Ainsi, dans cet événement à Louxor, où le Maroc sera honoré doublement, le public présent aura le privilège de voir la pièce «Kharif» détentrice du Prix de la Meilleure création théâtrale arabe en 2016, celui du Cheikh Sultan Ben Mohammed Al Kasmi à Oran en Algérie. Une distinction bien méritée, puisque cette pièce, depuis son lancement, n’a pas manqué de faire parler d’elle en tant que création très profonde qui dégage la force d’un travail parfaitement médité et ficelé, aussi bien par Asmaa Houri, ayant assuré la mise en scène, que par les principaux rôles interprétés par Farida Bouazzaoui et Salima Moumni. Un grand honneur qui met en avant le Maroc en termes de présentations théâtrales de qualité, abordant des sujets de société d’actualité. Dans ce même contexte, «Kharif» a choisi de rendre hommage au corps d’une femme affectée par le cancer. «Elle en fait le récit pour dévoiler un quotidien fébrile et fragile, redondant et laconique», souligne Rachid Bromi, compositeur musical et responsable de la troupe. Et d’ajouter que c’est aussi «une prolifération artistique qui traverse ce corps pour propager à l'infini l'éclatement des sens et incite à repenser la vie pour mieux la célébrer». Le drame vécu par cette femme dans la pièce «Kharif» n’a pas manqué d’interpeler la belle plume du critique Mohammed Ennaji, qui en a décortiqué les plus fins détails ayant fait la grandeur de ce travail.
«L’automne est là, les feuilles tombent, les feuilles agonisent. Au vu des couleurs de la scène, il ne saurait être question que d’un chagrin passager, un chagrin automnal, une mue pour aller de l’avant, pour ressusciter. Comme glisse le poète à l’oreille de la jeune fille : “Soleil et planètes tournent tous en rond, mais toi, fillette, tu vas tout droit”. Et c’est ainsi que cette femme surgit sur la scène, avec cette allure où se lit encore le printemps d’antan, ce profil d’humeur virginale. La voilà qui entame une danse qui n’arrêtera pas, qui n’arrêtera qu’avec la suspension de tout mouvement en elle». C’est par ces mots que Mommed Ennaji donne le ton à sa critique, tout au long de laquelle on voit défiler le déroulement de la pièce scène par scène, sans rien manquer. Pour celui qui l’a déjà vue, il a l’impression de la revoir plus en détail et en compréhension, surtout quand Ennaji poursuit son récit en attestant que «la joie du spectateur est éphémère, il prend conscience qu’il n’a pas devant lui une ronde des saisons malgré les feuilles qui flétrissent sur le tapis, malgré le rouge vital et puissant comme une joie comprimée, avortée, blessée, saignante. La ronde est macabre et la danse rythmée au départ sur le son des cordes envahit doucement le paysage, comme pour pénétrer la peau, feignant d’entamer une danse de “Zorba le Grec”. Mais c’est juste une illusion, une tentative de fuite de soi-même pour aller ailleurs, pour rechercher ce soi-même qui vit encore, qui tient à la vie, il doit être planqué quelque part». Puis, il continue dans sa description de ce deuil anticipé qui est en scène... Et il termine ce voyage mortuaire avec les cris que la femme lance «pour préparer son retrait sans résignation, sans enfermement dans le silence. Alors commence une danse macabre où elle se débat avec le linceul et avec la mort. La pièce est une marche funèbre avant terme comme si on la voyait déjà de l’autre côté du miroir».