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Mardi 19 Mars 2024
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«Nous avançons vers un meilleur équilibre public-privé dans le financement du Festival Gnaoua»

Productrice du Festival Gnaoua et Musiques du monde, présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives au Maroc, parlementaire de la CGEM et membre de la Commission de l’éducation, de la culture et des affaires sociales, Neila Tazi nous parle de sa vision de la culture au Maroc et de l’évolution du Festival Gnaoua musiques du monde.

«Nous avançons vers un meilleur équilibre public-privé  dans le financement du Festival Gnaoua»

Le Matin : Vous êtes connue pour votre engagement dans le secteur culturel. Quel est votre avis sur la politique culturelle au Maroc ?
Neila Tazi :
Le Maroc regorge de talents et possède un patrimoine matériel et immatériel inestimable. Ces deux dernières décennies ont connu une réelle effervescence en matière de création, de diversité des modes d’expression, de diffusion que ce soit par les festivals, les expositions, les biennales, les salons, les théâtres, les musées, les galeries, les médias, les entreprises de contenu, le digital, la télévision, le cinéma ou les radios privées. L’art s’expose même dans la rue ! Néanmoins, nous n’avons pas réussi à insuffler le rythme suffisant pour catalyser ces talents et expertises dans une dynamique de décollage du secteur. Beaucoup d’acteurs attendent une impulsion pour s’inscrire dans un cadre plus structuré. Le Maroc, dans son ensemble, pourrait bénéficier de ce capital sous-exploité et c’est dans ce sens d’ailleurs que le Conseil économique, social et environnemental a émis en 2016 un avis et des recommandations pour engager une dynamique économique où la culture occuperait une réelle place sociétale, éducative et civilisationnelle. Je cite souvent cette référence, car les recommandations émises sont importantes, parce que chaque institution à un rôle à jouer et nous devons nous appuyer sur ces principes pour bâtir notre modèle de développement. Nous attendons une politique culturelle forte, à la tête du gouvernement, une volonté politique qui se traduise par une vision, des budgets, des lois, du dialogue et de la concertation.

Vous êtes à la tête de la Fédération des industries culturelles et créatives, est-ce que vous pensez pouvoir générer assez de ressources financières pour engager des partenariats public-privé ?
Le partenariat public-privé se conçoit avant tout dans le partage d’une vision, dans le rapprochement entre les deux parties pour chercher des solutions gagnantes avec pour objectif l’émergence d’un secteur, l’intérêt du citoyen et du pays, la création de valeur et d’emplois. Viennent ensuite les modalités à définir pour atteindre ces objectifs. Le secteur de la culture regorge de potentiel, et l’actuel ministre fait des efforts considérables pour être à l’écoute des acteurs du secteur, pour améliorer le cadre de travail, pour œuvrer à la préservation du patrimoine, etc. Il y a un marché à construire, une offre globale à structurer, des ressources à former, car il y a des emplois solides à créer dans ce secteur. La culture est transverse, elle est présente dans l’éducation, le tourisme, le développement des territoires, la diplomatie étrangère, etc. Nous devons œuvrer à renforcer tout l’écosystème, à professionnaliser la méthode et le secteur privé est en mesure d’apporter à la fois de l’innovation, et de la qualité dans l’offre et le service. Il y a des investissements considérables à faire dans le secteur de la culture, des programmes qui méritent la même attention que les autres secteurs de l’économie.

Après ce long parcours avec un grand événement comme le Festival Gnaoua. Comment voyez-vous la relation entre les sponsors et les événements 
culturels ?

Les sponsors occupent une place essentielle dans le développement des filières culturelles. Ils sont un des piliers des projets mis en œuvre et nous leur sommes reconnaissants pour cela. Particulièrement ceux qui sont dans une approche de mécénat plutôt que publicitaire. Cette approche mécénat est déjà en elle-même un partenariat gagnant-gagnant car c’est le projet sociétal qui est concerné. Nous devons garder à l’esprit l’importance du rôle de la culture à la fois dans le développement économique durable, mais aussi dans l’émancipation d’une jeunesse et d’une société tout entière. Imaginez un monde, un pays ou même une ville sans culture. Il manque néanmoins une loi sur le mécénat culturel qui viendrait faciliter cette relation entre le monde des arts et les donateurs. Beaucoup d’investisseurs étrangers évoquent d’ailleurs cette question, car elle devient centrale dans les politiques RSE des entreprises, quel que soit leur pays d’implantation. 

Cela fait plus de 20 ans que vous avez lancé le Festival Gnaoua musiques du monde. Est-ce qu’on peut dire que cet enfant est indépendant actuellement ?
Si par indépendance vous entendez sécurité financière, je ne vous mentirais pas en disant que la seule chose qui fragilise ce festival est la récurrente question de son financement. Ce qui est positif c’est que nous avançons vers un meilleur équilibre public-privé dans le financement du projet, ce qui est normal pour un événement d’une telle importance. 

Le ministère de la Culture, les Collectivités locales, la ville et l’Office national marocain du tourisme renforcent leur soutien et nous les remercions pour cela. Nous avons des partenaires fidèles comme l’OCP, Sidi Ali, Royal Air Maroc, Renault et le CIH pour ne citer que ceux-là et nous n’aurions pas pu traverser ces 22 années sans tous ces partenaires que je ne peux malheureusement pas tous citer. J’évoquerai un tournant stratégique que nous engageons actuellement avec l’OCP et l’Université Mohammed VI Polytechnique, un partenariat qui vise à aller au-delà de ce qui a été fait jusqu’à présent autour de la culture des Gnaoua. Il est passionnant et motivant de construire avec des partenaires qui voient loin.

Cette année, le Forum du festival traite la force de la culture pour contrer la culture de la violence. La culture est-elle vraiment une force au Maroc ?
La culture est une ressource essentielle pour le développement et l’épanouissement. C’est un bouclier contre toutes les formes de violence. Dans ce festival et ce forum, comme partout au Maroc nous travaillons pour que la culture ne soit plus un simple moyen de divertissement ou une simple consommation de plaisir et de loisir. L’excellence est au cœur de notre démarche, mais pas celle qui exclut, qui isole et qui conduit à un processus d’intimidation sociale en déniant à certains le droit de considérer leur propre culture comme légitime et digne de reconnaissance. Celle-ci est une autre forme de violence qui vient s’ajouter à beaucoup d’autres. Le choix de ce thème découle d’une réalité non seulement nationale, mais universelle. De par le monde, le racisme, l’exclusion, l’islamophobie, les idées d’extrême droite ou encore l’apologie de la violence deviennent de plus en plus inquiétants. Comme disait Hannah Arendt : «C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal». Cette phrase résume l’actualité souvent dramatique de nos sociétés. 

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