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«Les femmes marocaines dans le domaine de l’astronomie ont toutes les chances d’être les égales de l’homme»

Enseignante chercheuse à la Faculté des sciences et techniques de Marrakech et membre du Laboratoire de physique des hautes énergies astrophysique et astronomie, Aziza Bounhir est une grande passionnée d’astronomie et elle en a fait son métier. À l’occasion de la journée mondiale des droits des femmes célébrée le 8 mars, elle confie au journal «Le Matin» les principales difficultés que peuvent rencontrer les femmes astronomes et scientifiques en général et la façon de les surmonter.

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Quand on parle d’astronomie, on pense presque systématiquement aux hommes, alors que les femmes ont également réalisé beaucoup de découvertes dans ce domaine, parlez-nous de ces femmes d’exception ?
En effet, quand il est question de citer un grand astronome, c’est toujours un homme qui vient à l’esprit : Ptolémée, Copernic, Galilée, Kepler, Newton, Einstein, Hubble… La moitié de l’espèce humaine est oubliée par l’histoire des sciences. Bien que les femmes n’aient guère eu accès aux sciences en général et à l’astronomie en particulier, elles ont quand même réalisé des découvertes majeures et ont légué à l’humanité des trésors inestimables et de surcroit en rencontrant des difficultés énormes. À titre d’exemple, ce sont les femmes astronomes qui à leur époque ont détenu le record de découvertes du plus grand nombre de comètes et d’astéroïdes. C’est une femme qui a découvert la loi permettant d’étalonner l’univers, offrant ainsi à l’humanité la possibilité de retrouver la distance nous séparant de n’importe quelle galaxie. C’est aussi une femme qui a permis de comprendre comment se forment les étoiles. C’est une femme qui a prouvé que les galaxies tournent à l’unisson comme un objet rigide et a également bouleversé notre vision de l’univers en y apportant la structure de la matière noire. C’est aussi une femme qui a découvert les pulsars… 

Quelle est la situation des femmes marocaines dans le domaine de l’astronomie ? Croyez-vous qu’elles sont en train de devenir les égales des hommes ?
Les femmes astronomes marocaines sont très peu nombreuses. Alors pour répondre de manière adéquate à cette question, il faudrait une bonne documentation, chose que je n’ai pas ! Mais à mon avis, les femmes marocaines dans le domaine de l’astronomie ont toutes les chances d’être les égales de l’homme. En toute honnêteté, je dois avouer que mes collègues hommes dans le laboratoire m’ont beaucoup soutenue et beaucoup aidée. Mes résistances étaient intérieures, car étant mère de famille, j’ai beaucoup privilégié mon foyer à ma carrière scientifique. J’ai soutenu mon doctorat d’État en 2009 sous la direction du professeur Zouhair Benkhaldoun, le directeur de l’Observatoire d’astronomie de l’Oukaïmeden, qui a été d’un grand soutien. Je saisis cette occasion pour lui rendre hommage, car je trouve qu’il est un grand homme, dévoué et travailleur. 
Il est à signaler aussi que nombre de femmes marocaines poursuivent leurs carrières d’astronomes dans des institutions de recherche internationales. Nous n’en citerons aucune ici de peur d’en oublier. 

Quelles sont, selon vous, les difficultés que rencontrent les femmes pour avoir des carrières scientifiques et particulièrement en astronomie ? 
Les filles qui accèdent aux études supérieures ont généralement un très bon niveau scientifique qui n’est en rien moins que celui des garçons. On notera par exemple dans notre laboratoire LPHEA (Laboratoire de physique des hautes énergies astrophysique et astronomie) 16 doctorantes pour 24 doctorants. Nous n’avons pas une parité exacte, mais nous sommes quand même très fières du nombre de doctorantes présentes. En règle générale, les hommes font plus facilement carrière que les femmes. Sommes-nous moins agressives que les hommes ? Sûrement ! Il faut aussi préciser que la femme devient par la suite mère de famille et consacre prioritairement le maximum de son énergie à ses enfants et son foyer, tandis que l’homme a le loisir de déployer toute sa force pour sa réussite professionnelle. En astronomie en particulier, des nuits d’observations sont nécessaires pour mener des travaux de recherche. Ceci dans certains cas semble contraignant pour les femmes. 

Que faut-il faire alors pour vaincre ces obstacles ? 
Pour vaincre les obstacles, il faudrait que les résistances diminuent. Les résistances sociales sont très contraignantes. Par exemple, les femmes redoutent le regard que pourrait porter sur elles la société si elles passent plusieurs nuits d’observations loin de leur foyer. Notre société est particulièrement «mauvaise langue», il faut bien l’avouer, et cela pourrait constituer un frein à l’épanouissement des femmes en astronomie. Les résistances internes sont les plus redoutables. Il faut s’en débarrasser et le plus tôt sera le mieux. Les femmes devraient nourrir leur passion sans tenir compte du regard de l’autre. 

En tant que femme scientifique, quel conseil pouvez-vous donner aux femmes et aux jeunes filles qui souhaitent avoir une carrière scientifique ? 
J’encourage vivement les filles à accéder à une carrière scientifique. Il n’y a pas plus nourrissant que d’avoir des questionnements et d’essayer d’y répondre. Ce cheminement est des plus exaltants, car il nous pousse vers la lecture des dernières trouvailles. Il nous pousse à développer notre sens du discernement pour faire la part des choses dans ce qui n’est pas encore établi par un consensus et aussi de questionner certaines vérités… Le conseil que je donne aux jeunes filles est d’écouter leur cœur en premier lieu et de suivre leur passion, quelle qu’elle soit d’abord. 
La passion est un carburant très puissant qui mène vers l’épanouissement, la réussite, le succès et les grandes découvertes. Notre société est en train d’aller de l’avant, mais il y a encore une tendance à dénigrer les femmes et vouloir les rabaisser. C’est pourquoi j’encourage les filles à être responsables et lever leurs résistances intérieures pour faire face à ces agressivités nuisibles. Une agressivité ne peut nous atteindre sans une invitation de notre part. Un travail de la fille sur elle-même pour écouter le positif et laisser le négatif de côté comme s’il n’a aucun écho sur sa psyché est le meilleur moyen d’avancer. 

Entretien réalisé par Hajjar  El Haiti

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