du savoir et dans le développement et l’évolution culturelle et sociologique des sociétés. Le rôle de l’université a changé et de nouveaux paradigmes se sont imposés. Nous avons pris conscience à l’Université Cadi Ayyad de cet état de fait. Aussi, avons-nous décidé d’inscrire nos démarches et nos stratégies dans les standards internationaux qui astreignent les universités à être à l’écoute des questions liées aux enjeux socio-économiques, à l’insertion professionnelle et à l’adéquation entre formation et emploi. Ainsi, et en tenant compte également de la donne économique de l’étudiant qui est issu d’un milieu modeste, nous avons été en mesure de cerner les carences des profils de nos lauréats, qui bien qu’ils aient une grande maîtrise en termes de savoir, font montre d’un déficit en matière de savoir-être et de savoir-vivre (soft et life skills), ainsi que d’un déficit au niveau des outils linguistiques à même de leur permettre de consolider leurs capacités de communication et d’ouverture sur un monde complexe et globalisé. L’Université Cadi Ayyad est résolue à garantir une meilleure intégration des étudiants de l’UCA dans leur environnement en innovant en termes d'accompagnement et de suivi, en vue de permettre le développement personnel et l'épanouissement au sein de son université. Elle est également déterminée à doter ses étudiants de nouvelles compétences afin de mettre toutes les chances de leur côté pour réussir leur insertion dans le monde professionnel et favoriser l'employabilité. L’UCA a donc intégré dans la formation initiale des modules “Langues et cultures” qui seront produits et supervisés par le Centre des langues et culture, standardisés à toutes les Licences professionnelles et tous les Masters, et renforcés par des plateformes de langues et un système de certification. Un système similaire est mis en place pour les modules “Soft Skills” et “Insertion professionnelle”». Propos recueillis par M.Se.

Ismaïl Belabbess, consultant RH, associé MCBI Conseil

«La note du HCP dévoile des chiffres inquiétants sur le taux de chômage des jeunes, plus particulièrement chez les lauréats de l’université publique. Cela peut s’expliquer en partie par les effets d’une économie mondialisée touchée par la crise qui dure depuis plusieurs années. Mais aussi par la transition d’une économie industrielle à une économie numérique qui fait que les étudiants fraîchement diplômés ne sont pas toujours en phase avec attentes des entreprises de plus en plus concurrencées et devant faire preuve d’ingéniosité et de créativité. Le système scolaire n’arrive pas toujours à suivre ce rythme. Parmi les chiffres communiqués par le Haut Commissariat au Plan, on peut voir que le taux de chômage a enregistré 25,3% chez les détenteurs d’un diplôme supérieur, un taux plus important que chez les actifs ayant un certificat de spécialisation professionnelle (21,9%). Cela peut s’expliquer par le déphasage des formations dispensées avec la réalité du monde professionnel. Mais il faut aussi souligner qu’il y a des stéréotypes qui discriminent l’enseignement public. Celui-ci est délaissé au profit de l’enseignement privé considéré comme étant plus performant. Et les entreprises privilégient dans leurs recrutements, notamment pour les postes de haut niveau, des profils issus des Écoles de commerces, d’ingénieurs plutôt que les lauréats universitaires. Ces derniers sont parfaitement conscients de la situation et en sont par conséquent moins confiants en leurs capacités et perdent leur estime de soi, d’autant plus que ce système éducatif ne leur apprend pas à mieux “vendre leurs compétences”».    Propos recueillis par S.Ba.

Ali Serhani, directeur associé Gesper Services

«Le HCP parle de 25,3% comme taux de chômage parmi les diplômés pour l'année 2016. Je suis étonné que ce pourcentage ne soit pas beaucoup plus élevé ! Plus personne n’est surpris par le naufrage de l’enseignement au Maroc vu que les filières toujours ouvertes dans nos universités ne correspondent plus à la réalité du marché. Il faut se rendre à l’évidence : des filières telles que les études islamiques, l’histoire-géographie, l’archéologie, la littérature arabe, la physique-chimie, la philosophie, les relations internationales… sont complètement “Has been”. Il est vrai que ces filières sont indispensables à tout pays, car la polyvalence de la culture est nécessaire pour son développement, mais le marché de l’emploi à travers le monde dicte ses exigences et on doit s’y plier. Mais ce n’est pas en suivant des études en déphasage avec la réalité du marché qu’on réussira à relever le défi. Il n’est toutefois pas trop tard pour sauver les générations à venir. À mon avis, le Maroc a adopté un Plan d’accélération industrielle qui englobe des métiers mondiaux et d’avenir. Ceux-ci correspondent aux profils qui seront recherchés et qu’il faut préparer en orientant les formations sans ce sens. Idem pour le secteur des énergies renouvelables. Sans oublier que le Maroc s’ouvre sur l’Afrique, ce qui exige une meilleure connaissance du continent et de ses rouages économiques, financiers et juridiques. Les formations doivent de ce fait être en anglais et très pointues. L’importance de la maîtrise des langues n’est plus à démontrer, il faut être quadrilingue (arabe, anglais, français et espagnol) pour rester dans la compétition. Tout ceci est plus facile à dire qu’à faire, me direz-vous. Mais avec les technologies de l’information, le monde de la connaissance s’offre à nous d’un simple clic. L’accès à l’information permet de compléter ce que nos écoles ou universités nous apprennent dans l’attente d’une refonte complète de notre système éducatif». Propos recueillis par N.M.

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