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«Education for All» : les dortoirs de l’espoir

Par M. Thomas Reilly, ambassadeur britannique au Maroc.

Il pleuvait au moment où nous sommes arrivés à Marrakech. La tempête tant redoutée ne s'est pas déclenchée pendant que nous nous frayions un chemin à travers le désert plat sur la frontière nord de l'arrière-pays en direction de la ville magique. Mais la pluie éclata soudainement alors que nous quittions la ville vers les montagnes de l'Atlas à peine visibles.
À mesure qu’il pleuvait, la température baissait. À Rabat ce matin-là, le mercure affichait la douce température de 21 
degrés. Maintenant, à l'ombre des montagnes, elle  frôlait les 8 degrés et la brise intense qui accompagnait la pluie rendait la température ambiante encore plus basse. Fouad a garé la voiture devant le premier dortoir. La pluie s’abattait sur le pare-brise. Enfilant ma veste, je me suis dirigé vers la porte du dortoir, avec mes pieds éclaboussant les flaques.
À l'intérieur, bien qu'un grand feu de cheminée donnait un semblant de chaleur, personne n'a osé enlever sa veste. Les filles faisaient leurs devoirs, calmement et consciencieusement. Elles ont juste levé les yeux pour saluer avec un «Ahlan wa Sahlan».

Mais je suis allé un peu trop vite...
Il y a dix ans, un Britannique a créé «Education for All» (Éducation pour tous) à Asni. Un organisme de bienfaisance dont le seul but est d'aider les filles des communautés rurales pauvres et isolées à avoir la possibilité de poursuivre leurs études au-delà de l’âge de 12 ans. Beaucoup de lycées dans les communautés rurales dépassent leur capacité d’accueil, si bien qu’ils opèrent en alternance. Bien que les cours commencent à 8h30, les élèves ont souvent des moments pendant la journée sans cours. Les parents, étant inquiets de ce que leurs filles feraient durant ces heures «creuses», tendent souvent à les empêcher d'aller à l'école secondaire. Éducation for All (EFA) construit des dortoirs près des écoles secondaires rurales, offrant ainsi aux filles un environnement sûr et sécurisé dans lequel elles peuvent vivre, travailler et étudier et où «se réfugier» pendant les heures creuses. Les filles arrivent lundi matin et rentrent chez elles le vendredi après-midi. Le taux de réussite est spectaculaire : 83% des filles qui occupent les dortoirs de l'EFA parviennent à l'université. Lors de la première année, l'EFA a pratiquement dû supplier les parents de laisser leurs filles résider dans les dortoirs. Maintenant, la demande dépasse de loin l'offre.
C’était dans ces dortoirs que je me suis retrouvé cet après-midi froid et humide de décembre. Les dortoirs sont bien construits et solides, avec de bonnes cuisines et des endroits où les filles peuvent étudier, manger, dormir et discuter. Mais ces dortoirs sont loin d’être luxueux.


Pendant ma visite des bâtiments,j'ai compris pourquoi le taux de réussite 
était si élevé. Les filles des dortoirs venaient des familles les plus modestes des villages les plus pauvres. J'ai vu des photos de certaines de leurs maisons - des familles entières vivant, mangeant, cuisinant et dormant dans une seule et même pièce. Personne dans leur famille n'avait eu d'éducation. Ces filles se sont vu offrir une énorme chance et elles l’ont pleinement saisie - cela m’amena à penser à quel point nous tenons pour acquise une éducation formelle au Royaume-Uni et combien de fois nous gaspillons cette 
opportunité.
Je me suis rendu compte à nouveau jusqu’à quelle mesure l'éducation est vitale. Sans éducation, vous n’auriez aucune chance de percer ou d'atteindre votre potentiel ; il vous serait plus difficile d’évoluer en tant que personne ; plus difficile d'imaginer comment vous pourriez apporter une contribution utile à la société. Si les filles et les femmes ne reçoivent pas une éducation complète, le pays perdra immédiatement au moins 50% de son potentiel, avec des pertes économiques et politiques conséquentes. La pluie s'est arrêtée au beau milieu de ma visite des dortoirs et nous sommes montés sur le toit - un toit inondé par l'averse. Les nuages avaient disparu et une soirée pittoresque s’annonçait en perspective. Le paysage était spectaculaire : la neige fraîchement tombée était visible sur le mont Toubkal qui se dressait majestueusement au bout de la vallée. Le vent était intense.
De retour à l'intérieur, nous avons jeté un regard dans quelques chambres. Les lits superposés, construits à l'origine pour permettre d’accueillir quatre filles dans chaque chambre, ont été adaptés en fonction de la demande croissante et se trouvaient maintenant sur trois étages - chaque chambre pouvant accueillir six filles. Je pouvais voir mon souffle pendant que nous parlions tellement il faisait froid. Il n'y avait pas de chauffage dans les chambres. À nouveau, je me suis rappelé avec gêne les radiateurs électriques chez nous contre lesquels les filles se blottissent sous les couvertures tous les soirs et comment nous tenons de tels luxes pour acquis. Alors que je marchais le long de la route dans un froid glacial pour visiter l'un des autres dortoirs, serrant ma veste en duvet autour de mes oreilles, j'ai mesuré à quel point ces filles étaient une véritable source d’inspiration - tellement reconnaissantes de ce que l'EFA leur avait offert ; si conscientes de la chance qui leur avait été donnée ; si déterminées à tirer le meilleur parti de l'opportunité qui leur a été offerte ; si diligentes, polies et travailleuses. C’est là un exemple pour nous tous et toutes et un rappel pointu de ne rien tenir dans la vie pour acquis. Je me suis demandé comment seulement un accès soutenu et durable à l'éducation est à même de permettre à ces filles (et à des milliers d'autres comme elles à travers le pays) de réaliser leurs rêves de devenir docteurs, enseignantes, avocates et leaders de demain : un tel avenir serait donc plus radieux pour le Maroc. 

Thomas Reilly

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