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Le Brexit expliqué par Thomas Reilly, ambassadeur britannique au Maroc

Thomas Reilly, Ambassadeur britannique au Maroc, relate dans un récit exclusif pour «le Matin» la genèse du Brexit ainsi que le contexte politique et institutionnel ayant accompagné son adoption. Le diplomate britannique revient également sur les âpres négociations menées dans les arcanes des structures de l’Union européenne et sur les différents scénarios d’un divorce annoncé entre la Grande-Bretagne et Bruxelles.

Le Brexit expliqué par Thomas Reilly, ambassadeur britannique au Maroc
Thomas Reilly, ambassadeur britannique au Maroc

Lors des élections du 2010, le Parti travailliste de centre gauche britannique a été évincé après 13 ans au pouvoir et a été remplacé par une coalition de centre droit, composée de conservateurs et de libéraux démocrates. La coalition est alors restée au pouvoir jusqu'aux élections de 2015.
David Cameron avait annoncé dans le Manifeste électoral du Parti conservateur de 2015 que, si les conservateurs remportaient les élections, ils renégocieraient l’adhésion du Royaume-Uni à l’UE et organiseraient un référendum In-Out quant à la proposition renouvelée d’adhésion. Bien que les sondages d’opinion aient révélé que l’appartenance à l’UE n’était pas un sujet de grande inquiétude (il s’agissait en l’occurrence du 16e sujet de préoccupation), David Cameron s’inquiétait de la menace que représentait l’UKIP (UK Independence Party, Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni), le parti de droite, pour le Parti conservateur : le référendum était censé persuader les électeurs tentés par l'UKIP de soutenir les conservateurs.

Les conservateurs ont remporté les élections de 2015 à une majorité absolue. Une renégociation avec l’UE assez superficielle s'ensuivit. Le référendum a bien eu lieu le 23 juin 2016. Je me souviens très nettement d'avoir voté et d’avoir vu ma main marquer le X, sachant pertinemment qu'il s'agissait du vote le plus important que j'aie jamais tenu : il définirait l'avenir de mon pays de manière décisive comme il n’a jamais été le cas auparavant. Je suis resté éveillé toute la nuit et, comme un grand nombre de mes amis et collègues, j'étais bouleversé par le résultat : le public britannique a choisi de quitter l'Union européenne à une marge de 51,9% contre 48,1% – une différence minime pour un changement de cette ampleur. 
Bien que la plupart des responsables politiques, la quasi-totalité du secteur commercial et tous les fonctionnaires que je connais furent en désaccord avec le résultat, un engagement a été pris d’honorer le résultat du référendum. Nous avons donc commencé à le mettre en œuvre, sachant que ce serait difficile, et éventuellement désagréable. David Cameron a démissionné pour être remplacé ensuite par Mme May. Celle-ci a appelé à des élections générales en 2017 au cours desquelles elle a perdu sa majorité et ne s'est maintenue au pouvoir qu'avec l'aide du Parti unioniste démocrate, un parti d'Irlande du Nord dont la position politique est favorable à ce que l'Irlande du Nord demeure au sein du Royaume-Uni.
L'article 50, le mécanisme par le biais duquel un pays peut quitter l'UE, a été amorcé le 29 mars 2017, déclenchant une négociation de deux ans, qui a abouti, après d'énormes efforts et le dur labeur des fonctionnaires britanniques, à l'accord de retrait.

La période de négociation au titre de l'article 50 expire le 29 mars 2019. Si le Parlement britannique adopte l'accord de retrait, l'UE publiera une notification indiquant que, pour une période de mise en œuvre de 20 mois jusqu'au 30 décembre 2020, le Royaume-Uni continuera à être traité comme un État membre de l'UE et sera donc soumis à tous les droits, devoirs et obligations d'un État membre «normal» de l'UE, à la différence près qu'au cours de la période de mise en œuvre, le Royaume-Uni ne pourra pas voter lors de la prise de décisions, mais sera en mesure d’entamer le processus de négociation d'accords commerciaux nouveaux ou de remplacement avec des pays tiers – y compris, bien entendu, le Maroc. Ces nouveaux accords commerciaux n'entreront en vigueur qu'à la fin de la période de mise en œuvre.
C’est là que les choses se compliquent… Le Royaume-Uni compte quatre nations : l’Angleterre, le Pays de Galles, l’Écosse et l’Irlande du Nord. En tant que membre de l’UE, le Royaume-Uni partage une frontière extérieure commune avec la République d’Irlande.
De 1968 à 1998, un conflit violent et sanglant s'est déroulé à la frontière Nord-Sud de l'Irlande. Des milliers de personnes ont perdu la vie. L'accord du Vendredi saint (souscrit et soutenu par l'UE et facilité par le fait que le Royaume-Uni et l'Irlande étaient tous deux situés dans l'UE) a mis un terme à ce conflit et a permis aux échanges commerciaux, à la population et à la bonne volonté de traverser la frontière Nord-Sud. La frontière, avec ses points de contrôle et ses tours de garde, a effectivement disparu, l'IRA (Irish Republican Army) et l'UVF (Ulster Volunteer Force) se sont désarmés. La paix a apporté prospérité et espoir aux communautés touchées par une génération de conflits.
Mais une fois que nous aurons quitté l’UE, la frontière entre le nord et le sud de l’Irlande deviendra la frontière entre l’UE et le Royaume-Uni. S'il existait un accord de libre-échange (ALE) entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, les contrôles douaniers ne seraient pas nécessaires à cette frontière. Mais en l'absence d'ALE, des contrôles seront nécessaires. Personne ne veut de frontière et les gouvernements des deux pays sont déterminés à éviter le retour d’une frontière visible entre le Nord et le Sud. Ce problème a été résolu dans l’Accord de retrait par l’insertion d’un «Backstop». Il s'agit d'une police d'assurance destinée à éviter le retour d'une frontière dure entre l'Irlande du Nord et du Sud si aucun nouvel ALE n'a été conclu d'ici la fin de la période de mise en œuvre. Il maintient l'alignement réglementaire entre l'Irlande du Nord et du Sud jusqu'à l’instauration d'un nouvel ALE entre le Royaume-Uni et l'UE, qui pourrait prendre de nombreuses années.
Le 15 janvier, l'Accord de retrait de Mme May a été rejeté à une majorité écrasante, infligeant ainsi la plus grande défaite de son histoire à un gouvernement en place. L'objection de nombreux députés était que, dans l'hypothèse où le Backstop serait mis en œuvre, comme il s'agit d'une police d'assurance, elle ne fixe pas une date d’échéance, d’autant plus que l'Irlande du Nord serait soumise à des exigences réglementaires différentes de celles du reste du Royaume-Uni. Mme May est revenue devant le Parlement britannique le 29 janvier pour expliquer ses prochaines étapes. Lors de cette visite, le Parlement a voté pour deux amendements de son projet. Le premier c’était que la sortie définitive du Royaume-Uni de l’UE ne pouvait s’effectuer sans accord (le soi-disant «No Deal Exit»). Le deuxième que Mme May devait retourner à Bruxelles pour trouver une solution à la frontière irlandaise autre que le Backstop et de revenir devant le Parlement britannique le 13 février avec le nouvel accord pour un autre vote. Ce qui s’ensuivra est incertain. L'UE a clairement fait savoir qu'il n'y aurait aucun changement par rapport au Backstop. Plusieurs scénarios sont alors possibles.

1. Mme May continuera de revenir avec son offre, espérant que, compte tenu de la pression croissante d’un imminent «No Deal», chaque fois qu’elle le fera, de moins en moins de députés s’y opposeront, jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de voix pour appuyer le projet et qu’il reçoive l’approbation du Parlement. L'UE publiera sa notification et nous entrerons dans la période de mise en œuvre le 30 mars 2019.
2. Mme May n’obtient pas le soutien du Parlement avant le 29 mars. Dans ce cas : 
• C’est le No-Deal Exit – cela signifiera que tous les accords internationaux de l’UE dont le Royaume-Uni bénéficie actuellement cesseront de s’appliquer et que les règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) s’appliqueront (les tarifs élevés perturbant nos exportations et nos importations).
• Le Royaume-Uni demande à l'UE une extension du calendrier de l'article 50. L'UE a indiqué qu'elle serait disposée à offrir au Royaume-Uni une prolongation jusqu'en juin 2019 afin que nous puissions régler nos différends politiques internes.
3. Les députés pourraient décider que, le Parlement ne pouvant trouver aucune solution et que l'Accord de retrait étant très différent de l'accord de l'UE promis aux citoyens en 2016, nous devrions organiser un deuxième référendum. Ce serait très compliqué et il n'y a aucune preuve que le résultat serait très différent ; il est donc probable que nous échangions simplement un ensemble de confusion et une augmentation de ressentiment les uns contre les autres.
4. L'opposition pourrait gagner un vote de censure et nous aurions une autre élection générale. Mais il est peu probable qu'une autre élection puisse apporter une victoire nette à l'un ou l'autre des partis. Il semble donc probable qu'une élection aboutisse simplement à un nouveau Parlement dans l'impasse.
5. Le Parlement pourrait décider que le Brexit est à l'origine de telles difficultés, de révoquer la déclaration de l'article 50 et que le Royaume-Uni reste dans l'UE. Ceci est très improbable.
Le résultat le plus probable, de loin, est que nous quittions l’UE. Il peut y avoir des questionnements par rapport à la date, mais la destination finale semble claire. Cette incertitude est très préoccupante pour l’ensemble des personnes impliquées, que ce soient les Britanniques ou nos partenaires commerciaux. Bien que le Brexit soit compliqué et difficile, je suis fier que mon pays ait essayé de trouver la solution restant dedans les normes et les institutions existantes. Nous ne sommes pas sortis dans les rues pour casser et brûler. Je suis fier du fait que, même si le résultat du référendum de 2016 n'était pas celui que nous souhaitions, le gouvernement et la fonction publique ont accepté le résultat et travaillent d'arrache-pied pour trouver une solution.
Nous trouverons un moyen de nous en sortir. Nous continuerons d'être ce que nous avons toujours été : un partenaire fiable et digne de confiance. Un pays qui valorise ses relations avec ses partenaires européens et autres (y compris le Maroc). Un pays qui soutient la transparence et l’état de droit. Un pays qui offre parmi les meilleurs établissements d’enseignement du monde, et qui dispose de solides institutions et du plus grand centre financier du monde. Nonobstant la complexité du Brexit, ma mission au Maroc demeure très limpide : je me réjouis de travailler avec mes amis, collègues et partenaires pour continuer à renforcer, élargir et approfondir nos relations commerciales, politiques, de sécurité et culturelles dans l’intérêt de nos deux royaumes. 

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