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RSE : Pourquoi les entreprises font de la résistance

L’importance d'une démarche RSE dans les entreprises n'est plus à démontrer. Et bien que la question ait fait couler beaucoup d'encre ces dernières années, plusieurs entreprises n'en font pas une priorité, quand d'autres n'y pensent même pas. Car une stratégie RSE risque de bouleverser les modes de gouvernance auxquels ils sont habitués. Serait-il temps que la loi s'en mêle ?

RSE : Pourquoi les entreprises font de la résistance

Dans un Maroc de plus en plus engagé en faveur du développement durable, de la protection de l’environnement et du respect des droits de l’Homme, certaines entreprises ont volontairement adopté une démarche RSE (responsabilité sociale des entreprises), conscientes qu'elles sont des enjeux stratégiques et opérationnels qu'engage la prise en compte des différentes préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités et leurs interactions avec les parties prenantes.

Malheureusement, toutes les entreprises ne disposent pas d’une stratégie RSE. Ce sont surtout les multinationales et grandes structures qui font l'effort de s'y mettre. «Légalement, rien n’empêche les entreprises et organisations, quel que soit leur type, d’instaurer une politique RSE, bien au contraire. La responsabilité d’une entreprise commence tout d’abord par le respect de l’ensemble des lois qui lui sont applicables et la mise en place des actions pour contribuer au développement de la communauté locale», indique Mohammed Aziz Derj, président de l’association RSO au Maroc. De son côté, Selma El Hassani Sbai, professeure de droit à la Faculté de Rabat-Agdal et chercheuse en sciences de la gouvernance, explique que les entreprises marocaines, «imprégnées par un mode centralisé de gouvernance, éprouvent des difficultés à intégrer de manière concrète les mécanismes du «bon gouvernement d’entreprise». De même, les organisations sont habituées à un mode de gouvernance marqué par une certaine réticence

vis-à-vis des exigences de la transparence». Mais «si toutes les entreprises n’instaurent pas une démarche RSE, elles sont indéniablement de plus en plus nombreuses à l’intégrer dans leurs stratégies. Il ne faut pas oublier que le concept est apparu au Maroc il y a seulement une douzaine d’années. Beaucoup de choses ont évolué depuis, notamment sous l’impulsion de la CGEM qui en a fait l’un des axes prioritaires de sa propre stratégie. Il a fallu vulgariser le concept, le rendre attractif pour les entreprises en leur donnant les moyens de sa mise en œuvre. En adoptant une démarche très pragmatique à travers la création de la Charte et du Label RSE, on peut dire qu’aujourd’hui la plupart des entreprises savent de quoi il s’agit et ont intégré à des degrés divers une démarche RSE», nuance Saïd Sekkat, président de la commission RSE & Label à la CGEM. N’étant pas encore généralisée dans toutes les organisations marocaines, la question est de savoir si la stratégie RSE doit devenir obligatoire légalement ou non. «Il faut bien comprendre que par essence la RSE repose sur une démarche volontaire des organisations qui souhaitent s’extraire de la vision réductrice de la gouvernance et font le choix d’être socialement responsables, c’est-à-dire d’assumer pleinement la dimension sociétale de leurs activités. 

C’est cette approche consensuelle et volontaire qui confère toute son originalité, son intérêt et son efficacité à la RSE, dans la mesure où elle pousse les entreprises à aller au-delà des exigences légales afin de se conformer aux attentes éthiques de leurs parties prenantes», explique El Hassani Sbai. Et d’ajouter : «En matière de RSE, le levier d’implémentation le plus adapté et probablement le plus efficace, n’est sans doute pas d’opter pour une approche coercitive et obligatoire, approche qui a de toute manière largement montré ses limites, compte tenu du fait qu’une bonne partie des dispositions légales obligatoires ne sont pas appliquées par les entreprises. L’idée consiste plutôt à utiliser les effets économiques indiscutablement positifs de la RSE pour faire jouer l’attractivité plutôt que la coercivité».

Même son de cloche chez Aziz Derj qui affirme que les entreprises ont plus besoin d’incitations que d’obligations à développer la RSE. «Il existe déjà des lois et réglementations sur l’ensemble des volets que couvre la RSE, peut-être qu’il est nécessaire de mettre à jour certains textes et combler quelques lacunes qui existent actuellement. Mais le plus qui différencie la RSE de la conformité réglementaire ne peut être obligatoire, car il dépend de chaque entreprise, de son contexte et de ses capacités et surtout de sa stratégie et de son engagement. La loi 99-12 portant charte de l’environnement et du développement durable envisage l’adoption d’une stratégie nationale de développement durable qui invite les administrations, les institutions et les sociétés publiques et privées à s’inscrire dans la dynamique du développement durable et de la responsabilité sociétale et environnementale», précise le président de l’association RSO au Maroc, tout en insistant sur l’urgence d'accélérer la sortie des décrets d’applications. «Si la RSE devient obligatoire, elle ne serait plus RSE mais une conformité légale. La RSE, c’est avant tout de l’autorégulation des entreprises.

L’État est dans son propre rôle pour faire respecter le droit de travail, mais la RSE a aussi un rôle primordial à jouer pour l’amélioration du climat des affaires et l’épanouissement des entreprises et pour leur permettre d’assumer leur responsabilité, car elles ne sont pas isolées mais opèrent dans un environnement qui impacte, à des degrés différents, leurs comportements. C’est pour cela qu’on parle également de RSO (Organisation) et que toutes les organisations (administrations, collectivités locales, associations, universités…) ont une responsabilité à adopter», souligne de son côté, Saïd Sekkat. Le président de la commission RSE & Label à la CGEM salue par la même occasion le rapport du CESE du mois d’août dernier sur la RSO, qui dresse une liste de recommandations au gouvernement pour une meilleure intégration de la démarche RSE. «À la CGEM, nous préférons encourager les démarches volontaires et ça passe avant tout par notre capacité à convaincre les entreprises qu’il est de leur intérêt d’initier ou de renforcer leur démarche RSE», indique-t-il. En effet, la RSE permet à l’entreprise de gagner en performance, en rentabilité, en durabilité et en pérennité. «Elle est en mesure de conférer à l’entreprise marocaine un avantage concurrentiel significatif compte tenu des exigences des donneurs d’ordre étrangers en termes de RSE, qui les poussent à rechercher en priorité des sous-traitants RSE conformes», note El Hassani Sbai.

L’intérêt d’une démarche RSE, selon Aziz Derj, est tout d’abord de bien connaitre le contexte où l’entreprise opère, d’identifier ses enjeux et ses parties prenantes ainsi que leurs attentes. Ensuite, définir et mettre en place une stratégie qui tient compte de ces éléments pour lui assurer une amélioration de ses performances et de sa pérennité. «La RSE apporte entre autres comme avantage : une meilleure réputation de l’entreprise, une meilleure image, des économies en matière de gestion des ressources énergétiques, une meilleure mobilisation du personnel…», fait savoir Derj. «Il est fondamental de noter que la RSE n'est pas une simple déclaration d'intention, une politique de communication destinée à améliorer l'image et la réputation de l'entreprise. C'est au contraire, et il faut le dire avec force, un dispositif juridique de changement qui induit des effets concrets, mesurables et quantifiables. D'où l'intérêt de disposer de mécanismes tels que ceux organisés par la CGEM et qui permettent de manière constante d'évaluer la réalité des engagements RSE des entreprises labélisées», insiste Selma El Hassani Sbai. 


Saïd Sekkat, président de la commission RSE & Label à la CGEM :

«Nous voulons amener plus de PME à adhérer à la démarche RSE»

Notre rôle est d’abord la vulgarisation du concept de la RSE, puis la sensibilisation des entreprises à l’impact positif d’une démarche RSE sur leur gestion. Dans ce sens, nous avons organisé depuis octobre 2016 des sessions de formation gratuites sur la RSE au profit des entreprises désireuses d’avancer sur le sujet, en les accompagnant dans l’appropriation et l’opérationnalisation de leur démarche. Nous avons commencé par trois régions (Oriental, Nord et centre) et nous poursuivons ces formations vers les autres CGEM Régions.
Notre rôle est aussi d’informer et proposer des outils aux entreprises. C’est pourquoi nous avons développé un site entièrement dédié à la RSE, qui informe sur les fondements et les instruments internationaux de la RSE, l’évolution du concept, et met à la disposition des entreprises une bibliothèque fournie en études et documents en lien avec les différentes thématiques de la RSE, une sélection des bonnes pratiques et un test d’auto-évaluation permettant aux entreprises de situer leurs pratiques et d’aller de l’avant.
Également, nous avançons sur des sujets très sensibles tels que l’inclusion des personnes en situation de handicap dont un guide a été publié en janvier 2017. Le projet «Wad3éyati» pour la promotion de l’égalité professionnelle homme/femme au sein des entreprises avec un accompagnement gratuit des entreprises est en cours de déploiement. Nous travaillons aussi avec les entreprises sur la question de leur engagement envers la communauté et la structuration de leur démarche sociétale par le choix de leurs partenaires associatifs et les sujets les plus adaptés en fonction de leur secteur d’activité. Un guide est en cours de rédaction sur cette question. Par ailleurs, nous poussons les entreprises à développer leur pratique RSE sur des sujets tels que la culture de l’achat responsable, la gestion et valorisation des déchets, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, le respect des droits de l’Homme dans la chaine d’approvisionnement, etc. Parallèlement, nous voulons à la CGEM amener plus de PME à adhérer à la démarche, notamment à travers le partenariat établi avec Maroc PME.»


Mohammed Aziz Derj, président de l’association RSO au Maroc :

«Le bien-être de l’Homme est placé au cœur de nos préoccupations»

«La mission que s’est donnée notre association RSO au Maroc est de développer, appuyer et promouvoir l’esprit de la RSE, des organisations et des personnes pour un développement durable, économiquement viable et équitable. Tout cela dans un espace où le bien-être de l’Homme est placé au cœur de nos préoccupations.
Chaque année, le bureau de l’association établit un programme constitué de séminaires, de workshop sur des thématiques en rapport avec la RSE et le développement durable afin de sensibiliser les chefs d’entreprises et leurs cadres à l’importance de la RSE et à son intérêt, pour la pérennité et la performance des organisations. Nous organisons aussi annuellement les “Rencontres internationales de la RSO”, sur un sujet toujours en rapport avec la RSE et le développement durable, mais qui intéresse également le continent africain. Nous invitons à ce congrès l’administration, le monde de l’université et le secteur privé pour permettre le partage des connaissances et d’expériences et rapprocher les compréhensions de ces sujets. À cet effet, des conventions de partenariat ont été signées avec le ministère de l’Environnement, l’Université Hassan II, et d’autres conventions sont en cours. Nous organisons également un cycle de formation permettant d’outiller les responsables chargés de la mise en place de la démarche RSE de méthodologie et de bonnes pratiques dans le domaine.»


Entretien avec Selma El Hassani Sbai, professeur de droit à la Faculté de Rabat-Agdal et chercheuse en sciences de la gouvernance

«Une entreprise socialement responsable, c’est d’abord une entreprise qui intègre les principaux mécanismes du bon gouvernement d’entreprise»

Éco-Emploi : Pourquoi la RSE est-elle très peu abordée par le droit ?
Selma El Hassani Sbai : La frilosité de la recherche juridique sur la question de la Responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) s'explique en partie par la transversalité de la thématique. Elle se situe, en effet, à l'intersection des sciences de gestion, de l'économie et du droit. Cette multidisciplinarité déroute fortement les juristes et les trouble dans leurs approches classiques du droit et de la régulation, d'autant plus que la RSE, en se fondant sur l'autorégulation ou ce qu'on appelle le «droit mou», bouleverse l'essence même de la règle de droit, à savoir la contrainte. Ces différents éléments génèrent une sorte de méfiance spontanée des juristes, face à un concept qui les oblige à rénover en profondeur leurs approches et leurs méthodes d'analyses.

L'intérêt plutôt faible de la recherche en droit s’oppose-t-il à la qualification juridique de la RSE ?
L'enracinement juridique profond de la RSE dans le droit plaide au contraire pour la nécessité et la pertinence d'un travail de qualification juridique de celle-ci. De ce point de vue, j'estime que l'élément de caractérisation juridique le plus porteur de sens réside dans la capacité de la RSE à réguler et à tempérer la gouvernance d'entreprise en introduisant des outils de contrôle qui tiennent compte de la capacité de l'entreprise à interagir positivement avec ses différentes parties prenantes. Il s'agit d'un changement décisif qui induit des effets juridiques concrets au sein des entreprises. En effet, il ne s'agit plus de contrôler et d'évaluer la qualité de la gestion et de la direction par rapport au degré de satisfaction des attentes des actionnaires. La qualité et l'efficience des stratégies entrepreneuriales sont désormais mesurées en fonction du degré de satisfaction des différentes parties prenantes.

Cet élargissement du gouvernement d'entreprise n’impacte-t-il pas la performance des entreprises ?
Il est important de comprendre que la RSE n'est pas une révolution extrémiste qui vise à brimer la capacité de l'entreprise à être rentable. C'est au contraire un dispositif de changement dont le but est d'éviter aux entreprises les risques les plus préoccupants en termes de gouvernance, en inscrivant leur stratégie dans des démarches responsables et sensées. Toutes les études le disent, la RSE permet sur le long et moyen termes d'avoir des niveaux d'efficience économique plus élevés et plus pérennes.

Quelles sont les principales manifestations juridiques de la RSE ?
En tant que mécanisme alternatif de contrôle des sociétés commerciales, la RSE induit des effets juridiques majeures que ce soit au niveau du macro ou du micro-droit.
Au niveau du macro-droit, la RSE change fondamentalement le rapport à la contrainte comme outil de conformité à la loi, en introduisant une nouvelle forme de normes, à savoir le droit mou ou la Soft Law qui repose sur des mécanismes d'incitation et d'émulation et dont les résultats en termes de conformité sont particulièrement
encourageants.
Au niveau de l'entreprise, les effets sont nombreux. Je retiendrai en particulier la rénovation en profondeur des mécanismes les plus décisifs du gouvernement d'entreprises.
En effet, les actionnaires s’impliquent plus grâce à l'apparition d'un actionnariat d'un nouveau type lié à l'investissement socialement responsable. On note aussi une meilleure efficience du conseil d'administration qui devient un outil primordial d'évaluation des stratégies menées par le dirigeant en termes de responsabilité sociétale, une aggravation des devoirs de compétences et d'indépendance des administrateurs, plus grandes exigences à l'égard des auditeurs légaux, apparition de nouvelles obligations comme l'obligation de rendre compte de son impact sociétal.

Pourquoi toutes les entreprises ne mettent-elles pas en place une stratégie RSE ?
Du point de vue juridique, les éléments de blocage peuvent être identifiés essentiellement à deux niveaux : les modes de gouvernance et de la transparence. Ainsi, la RSE repose fondamentalement sur une structuration juridique équilibrée et pondérée de la gouvernance. Une entreprise socialement responsable, c’est d’abord une entreprise qui intègre les principaux mécanismes du bon gouvernement d’entreprise.
Or, on sait combien les entreprises marocaines, publiques et privées, imprégnées par un mode centralisé de gouvernance, éprouvent de difficultés à intégrer de manière concrète les mécanismes du bon gouvernement d’entreprise. Il s’agit là d’un obstacle de type structurel qui appelle une approche rénovée et globale des problématiques liées à la gouvernance d’entreprise.
En outre, la RSE repose sur un préalable fondamental qui est la transparence et l’accessibilité renforcée aux informations sociales, sociétales et environnementales relatives aux activités des entreprises et des organisations.
Ce levier central de la RSE rencontre, là encore, des résistances importantes au niveau des entreprises marocaines. À cet égard, l’introduction de l’obligation du reporting extra-financier au niveau des grandes entreprises publiques et privées, comme l’ont fait d’autres pays, nous semble tout à fait pertinente, à la fois pour permettre l’accessibilité aux informations sociétales des entreprises, mais aussi, pour leur permettre de prendre conscience, de manière formalisée, de leur impact sur l’environnement et leur contexte sociétal. 

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