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«Le Processus de Rabat influence positivement les négociations pour l’élaboration d’un Pacte mondial pour des migrations sûres et régulières»

En tant que représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour les migrations, Louise Arbour assure le suivi des aspects liés à la migration et des Sommets de haut niveau pour la gestion des déplacements massifs des réfugiés et des migrants. «Le Matin» l’a rencontrée à l’occasion de sa participation à la cinquième Conférence ministérielle du dialogue euro-africain sur la migration et le développement.

«Le Processus de Rabat influence positivement les négociations pour l’élaboration  d’un Pacte mondial pour des migrations sûres et régulières»
Louise Arbour, Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour les migrations

Le Matin : Il reste quelques mois avant la réunion décisive pour l’adoption du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, prévue en décembre à Marrakech. Pouvez-vous nous décrire l’état d’avancement des discussions et négociations ?
Louise Arbour
: Vous savez, c’est un processus qui est géré entièrement par les États membres des Nations unies sous la gouvernance de deux co-facilitateurs. Il s’agit des représentants permanents du Mexique et de la Suisse auprès de l’ONU. Ils dirigent ces négociations qui sont, bien évidemment, très complexes et qui impliquent tous les membres de l’ONU. Nous sommes présentement exactement à mi-chemin. C’est-à-dire que nous avons prévu six semaines de négociations à raison d’une semaine par mois. Les trois premières semaines ont été complétées. Les facilitateurs révisent les textes au fur et à mesure des consultations. On s’attend à ce que le texte final soit adopté, comme prévu, à la mi-juillet. Il fera l’objet de l’adoption formelle lors de la grande conférence intergouvernementale qui aura lieu à Marrakech en décembre 2018. Mais le texte, tel qu’il a été négocié, devrait être finalisé en juillet.

Quels sont les principaux défis à relever par ce Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ?
Les questions qui étaient à l’origine de cette initiative demeurent difficiles et compliquées. Et les États membres devront s’entendre sur une formulation qui leur convienne. D’ailleurs, ce sont des questions qui sont reflétées dans le Processus de Rabat qui tient sa cinquième Conférence ici à Marrakech et qui regroupe des États africains et européens. Ce sont des questions qui ont toujours préoccupé les États membres autant ici entre les pays africains et européens que dans les pays d’Asie ou de l’Amérique latine vis-à-vis, par exemple, de l’Amérique du Nord. C’est tout particulièrement la question de l’immigration irrégulière qui revient de manière récurrente. Ce n’est pas la seule question, mais c’en est une qui demeure très épineuse. Les problématiques de la migration en relation avec la question du développement, la croissance économique, le développement durable, restent des points plus faciles à appréhender parce qu’il y a maintenant les objectifs de développement durable, la lutte contre la pauvreté... Il y a donc beaucoup d’initiatives en cours. Mais la gestion précisément de la question des immigrants, qui sont en situation irrégulière ou en transit de façon irrégulière, reste une des préoccupations problématiques. La distinction entre réfugié et immigrant l’est également. Sachant que les réfugiés font l’objet de la protection particulière d’une convention de 1951, mais cela ne couvre pas tous les aspects de la mobilité humaine. La distinction entre les catégories demeure une question sur laquelle les États membres doivent s’entendre.

Y a-t-il eu des blocages au cours des discussions et des négociations pour la préparation de ce Pacte mondial ?
Non, il n’y pas eu vraiment de blocages. L’atmosphère des négociations à New York est de façon générale très positive. Il faut être clair. Tout d’abord, il s’agit de négocier un document qui ne sera pas contraignant sur le plan juridique. Dans une certaine mesure, cela allège la teneur des discussions. Il ne s’agit donc pas de négocier à la virgule près les engagements qui seraient contraignants sur le plan juridique. Par contre, on espère que les États membres vont prendre des engagements concrets qui vont les lier au moins sur le plan politique et moral. Mais cela restera non contraignant. Donc, il y a un peu de flexibilité dans les pourparlers en général. Même sur certains sujets, il y a des divergence d’opinions, mais l’atmosphère demeure très sereine et positive.

Est-ce que la réflexion dans le cadre de ces négociations a également porté sur les modalités de mise en œuvre de ce Pacte ?
C’est là une des questions délicates. D’une part, c’est difficile de s’entendre sur des modalités de mise en œuvre afin d’avoir un texte qui définit bien le genre d’engagement qu’on doit prendre. Il y a aussi toute la problématique du mode de financement. Il n’y a pas beaucoup d’intérêt de la part de l’ONU à créer une nouvelle organisation ou entité. Mais, d’autre part, il va falloir créer un peu d’ordre dans les organisations qui existent actuellement telle que l’Organisation internationale de la migration, le Haut Commissariat aux réfugiés et d’autres acteurs onusiens comme le Bureau international du travail… Il y a donc nombre d’acteurs onusiens et il va falloir mettre de l’ordre dans tout cela. On espère qu’il va y avoir de la bonne volonté de la part de certains pays donateurs à terme pour financer les initiatives pour le développement des capacités dans des pays qui ont des lacunes. Par exemple, quand on parle du transfert d’argent de la part des travailleurs migrants vers leurs familles, il y a beaucoup de travail à faire sur cette question, notamment pour réduire les coûts des transferts. Cela fait très longtemps qu’on en parle et il va falloir faire un effort à ce niveau. Donc, on doit espérer que le Pacte lui-même va prévoir des modalités dans cette mise en œuvre et dans le financement.

Outre la réunion de juillet que vous avez évoquée, existe-t-il d’autres dates importantes à signaler avant la tenue, en décembre, de la réunion d’adoption du Pacte mondial ?
Oui, il y a encore trois réunions importantes à tenir avant la date butoir. Il y en a une qui devra avoir lieu dans deux semaines, pour entretenir une semaine de négociations. Cela va permettre de revoir le texte qui était proposé et qui comporte 22 objectifs. À travers les négociations, les États membres se prononcent sur certaines parties de ce document sur lequel ils veulent voir des changements. Tout cela est pris en compte par les facilitateurs qui reviennent par la suite avec le texte modifié. Une autre réunion aura lieu au cours du mois de juin (encore une semaine de négociations). On espère ainsi que ce texte sera finalisé au cours du mois de juillet. Enfin, il sera adopté en décembre en tant que Pacte mondial des migrations sûres, ordonnées et régulières. Il va être introduit lors de l’Assemblée générale de l’ONU et sera adopté formellement à Marrakech en décembre.

Parallèlement à ces actions, il y en a d’autres qui sont menées, notamment dans le cadre de l’Union africaine, à travers l’agenda préparé par S.M. le Roi Mohammed VI. Est-ce qu’il y a une convergence en ce qui concerne les solutions proposées ?
Il est encourageant de voir le niveau d’intérêt que le continent africain porte à cette question dès le début de ces consultations. Sachant que ce processus a commencé il y a un an, il y avait un peu d’inquiétudes que l’Afrique soit un peu distraite ou absente. Ce n’est plus le cas. Le continent est très bien représenté à New York et il y a beaucoup d’engagements. Le leadership de S.M. le Roi reflète l’intérêt que l’Union africaine porte à cette question. Il y a eu le protocole de Kigali qui parle de plus en plus de faciliter la mouvance migratoire. La Cédéao a déjà son propre environnement, mais elle peut l’étendre à l’échelle du continent avec un passeport africain. Vous savez, contrairement aux perceptions répandues, mais qui sont fausses, la mouvance migratoire est avant tout régionale. Elle n’est pas internationale. Ce n’est qu’une très faible part de la population de 250 millions de migrants qui existent aujourd’hui dans le monde qui se déplace de manière transcontinentale. La plupart des migrations se font dans les pays voisins et ensuite dans un périmètre régional. Donc des initiatives comme celle de l’UA sont fondamentales.

Voyez-vous un rôle à jouer par le Maroc dans ce sens ?
Il y a tout d’abord le leadership qui est exercé par S.M. le Roi sur cette question au sein de l’UA et qui place le Maroc à l’avant-garde des efforts fournis à l’échelle du continent. Il y a déjà eu des consultations et le Royaume a accueilli plusieurs initiatives. Le fait que Marrakech abrite les 1er et 2 mai la réunion du Processus de Rabat est un exemple. D’ailleurs, le Processus de Rabat c’est en quelque sorte l’ancêtre du Pacte mondial. C’est une initiative euro-africaine et afro-européenne qui s’est penchée exactement sur des questions qui continuent de nous préoccuper aujourd’hui : migration et développement, migration irrégulière, l’aspect développement et l’aspect humanitaire et sécuritaire. C’est depuis 2006 que cette initiative a été lancée et le Maroc y est très présent. De même, le Maroc s’est proposé et a été choisi par l’ONU comme le pays hôte de cette très importante conférence qui va avoir lieu au niveau des Chefs d’État et de gouvernement en décembre. Cela montre bien l’intérêt que le Maroc porte à cette question.

Vous avez pris part aux travaux de la cinquième Conférence ministérielle du Processus de Rabat du dialogue euro-africain sur la migration et le développement. Quelles étaient vos attentes ?
Cela devrait aider à réconcilier certaines positions africaines ou européennes au niveau des négociations au sujet du Pacte mondial. Car dans un tel pacte, on ne peut pas répondre de façon très ponctuelle à des préoccupations très locales. Ce Processus de Rabat est un modèle de coopération nationale qui devrait, j’en suis certaine, avoir un impact sur la qualité des négociations à New York pour un pacte plus généraliste. Les États membres nous rappellent constamment que la question de la migration relève de la souveraineté des États. Or cela ne peut s’exercer de manière adéquate que sur la base de la coopération. Par définition, quand une personne traverse les frontières, cela implique les intérêts de plus d’un État. Donc la meilleure façon de mettre en œuvre les politiques nationales, c’est sur la base de la reconnaissance de l’interdépendance des États et d’une meilleure collaboration. C’est exactement ce que le Processus de Rabat tend à faire depuis plusieurs années avec beaucoup de succès je crois et qui devrait influencer de façon très positive le processus de New York qui va donner lieu à ce Pacte. 

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