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«Un accès trop facile aux nouvelles technologies peut avoir un effet négatif sur la mémoire»

Invité de l'École française internationale (EFI), le professeur Francis Eustache, neuropsychologue s’intéressant aux relations entre le cerveau et le comportement, a animé mardi dernier une conférence sur le thème «La mémoire aux différents âges de la vie : l'apport des neurosciences et de la neuropsychologie». En marge de cette conférence, ce professeur aux multiples distinctions à l’international a bien voulu accorder un entretien au journal «Le Matin».

«Un accès trop facile aux nouvelles technologies peut avoir un effet négatif sur la mémoire»
Francis Eustache, neuropsychologue s’intéressant aux relations entre le cerveau et le comportement.

Le Matin : En tant que neuropsychologue, vous menez des travaux sur la mémoire. Quelle définition donnez-vous déjà de la «mémoire» ? Et y a-t-il plusieurs types de mémoire ?
Francis Eustache :
La mémoire est tout simplement la fonction qui nous permet d’enregistrer, de stocker et de récupérer des informations. C’est une définition trop simple, car il existe en effet différents types de mémoire. Des mémoires qui nous permettent à la fois de former des apprentissages très généraux, savoir conduire une voiture par exemple, mais c’est aussi la mémoire des souvenirs et qui est beaucoup plus précise, la mémoire d’événements précis situés dans le temps et dans l’espace. On peut donc distinguer plusieurs types de mémoire telles que la mémoire sémantique, qui est la mémoire des connaissances définitives, ou la mémoire épisodique, qui concerne les connaissances sur le monde qui nous environne. Donc il y a plusieurs types de mémoire qui interagissent les unes avec les autres.

Dans l’une de vos publications, vous avez déjà évoqué la possibilité d’entraîner le cerveau afin de repousser l’apparition des signes cliniques des maladies neurodégénératives ? Où en êtes-vous dans vos recherches dans ce domaine ?
Il s’agit d’études épidémiologiques, donc d’études faites sur de grands corps de personnes qu’on suit pendant des années. Les études réalisées dans ce domaine tendent à montrer une baisse de l’incidence des maladies dégénératives (l’incidence c’est les nouveaux cas par an). C’est très important dans la mesure où dans nos pays il est important de voir, avec le vieillissement de la population, si les cas des pathologies dégénératives comme la maladie d’Alzheimer sont de plus en plus nombreux ou pas. Ce que les études montrent ces dernières années est que cette incidence a tendance à baisser. Une baisse qui a certainement un lien avec différentes variables. D’un côté, il y a les politiques de santé publique comme le contrôle des pathologies cardio-vasculaires qui interagissent avec les pathologies neurodégénératives, mais c’est aussi, et c’est ce que tendent à montrer ces études, les progrès en termes d’éducation. Cela veut dire que si les enfants et les adolescents bénéficient de plus d’éducation, ils vont avoir un cerveau plus fort et mieux préparé pour faire face aux maladies. Ce cerveau mieux préparé, ce qu’on appelle la réserve cognitive ou la réserve cérébrale, va permettre de reculer l’âge de survenue de ce genre de maladies.

Pensez-vous que le progrès technologique actuel a une influence sur notre mémoire ? Si c’est le cas, quelle est la nature de cette influence ?
Les nouvelles technologies, comme le téléphone portable, c’est à la fois un bien, car cela nous permet d’avoir accès à beaucoup de connaissances, ce qui permet d’enrichir la mémoire. En même temps, ça peut être aussi un biais, car ça peut nous donner un accès un peu trop facile à la mémoire et, dans ce sens-là, ça peut avoir un effet négatif si on a un rapport trop superficiel avec les connaissances contenues dans ces médias. C’est un peu l’expression qu’on a aujourd’hui de «surfer sur internet». Cette expression résume un rapport avec l’information qui n’est pas en profondeur et le risque est que nos connaissances soient de plus en plus extérieures à nous et qu’on n’ait plus le temps de faire la synthèse. Avec un accès à internet, on va savoir où se trouve l’information, mais à un moment, il faut que cette information soit quelque part en nous. Je veux dire qu’il faut avoir un équilibre entre nos mémoires internes (celles qu’on forme) et les mémoires externes. Ce qui serait parfait est que ces mémoires externes complètent nos mémoires internes. Il faut un espace de synthèse, car à force de déléguer aux mémoires externes, on risque d’affecter cette capacité de synthèse.

Y a-t-il des comportements en particulier à adopter afin de préserver la mémoire ?
Pour préserver la mémoire, surtout en vieillissant, je pense qu’il y a certains aspects en termes d’hygiène de vie. Je parle d’activité sportive régulière, d’alimentation qui évite ce qui est trop sucré ou trop gras, mais également des comportements sur le plan cognitif. Par exemple, s’investir dans des associations caritatives, car c’est une activité qui a du sens. Ce genre d’activité basée sur l’échange permet de faire travailler la mémoire, car il faut se souvenir de certaines choses et surtout parce qu'on va interagir avec d’autres. Cette dimension d’interaction avec les autres est extrêmement importante, car c’est sans doute la dimension la plus compliquée de la mémoire. Se rappeler de telle ou telle personne, comment elle est, comment elle se comporte… c’est certainement les éléments les plus importants.

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