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«Les études de genre sont un ensemble de disciplines scientifiques attestées et objectives et non des fantaisies partisanes et militantes»

L’Unesco organise, ces 28 et 29 mars à Rabat et Casablanca, un Symposium international intitulé «Le genre et l’université, expériences croisées vers la généralisation des études de genre». Phinith Chanthalangsy, chef de section, spécialiste de programme, «Sciences sociales et humaines», au Bureau multipays de l’Unesco pour le Maghreb, nous explique les objectifs de cet événement et nous rappelle l’importance des études de genre et leur impact sur la société.

«Les études de genre sont un ensemble de disciplines scientifiques attestées  et objectives et non des fantaisies  partisanes et militantes»
Phinith Chanthalangsy, chef de section, spécialiste du programme «Sciences sociales et humaines», au Bureau multipays de l’Unesco pour le Maghreb.

Le Matin : Quel est l’objectif de l’organisation du Symposium international  sur les études de genre ?
Phinith Chanthalangsy
: L’objectif premier est de plaider pour une généralisation méthodique des études de genre dans les universités au Maroc, en tant que levier incontournable de réalisation du principe de l’égalité entre les sexes. Avec la communauté universitaire marocaine, de vive voix et collectivement, il s’agira de réitérer l’urgence d’instituer et de généraliser les études de genre dans le système d’éducation et de recherche, si nous voulons que les cadres politiques, constitutionnels et juridiques relatifs à l’égalité se traduisent vraiment dans les faits. Ce symposium permettra également des échanges de pratiques et d’expériences avec des pays de l’espace méditerranéen, et de consolider les réseaux de formation/recherche sur le genre au niveau national et international.

L’Unesco milite pour la généralisation des études de genre. Expliquez-nous l’importance de ce type d’étude et quel impact cela aura-t-il sur la société ?
Tout d’abord, il faut affirmer sans ambages que les études de genre sont un ensemble de disciplines scientifiques attestées et objectives, et non pas des fantaisies partisanes et militantes. Les études de genre sont une approche scientifique interdisciplinaire, offrant des catégories d’analyse à même de déceler des constructions sociales de différenciation inégalitaire de sexes dans nos sociétés. Ceci est fort important d’abord pour nous aider à nous rendre compte – et peut-être à nous défaire – de nos préjugés et stéréotypes fondés sur l’idée d’inégalité des sexes et d’assignation sexée des rôles sociaux, et ensuite pour rendre possible des actions publiques et individuelles qui soient respectueuses des principes d’égalité, de liberté et de dignité de tous les individus. À ce titre, les études de genre gagneraient à être reconnues et soutenues dans un système éducatif appelé à bâtir un Maroc moderne et en phase avec les évolutions sociales. Aujourd’hui au Maroc, l’égalité hommes/femmes fait partie de la matrice constitutionnelle du Royaume ; elle fait l’objet d’un Plan gouvernemental pour l’égalité ; elle a provoqué une évolution positive dans la Moudawana. Ce sont là autant d’avancées majeures vers l’égalité et la dignité de tous. 
Cependant, la question qui se pose est simple et elle reste entière : Qui sera à même de mettre en œuvre de telles politiques et de tels cadres de principes ? Si nous ne formons pas dès aujourd’hui et continuellement des hommes et des femmes capables de maîtriser des notions et des outils de base en matière de genre, alors il est fort à parier que les déclarations de principes et les cadres de politiques publiques resteront 
des vœux pieux.

Quels sont les métiers et les secteurs qui proposent du travail aux jeunes ayant choisi de suivre des études de genre à l’université ?
Les besoins en expertise de genre ne manquent pas au Maroc, et sont appelés à s’accroître à mesure que le pays avance vers la consécration du principe d’égalité et de l’état de droit. L’université, l’administration publique, les organisations internationales, les organisations de la société civile, l’entreprise ou encore l’école publique ont et auront besoin de plus en plus de compétences en matière de genre, à mesure que l’impératif d’intégrer la culture de l’égalité homme/femme dans toutes les sphères de la société et de l’État se fera plus systématique. Le besoin, y compris économique et en terme d’emploi, de formation relative aux études sur le genre et à la culture de l’égalité, est donc patent et se ressent à tous les niveaux : théorique et professionnel, formations académiques et professionnalisantes, et recherche fondamentale.

Quels sont les établissements qui proposent des études de genre au Maroc ? Et y a-t-il beaucoup de Marocains qui choisissent cette filière ?
L’étude d’état des lieux publiée par l’Unesco et l’Université Hassan II en 2018 sur les formations et la recherche sur le genre au Maroc montre qu’il existe, à ce jour, cinq masters sur le genre au Maroc, répartis sur l’ensemble du territoire. Un grand nombre de modules genre existent aussi, intégrés dans les programmes de formation (du L1 au Master), et plus de vingt équipes, laboratoires ou groupes de recherche spécialisés sur ces questions sont en place à Casablanca, Rabat, Kénitra, Marrakech, Tanger, Oujda, Fès, Meknès et Agadir. Des enseignants de grande qualité assurent ces formations, en pointe dans leur domaine, et bien connectés aux réseaux mondiaux. 
Malheureusement, le nombre d’étudiants reste limité, en raison très certainement de la désinformation sur les études de genre, et peut-être aussi parce que les formations existantes sont dans des départements de français et d’anglais, décourageants des étudiants ne maîtrisant pas ces langues étrangères. Un autre phénomène important est qu’il manque de vocation parmi les hommes dans ces filières d’études, comme si les études de genre n’étaient qu’une affaire de femmes ! Des actions spécifiques doivent donc être entreprises pour encourager davantage les hommes à s’engager dans ces filières, si l’on veut réellement aboutir à des changements sociaux réels.

Quelles sont les actions menées par l’Unesco pour généraliser les études de genre ?
Depuis 2015, en Tunisie et au Maroc, l’Unesco a déployé son action autour de quatre pôles d’intervention dans ce domaine. Il s’agit de fédérer et de renforcer un réseau national et international en études de genre, pour favoriser les échanges d’expériences au niveau mondial, publier des études sur l’état des études de genre, accompagner le cadrage et la structuration du domaine et formuler et porter des recommandations des acteurs universitaires au niveau politique. Il est à noter que depuis 2018, l’Unesco a étendu ses actions également au Liban, en Égypte, et au Soudan.

Enfin, si vous aviez un message à adresser aux jeunes qui hésitent de suivre des études de genre, que leur diriez-vous pour les encourager ?
Le message doit donc être très clair vis-à-vis des jeunes. Premièrement, l’expertise genre est une expertise aujourd’hui très recherchée au Maroc comme dans le monde, menant à des métiers diversifiés tels que cadres dans la fonction publique comme dans les entreprises, experts et consultants auprès des organisations internationales, enseignants, journalistes, etc. Les débouchés professionnels sont donc réels.
Deuxièmement, les enjeux de notre monde étant devenus très complexes, les compétences qui seront recherchées demain sont celles qui permettent à l’individu de croiser les domaines de savoirs différents, afin de produire des analyses fines de la société. Les études de genre figurent parmi ce type de sciences sociales qui sont par définition pluridisciplinaires. C’est donc une très bonne école pour le citoyen du 21e siècle.
Enfin, je dirais qu’il n’y a rien de plus précieux pour un(e) jeune que d’apprendre à interroger volontairement les structures et l’organisation sociales qui déterminent si intimement son existence, tel que le rapport social de sexes. Cela fait grandir, cela permet de mieux connaître l’autre et soi-même. Que demander, en effet, de plus à l’éducation dans son sens le plus noble ? 

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