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«Le combat pour l’égalité ne peut être mené par les femmes seules. Les hommes et les garçons sont également concernés»

Aujourd’hui n’est pas une journée comme les autres. Aujourd’hui, les femmes sont à l’honneur. Le 8 mars est la journée, par excellence, pour rappeler le combat que mènent les femmes pour acquérir leurs droits et s’approcher un peu plus de la parité. Des lois ont été adoptées certes, mais la réalité démontre que la bataille est loin d’être gagnée. Retour sur les principales avancées, les obstacles et les perspectives pour améliorer davantage la situation des femmes marocaines, avec Leila Rhiwi, représentante du bureau ONU-Femmes multi-pays Maghreb.

«Le combat pour l’égalité ne peut être mené par les femmes seules. Les hommes et les garçons sont également concernés»

Le Matin : Quelle évolution pour les droits des femmes au Maroc ?
Leila Rhiwi : Le Maroc s’est engagé, ces deux dernières décennies, dans des réformes constitutionnelles, législatives et institutionnelles pour l’égalité entre les sexes et la lutte contre les discriminations et les violences à l'égard des femmes. Le pays a adhéré aux standards internationaux en faveur de l’égalité hommes-femmes, à travers la ratification de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes (CEDAW) et de son Protocole facultatif. Pour rappel, le Maroc avait ratifié le protocole facultatif à la CEDAW en 2008, puis le gouvernement marocain l'a adopté en 2012 et le Parlement en mai 2015. Nous espérons que soient déposés les instruments relatifs à cette adhésion pour concrétiser l’entrée en vigueur de ce protocole auprès du secrétaire général de l'ONU. L’adoption également de la Plateforme et programme d’action de Pékin et la levée des réserves à la CEDAW en maintenant une déclaration interprétative. Le pays avait signé la Déclaration du Millénaire affirmant son engagement à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), et notamment l’OMD 3 visant à promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et a également réaffirmé ses engagements pour la réalisation de l’Agenda de 2030 des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier, l’objectif 5 : «parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles», à l’instar de l’ensemble de la communauté internationale. Sur le plan national et suite à l’adoption de la Constitution en 2011, le pays a engagé un chantier de réformes pour l’harmonisation de son arsenal institutionnel en conformité avec les dispositions constitutionnelles en matière d’égalité entre les sexes et avec les standards internationaux des droits humains et vous avez suivi les dernières réformes de lois dans ce sens que le pays a adopté.

Quelle lecture faites-vous de l’évolution des droits et de la situation 
des femmes au Maroc ?

Au Maroc à l’instar d’autres pays, les femmes souffrent de précarité et de violences. En effet, 8 femmes sur 10 n’ont accès à aucune source de revenu, formel ou informel, pour 3 hommes sur 10, d'après le Haut Commissariat au Plan (HCP) suite au Recensement général de la population et de l'habitat (RGPH 2014, taux net d’activité). Ce taux est d’autant plus alarmant dans le milieu rural où près de 9 femmes sur 10 n’ont aucune source de revenu, formel ou informel (HCP – RGPH 2014, taux net d’activité), pour 2 hommes sur 10. Seulement 1% des femmes rurales possèdent leurs terres (HCP). En matière de violence fondée sur le genre, vous connaissez les chiffres du HCP (2009) ce sont 62,8% de femmes qui ont été victimes de violence toutes formes confondues. Et, enfin, la charge de travail domestique des femmes est énorme, 95% des femmes marocaines consacrent en moyenne 5 heures par jour aux tâches domestiques lorsque 43% des hommes y consacrent en moyenne 43 min et 50 min en zone rurale 
(EBT 2014). Ce sont autant d’heures en moins pour leur accès à la formation, un travail ou tout simplement aux loisirs.

Selon vous, quelles sont les perspectives pour les années à venir ?
Les vingt dernières années ont été marquées par des avancées dans la plupart des États de par le monde sur le plan normatif, institutionnel et des politiques publiques. Gouvernements et sociétés civiles n’ont pas relâché leurs efforts pour proposer des solutions, développer des initiatives et apporter des réponses. Si cela a permis à la situation des femmes de s’améliorer, nous l’avons vu, un fossé reste à franchir. Cette situation, nous avons commencé à la mettre en lumière en nous intéressant aux perceptions des hommes et des femmes, au vécu des uns et des autres, et à leur réalité quotidienne. Nous venons de publier une enquête IMAGES (International Men and Gender Equality Survey) sur les hommes et l’égalité des sexes dans la région de Rabat-Salé-Kénitra. Les résultats de cette étude nous guide sur les actions qu’il nous faudra prendre : par exemple, seuls un quart des hommes et un tiers des femmes connaissent les dispositions légales relatives à la violence à l’égard des femmes, au divorce, au mariage des mineur(e)s, à la participation et à la représentation politique, au quota de femmes au Parlement, à la transmission de la nationalité aux enfants par les femmes, etc. Il nous faut donc travailler sur les connaissances et l’accès au savoir des Marocains et des Marocaines, mais également sur les mentalités. Pour citer un autre chiffre, chiffre tragique : 38% des hommes interrogés, soit près plus d’un homme sur trois, pensent que les femmes méritent parfois d’être battues. Concernant la violence conjugale, qui représente 55% des violences contre les femmes au Maroc, 62% des hommes et 46% des femmes sont d’accord avec la déclaration selon laquelle «une femme devrait tolérer la violence pour maintenir sa famille unie». 
J’aimerais tout de même conclure sur une note positive. Pendant des décennies, les femmes du monde entier ont joint leurs forces pour que leurs droits soient reconnus. Elles ont d’ailleurs réussi à atteindre des résultats extraordinaires. Mais ce combat pour l’égalité ne peut être mené par les femmes seules. Les hommes et les garçons sont également concernés et doivent être impliqués. Et bonne nouvelle : ils ne sont pas contre. La même enquête IMAGES a révélé que la majorité des hommes interrogés (56%) a souligné la nécessité d’intensifier les efforts afin de promouvoir l’égalité des sexes. J’appelle donc ces hommes à faire entendre leur voix et à rejoindre le mouvement pour parvenir à une égalité réelle entre femmes 
et hommes. 


Propos recueillis par Hafsa Sakhi

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