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«Je ne fais pas ce qu’on me demande de faire, je fais ce que j’ai envie de faire»

Pour sa 15e édition, le Festival international du film transsaharien de Zagora a eu le privilège d’avoir la professeure universitaire et romancière Frieda Ekotto en tant que présidente d’honneur de l’événement. Frieda Ekotto est connue pour son dévouement et son militantisme pour le continent africain et pour avoir publié plusieurs articles et ouvrages dans ce sens, contribuant ainsi à faire évoluer les idées dans le Sud. En parallèle avec ses projets sur les femmes africaines, elle travaille actuellement sur un livre théorique sur les femmes en Afrique subsaharienne. Elle a déjà reçu plusieurs reconnaissances, notamment le Prix de l’Association philosophique des Caraïbes en 2013, les Prix Benezet du Colorado College (Colorado Springs, États-Unis) en 2015. En 2017, elle est récompensée d’un doctorat honoris causa par le même Colorado College.

«Je ne fais pas ce qu’on me demande de faire,  je fais ce que j’ai envie de faire»

Le Matin : Comment trouvez-vous ce séjour à Zagora, dans le cadre du Festival international du film transsaharien ?
Frieda Ekotto
: C’est une grande découverte pour moi. Le fait d’être sélectionnée comme présidente d’honneur de ce festival me fait énormément chaud au cœur. Cela prouve que le travail que je fais est important et que je dois continuer à le faire. Il faut dire que le Maroc est un pays accueillant et chaleureux.

Votre travail se focalise beaucoup sur le continent africain. Croyez-vous qu’il porte ses fruits ?
Il commence à porter ses fruits. J’ai grandi en Suisse, puis j’ai immigré, alors que j’étais encore très jeune. Je continue à travailler sur l’Afrique, parce que c’est le continent qui a le plus besoin d’aide. Quand j’écris mes romans, je pense aux jeunes femmes du continent. Quand je fais mon documentaire, je montre cinq femmes fortes qui expliquent les difficultés qu’elles ont rencontrées pour arriver. Mais elles ont réussi à dépasser tous les obstacles. Ceci peut encourager des jeunes femmes du continent. Ces femmes ne portent pas leur bébé sur la tête. Elles ont élevé leur enfant en faisant des études.

D’où vient votre intérêt pour les questions féminines ?
D’abord du fait que je sois une femme. Il faut toujours parler de soi-même. Je pense que j’ai pris très tôt conscience du fait que je suis femme, parce que j’ai vu comment ma mère et ma sœur ont été vulnérables, et j’ai pensé à la manière de combattre cela en lisant, en écrivant et en réalisant des films pour les autres jeunes femmes dans ma famille et dans le monde. Je veux vraiment que ma voix touche ces femmes de l’Afrique en particulier, leur dire d'être courageuses et de rester elles-mêmes et de respecter la tradition.

En tant que Camerounaise qui vit aux États-Unis, comment êtes-vous perçue dans ce pays ?
La lutte est vraiment quotidienne, dans le sens où j’ai écrit un travail très important sur la question de la vulnérabilité. Il faut dire qu’on est toujours vulnérable, surtout quand on est femme. Aux États-Unis, je suis chef de département, je vais avoir une Chaire, mais c’est beaucoup de travail et je me sens parfois seule parce que je n’ai pas ma famille à côté de moi. On me respecte dans mon université, mais la lutte est journalière, surtout pour une femme noire. Il y a beaucoup d’obstacles. Quand j’ai écrit ma thèse sur Jean Genet, tout le comité m’a dit que je n’allais pas réussir. C’était une épreuve difficile, car j’avais peur de ne pas faire le bon choix. Tout ce qu’il faut, c’est persévérer et ne pas baisser les bras.
Parlez-nous un peu de votre documentaire sur les femmes ?
J’ai tourné ce documentaire en Chine, à Londres… Dans toutes les villes où j’ai enseigné, la caméra m’a suivie partout dans mon enseignement, en France, en Suisse, au Sénégal, au Cameroun. J’ai pris des gens de différents pays d’Afrique. J’espère revenir au Maroc l’année prochaine avec ce documentaire et le présenter dans des écoles et des universités.

Avez-vous un autre projet dans ce sens ?
Je suis en train de travailler sur un autre projet sur la parole des mères que j’appelle «Queens Mothers», comment elles transmettent leur savoir oral à leurs jeunes filles. C’est comme ça qu’on a appris beaucoup de choses. Je veux que les Occidentaux sachent que nous avons une culture très forte entre femmes. J’ai été inspirée par le film de Farida Tlatli «Le silence des Palais». Quand je l’ai invitée à l’université, j’ai remarqué qu’elle a une parole silencieuse qui passe par l’écoute, par 
le regard.

Y a-t-il une prise de conscience de la part des Occidentaux ?
Ils prennent conscience en nous opprimant toujours, c’est-à-dire qu’ils ont l’argent et peuvent faire ce qu’ils veulent. C’est un jeu. C’est pour cela que je prends des positions quand je prends la parole. Je ne fais pas ce qu’on me demande de faire, je fais ce que j’ai envie de faire. C’est à moi de parler, ce n’est pas à eux de parler pour moi. Mais je pense que peu à peu on commence à réaliser des choses.

Pensez-vous que les coproductions entre pays africains peuvent permettre d'améliorer la situation dans le cinéma par exemple ?
Tout à fait. Même avec des projets simples, on peut casser les stéréotypes et faire découvrir au monde les vraies potentialités du continent africain et sa véritable réalité. 

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