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Reflet d'une jeunesse en quête d’affirmation

Phénomène juvénile par excellence ! Les arts de la rue gagnent du terrain, jour après jour, pour s'imposer comme une tendance envahissant les artères des villes marocaines. Elle interpelle sur la place centrale que peut occuper l’art dans la cité de manière générale, et la vie des jeunes en particulier.

Reflet d'une jeunesse en quête d’affirmation
Les arts de la rue constituent une nouvelle tendance qui offre aux jeunes en quête de nouveaux défis des espaces d’expression adéquats.

Comme son nom l’indique, l’art de la rue désigne toute manifestation artistique ou culturelle ayant pour espace la rue, à l’image du théâtre de rue ou encore de l’art urbain, communément connu sous l’anglicisme «Street Art». Au Maroc, les autorités publiques lui ont accordé un intérêt et un soutien manifestes à travers des festivals dédiés parmi lesquels «Jidar, toiles de la rue» de Rabat ou encore «Sbagha Bagha» de Casablanca.
L’engouement de la jeunesse marocaine citadine pour ces arts ne s’est pas fait attendre et s’affirme donc de jour en jour.
Le sociologue Abderrahim Bourkia explique à la MAP, dans ce sens, que les arts de la rue rassemblent en nombres restreints des jeunes de la même tranche d’âge et partageant des goûts artistiques communs (hip-hop, hard rock, électro, reggae, gnaoua…), mais aussi des codes vestimentaires particuliers (punk, rasta, métal…).
Pour notre interlocuteur, ces habitudes ou pratiques sont l’expression d’un «rituel d’intégration et de socialisation» témoignant d’«une soif de liberté et d’une quête de soi».
D’après le sociologue, doublé de journaliste, ce phénomène à caractère urbain, voire péri-urbain, n’entre pas forcément en opposition avec la société ou les autres groupes sociaux, mais interroge plutôt sur «la place des jeunes dans la ville, leurs activités, leurs préoccupations, leurs modes de déplacement, le développement de leurs pratiques visibles et sonores, leur appropriation des espaces publics», ainsi que la perception générale que reçoivent ces activités.
L’espace public est un lieu de socialisation pour les jeunes, fait valoir Bourkia, avant d’ajouter que ces derniers façonnent, à travers l’art de la rue, un mode de vie et d’expression et consolident une identité proposant d’autres manières d’être, loin des «moulages» préfabriqués et stéréotypés. Il y voit clairement l’expression d’un processus identitaire qui se définit socialement en tant que tel. Et de souligner, à cet égard, que «les jeunes Marocains, comme partout, sont les mêmes» et qu’ils perçoivent dans les arts de la rue un cadre idoine pour leurs activités culturelles.
Abondant dans le même sens, Khadija Zizaoui, responsable artistique à l’association «Marock Jeunes» (basée à Marrakech), considère que les arts de la rue constituent une nouvelle tendance qui offre aux jeunes en quête de nouveaux défis des espaces d’expression adéquats.

Pour mieux illustrer son propos, Mme Zizaoui s’attarde sur la musique Rap qui représente, selon elle, un moyen pour les jeunes Marocains d’exprimer un chagrin familial, sentimental ou social, mais aussi de se mettre en défi à travers des joutes oratoires dites «Clash». Quant aux styles vestimentaires propres aux jeunes rappeurs marocains, la professeure de musique croit savoir qu’il s’agit plus d’une «imitation de la mode occidentale» que l’expression d’une «forme authentique de mode de vie».
Au jour d’aujourd’hui, les associations ont fait un grand pas pour réunir les artistes engagés dans les arts de la rue, tant à l’échelle régionale que nationale, à travers des événements artistiques et des festivals. Pour elle, les réseaux sociaux prodiguent à cet effet un précieux moyen d’information et de communication au service des activités des jeunes passionnés de ce genre d’art.
Malgré cela, Mme Zizaoui regrette l’insuffisance des budgets dont disposent les associations intervenant en la matière, laquelle insuffisance empêche l’organisation ou la continuité de plusieurs festivals dédiés. Résultat : totale déception des jeunes. Elle regrette, dans la même veine, l’absence d’encadrement prodigué aux jeunes passionnés des arts de la rue. Et ce n’est pas le jeune Yassine, skateur r'bati de 19 ans, qui dira le contraire dans une déclaration à la MAP. Il confirmera ce constat, en indiquant que la pratique du skateboard relève plus du loisir que du sport, compte tenu des moult contraintes auxquelles il fait face.
En guise d’exemples, Yassine cite le déficit flagrant du nombre d’associations qui assurent l’encadrement de la pratique du skate au niveau de Rabat et le peu d’intérêt accordé à cet art de la rue, outre «le regard défavorable» de la société aux jeunes skateurs.

Et il n’y a pas que ça. Pour le socio-économiste Abdelatif Fekkak, «l’appropriation de l’espace public par des jeunes qui pratiquent en groupe de la musique, de la danse ou encore des sports extrêmes (rollers, skate, parcours…) relève d’un problème lié à l’absence d’organisation urbanistique». Dans ce cadre, il pointe du doigt «une anarchie urbanistique due à un manque de vison d’aménagement du territoire censé être réalisé par les sociologues, par les urbanistes et des paysagistes». Par exemple, explique M. Fekkak, en matière de répartition de l’espace, «les États-Unis consacrent 20% aux espaces verts, 20% pour l’habitat social pour les intégrer et éviter les bidons-villes ou la formation des villes-bidons du pays du tiers monde».
«Si l’on on ne respecte pas cette logique urbanistique, on risque d’aboutir à des quartiers périphériques, difficiles en marginalisant la jeunesse qui, relativement défavorisée de ces régions-dortoirs à la frontière des villes, ne s’intègre plus, ni par leur famille, ni par l’école, ni par le quartier, ni par le sport, etc.», note le socio-économiste.
Les arts de la rue constituent donc un véritable phénomène social auquel il faut prêter un œil attentif. Ils constituent une plateforme alternative qui démontre que les arts et la culture peuvent être démocratisés à des échelles importantes, et renseignent précieusement sur les affirmations identitaires de la jeunesse citadine marocaine et les mutations culturelles qui s’opèrent en son sein. À bon entendeur ! n
Malak Lamrabet et Karim Abdouh - MAP

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