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C'est comme si ça se passait dans un autre pays

Par Nabil Adel Nabil Adel est Chef d'entreprise, chroniqueur, essayiste et enseignant-chercheur à l'ESCA - École de Management.La forte mortalité des entreprises au Maroc commence à prendre des proportions alarmantes ; les chiffres sont là et ils sont implacables. Ainsi, au-delà des drames économiques et sociaux que la défaillance d’entreprises engendre, c’est le rêve d’ascension sociale par l’entrepreneuriat qu’elle mine. Nos chiffres en la matière nous classent parmi les pires pays au monde. Alors que la situation s’aggrave chaque année, au lieu de lancer un plan d’urgence pour arrêter l’hémorragie, nos responsables politiques semblent avoir d’autres soucis, mais certainement pas celui-là.

C'est comme si ça se passait dans un autre pays
Le Parlement doit se saisir de la question et demander des comptes au gouvernement.

Des faits têtus et des chiffres secs qui mettent à nu notre fragilité économique
L’étude d’Inforisk sur la défaillance des entreprises marocaines a de quoi faire frémir tout un pays, car ce qu’elle révèle, sur la solidité de notre économie, est fortement inquiétant. Ainsi, le nombre de défaillances d’entreprises aurait augmenté de 12% en 2017 à 8.043 cas. Sur une longue période, ce chiffre a presque doublé en 4 ans et triplé en 9 ans. En 10 ans, la croissance annuelle moyenne de ces défaillances a été de 16%, soit 5 fois plus que la progression de la production nationale en volume sur la même période. Les secteurs les plus touchés sont le commerce, le BTP et l’immobilier, à raison de 72% des défaillances. Mais, le chiffre qui interpelle le plus est celui de la structure de la défaillance en fonction de la taille de l’entreprise. Le rapport nous enseigne que celle-ci frappe les TPME à raison de 96% des cas, les PME à hauteur de 3,2% des cas et les grandes entreprises à seulement 0,2% des cas. Par âge, la moitié des difficultés rencontrées par les entreprises le sont dans les cinq premières années d’exploitation. Un autre chiffre qui jette toute la lumière sur la fragilité de notre construction économique est que 90% de ces défaillances sont des faillites contre 10% de redressements judiciaires. En d’autres termes, nous sommes en présence d’échecs purs et simples et non de difficultés conjoncturelles passagères. Au niveau international, et avec une progression de 12% des défaillances en 2017, le Maroc ferme le classement des pays les plus touchés par ce phénomène aux côtés du Danemark (+69%) et de la République tchèque (+21%), alors que la croissance mondiale des défaillances n’a été que de 2,7%.

Silence radio auprès des responsables politiques
D’année en année, la situation de l’entreprise marocaine se dégrade ; et d’année en année la sonnette d’alarme est tirée à peu près à la même période et pourtant nos responsables se comportent comme si les chiffres concernaient un autre pays. Un rapport aussi inquiétant doit atterrir sur le bureau du chef de gouvernement qui doit d’urgence constituer une cellule de crise pour comprendre et agir sur un phénomène qui prend de plus en plus de l’ampleur et menace de secouer fortement notre économie dans les années à venir, tant il en sape l’un des fondements, à savoir la réussite en affaires. Le parlement, pour sa part, doit également se saisir de la question et demander des comptes au gouvernement. La forte mortalité des entreprises explique à elle seule beaucoup de maux dont souffre notre économie (chômage, manque de compétitivité, faiblesse à l’export, etc.) et ne doit en aucun cas être une information qu’on lit dans un rapport sans qu’elle suscite de réactions de la part de nos responsables à tous les niveaux.

Aux origines du mal
Le rallongement exagéré des délais de paiement demeure la principale difficulté à laquelle doit faire face toute jeune entreprise, surtout quand elle n’a pas les fonds propres ou les facilités bancaires nécessaires pour tenir plusieurs mois (dans certains secteurs on s’approche de l’année), en attendant d’encaisser le fruit de ses produits ou de ses prestations de services. Cette situation est d’autant plus aggravée que l’État premier donneur d’ordre dans ce pays et censé être irréprochable donne le mauvais exemple. En revanche, si les tensions de trésorerie peuvent expliquer une partie du problème, elles n’expliquent pas tout. La bureaucratie injustifiée de certaines administrations et le zèle de certains clients ayant un rapport de force à leur avantage amplifient le phénomène. Par ailleurs, beaucoup de jeunes entreprises gèrent mal leur structure de coûts et voient rapidement leurs charges fixes déraper (celles qui évoluent indépendamment du niveau d’activité) alors que leurs carnets de commandes ne sont pas encore stabilisés et que les délais de paiement sont incertains. Ils se retrouvent sous le diktat des fins de mois difficiles, en train de négocier des facilités bancaires au lieu de développer leurs ventes et améliorer leurs marges. Enfin, bien des entrepreneurs se lancent dans l’aventure sans avoir les outils nécessaires de management d’une entité aussi complexe que l’entreprise. Ils peuvent, en effet, être de bons vendeurs ou avoir une idée géniale, mais quoique nécessaires, ces qualités ne sont pas suffisantes pour réussir une affaire. Il faut savoir s’entourer, travailler en groupe, être patient, vivre dans l’incertitude et surtout gérer son égo face à un client qui vous malmène, un fournisseur qui vous menace d’arrêter les approvisionnements et un banquier qui vous fait «poireauter» devant son bureau pour une facilité de quelques milliers de dirhams.
La réussite dans les affaires est le moteur de toute dynamique économique, car si les perspectives d’ascension sociale par l’entrepreneuriat sont minées (l’ascension par l’éducation étant déjà passée par pertes et profits), que nous reste-t-il donc comme idéal dans notre pays ? 

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