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«Les causes directes des inégalités et de la difficulté d’appliquer l’approche genre sont socioculturelles»

Chaque année, le débat sur la parité au travail revient au-devant de la scène à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. En dépit des efforts déployés pour assurer l’égalité entre les femmes et les hommes en entreprise, il semble qu’au Maroc nous soyons encore loin d’instaurer cette notion de parité. Pour Imane Hadouche, coach et consultante en RH, les lacunes au niveau législatif restent la première cause de cette disparité. À cela s’ajoutent les barrières socioculturelles, le mode de confiance de l’entreprise et aussi les croyances limitantes ancrées chez certains managers qui n’arrivent toujours pas à faire confiance à la femme et à lui accorder un poste de responsabilité.

«Les causes directes des inégalités et de la difficulté d’appliquer l’approche genre sont socioculturelles»

Le Matin : La parité, quel état des lieux au Maroc ?
Imane Hadouche : Selon toutes les enquêtes et tous les rapports, dont celui du Conseil économique, social et environnemental, nous sommes encore loin des attentes en termes de parité. Et bien évidemment, il existe plusieurs raisons, et même plusieurs manières d’interpréter les chiffres, selon les critères et les indicateurs utilisés dans les enquêtes, selon les échantillons de population questionnée et, souvent, il faut faire des lectures recoupées pour mieux cerner les problématiques et les enjeux. Par exemple, sur un rapport privé réalisé par un client, j’ai personnellement constaté que globalement la moyenne des salaires des femmes était plus élevée que celle des hommes. Et en complétant l’enquête, il en est ressorti que la majorité des femmes étaient des cadres, alors que la plupart des hommes étaient des techniciens. En menant une nouvelle enquête, avec des indicateurs plus précis et un échantillonnage mieux indexé, il en est ressorti que les hommes-cadres avaient un salaire supérieur aux femmes-cadres. Donc, on peut tout faire dire aux chiffres, et une enquête ne peut être menée que par des experts spécialisés en statistiques et en sondages.

Concrètement, quels sont les types d’inégalités dont souffrent les femmes en entreprise ?
On constate plusieurs aspects de discriminations et disparités :
La disparité salariale reste l’aspect le plus flagrant, puisque la moyenne des salaires homme/femme affiche un écart selon les enquêtes menées au niveau national. On constate aussi des inégalités concernant l’accès à la formation professionnelle, et aussi au niveau de l’évolution de carrière et l’accès aux postes de responsabilité. Il existe d’autres formes de disparités, très peu perceptibles, comme les conditions morales de travail, l’exclusion des réunions ou des événements importants, l’exclusion des rencontres networking et de réseautage, et bien d’autres pratiques à peine perceptibles et tellement insidieuses.

«Quelles sont les raisons qui expliquent la persistance de ce phénomène ?»
Il est bon de préciser que le cadre normatif et juridique est assez équitable. Il y a par contre de vraies lacunes concernant l’application de la Constitution, des lois et des conventions internationales. Donc, à mon sens, les lacunes au niveau législatif sont la première cause de disparité. Dans un esprit pratique, je crois profondément que des lois appliquées peuvent et doivent changer les mentalités, alors que souvent, les lois chez nous, se contentent d’accompagner ou suivre en aval un changement de mentalités. Et bien évidemment, en parlant de mentalités, les causes directes des inégalités et de la difficulté d’appliquer l’approche genre sont socioculturelles : on commence par l’orientation scolaire et le choix des filières. Les familles s’impliquent moins dans le soutien des filles, puisqu’au pire, elle se mariera. Donc forcément, on l’oriente vers des études courtes ou peu compliquées. La précarité peut aussi avoir un impact direct sur les choix des études, et par conséquent sur la qualité des diplômes et des qualifications. Les traditions encouragent aussi les mariages et les grossesses précoces, ce qui peut freiner la carrière d’une femme ou l’arrêter net. Beaucoup de femmes abandonnent leurs emplois suite à leur accouchement. D’abord parce que «culturellement» les responsabilités et les obligations familiales lui incombent et n’impliquent pas le mari et papa. Le congé de maternité étant insuffisant, surtout quand on sait que les infrastructures décentes, pouvant accueillir un bébé de deux mois, sont inexistantes. Et donc la femme est la seule à devoir faire face au choix crucial entre son statut de maman et sa carrière. Il y a aussi le mode de fonctionnement au sein de l’entreprise, et puisqu’une entreprise reflète finalement le mode de fonctionnement de toute la société, on se retrouve avec des pratiques naturellement patriarcales ou même machistes : les femmes se retrouvent exclues du réseau professionnel et des rencontres entre collègues ou pairs par exemple, elles sont moins recommandées dans ce même réseau professionnel, et donc pénalisées et freinées dans leur évolution. Le fait qu’elles soient engagées dans leurs obligations familiales fait qu’on évite de leur confier des dossiers urgents ou importants, puisque l’idée ancrée chez la majorité, c’est qu’on ne peut pas compter sur une femme pour faire des heures supplémentaires ou trouver un équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle. 


Comment rompre avec ces pratiques ?

«Encore une fois, je reviens vers le volet législatif et le champ d’application des lois qui pénalisent toute forme de discrimination. Mais d’autres méthodes plus assertives peuvent aussi donner des résultats : la création de clubs féminins d’ALUMNI (club des anciens d’une université ou d'un institut), pour se soutenir et créer un réseau professionnel féminin. La création de clubs féminins par métier et par domaine d’expertise, pour entretenir un réseau solidaire et organiser des événements et des formations. Instaurer, grâce aux syndicats et au dialogue social, l’obligation d’ouvrir des crèches en entreprise. Lancer un plaidoyer pour revoir les termes du congé de maternité et, pourquoi pas, de paternité. Instaurer la question du genre comme critère donnant lieu à un label reconnu par les ministères de tutelle… Il existe plusieurs approches pouvant accompagner ce changement de mentalités, encore faut-il avoir la volonté de le faire.»

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