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Mardi 19 Mars 2024
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«J’aimerais voir Marseille triompher grâce à des joueurs marocains»

Présent au Maroc en compagnie de la métropole Marseille-Aix en Provence, le directeur général de l’Olympique de Marseille, Laurent Colette, espère faire revivre les liens entre le club phocéen avec son public au Maroc. L’ancien «Monsieur Marketing» du FC Barcelone et de l’AS Roma fait valoir, dans cet entretien avec «Le Matin», les aspects qui font de l’OM un club mythique en France, mais aussi dans le Maghreb où il est très suivi. Champions Project, équilibre entre sport et business, possibilités de rapprochement avec les aficionados marocains : Laurent Colette évoque un grand nombre de sujets avec un œil gardé sur les objectifs de retrouvailles avec le très haut niveau européen.

«J’aimerais voir Marseille triompher grâce  à des joueurs marocains»
Laurent Colette.

Le Matin : Quel est l’objet de votre visite au Maroc ?
Laurent Colette
: Très précisément, j’accompagne une mission économique de la métropole de Marseille-Aix-en-Provence, qui rend visite au Maroc, à Tanger puis à Casablanca, avec un certain nombre d’acteurs économiques : le port de Marseille, la CMA/CGM, un certain nombre de startups, l’université… Dans le cadre des relations très étroites que l’on a avec le Maroc, Martine Vassal, la présidente de la métropole, pour son premier voyage à l’étranger – elle vient d’entamer son mandat – a choisi de se rendre au Maroc. On a voulu marquer le coup, en l’accompagnant afin de reprendre contact avec un territoire qui nous aime, mais avec lequel on n’avait jamais vraiment travaillé. C’est un peu une injustice que j’ai voulu commencer à réparer, en venant ici et en me reconnectant un petit peu avec la réalité marocaine.

Justement, Marseille est une ville extraordinaire avec des ascendants de l’Afrique, de l’Europe, avec l’Olympique de Marseille, le club fanion de cette ville. Que représente, selon vous, l’OM pour la ville de Marseille et la France en général ?
Quand j’étais petit, j’avais la chair de poule rien qu’en disant «Olympique de Marseille» et je l’ai encore. C’est pour ça que j’ai accepté cette mission. J’étais en Espagne et je n’avais pas l’intention de rentrer en France, même si je suis Français et j’adore la France. Quand on m’a contacté pour travailler à l’Olympique de Marseille, tout est ressorti avec les souvenirs d’enfance. Marseille, que je ne connais pas beaucoup, est une ville ouverte au monde vers le Sud. Je suis du Sud, j’ai travaillé à Barcelone et à Rome, donc dans le bassin méditerranéen. J’ai vécu au Maghreb, en Tunisie. Tout ça, pour moi, avait une logique. L’OM est vraiment un club qui représente sa ville, dans sa diversité, dans sa passion, avec une communauté marocaine très importante. On se balade dans les marchés et il y a déjà un avant-goût du Maghreb. Marseille, c’est aussi un port avec beaucoup d’activité, ce qui représente un peu le monde. L’Olympique de Marseille représente le club de la ville. 99% des gens qui habitent Marseille vivent pour l’OM. Ce n’est pas comme dans d’autres villes où il y a deux, voire plus de clubs. À Barcelone, il y a le Barça mais aussi l’Espanyol, à Rome, il y a la Roma et la Lazio, à Londres il y a huit clubs… Par contre, à Marseille il y a l’Olympique de Marseille. Il n’y a pas non plus d’autres sports au niveau du football à Marseille, mis à part nos amis du RC Toulon (club de rugby, ndlr), mais ils sont un peu loin. Il n’y a pas de concurrence et donc l’OM est le symbole d’une ville cosmopolite, ouverte, qui vit à 120 à l’heure. Il y a des gens qui entrent, qui sortent, il y a de la vie, du mouvement…

L’Olympique de Marseille est très populaire au Maghreb, mais la dernière fois que l’OM a fait le déplacement au Maroc, c’était en janvier 2013. Pourquoi tant d’années sans que l’OM revienne au Maroc ?
D’abord, il y a des impératifs de calendrier. Je le vois cette année, puisqu’on est en train de préparer l’intersaison et ce n’est pas facile. Il y a de moins en moins de latitude, les joueurs ont un calendrier très chargé, il y a les matchs internationaux. Cette année par exemple, la Ligue 1 va se terminer fin mai, mais dès début juin, il y a des dates de matchs internationaux. Donc les joueurs ne vont pas être disponibles autour du 10 juin. Après, il y a peu de temps pour préparer une pré-saison. Tous les entraineurs rigoureux vous diront qu’une pré-saison est très importante pour marquer le début d’une saison et donc il faut monter tout doucement en puissance. Dans tout ça, c’est difficile de trouver des moments. Je suis là parce que je pense que ce serait bien – je ne promets rien pour l’instant – de revenir jouer au Maroc. On doit pouvoir trouver le temps, malgré les difficultés que j’ai citées. Ce serait logique. J’avais accompagné le Barça à Tanger en 2012 contre le Raja et si le Barça est venu, Marseille devrait venir aussi. Je crois que ce genre de rencontres serait un hommage à tout ce public qui nous suit au Maroc et avec qui on sent qu’on est aimé. Notre idée est de venir assez tôt.

Le public marocain suit de plus en plus les championnats d’Espagne et d’Angleterre. La Liga a même organisé un événement récemment pour se présenter au Maroc, alors que le championnat espagnol est déjà très populaire. Y a-t-il des actions dans ce sens que l’Olympique de Marseille ou la Ligue française entendent organiser ici ?
Je pense que c’est une question que vous devriez poser à la LFP (Ligue de football professionnel). Je sais qu’il y a des projets de développement chez les gens de la LFP et que le Maghreb représente un territoire très important. Ils sentent qu’on est aimés et qu’on a peut-être perdu des parts de marché. Bien évidemment, la Premier League et La Liga ont des arguments à faire valoir, avec des matchs spectaculaires, avec de grands noms du football, servis par une puissance économique qui permet de plus en plus de grands joueurs. Ce n’est pas forcément facile pour les clubs français. Il faut qu’on trouve une autre manière de nous personnaliser. Je pense que cette passion qu’ont les Marocains pour Marseille devrait être un argument sur lequel on doit construire. C’est à nous de retravailler ça et ça ne se fait pas en un jour. Il va falloir être malin et intelligent pour nous-mêmes, mais aussi pour nos collègues de la Ligue et d’autres clubs, comme le Paris Saint-Germain. À la fin, nous avons les mêmes intérêts, avec Lyon, Bordeaux, Monaco… Il faut trouver des arguments pour que la Ligue 1 française soit regardée au Maghreb et dans le monde parce que c’est un beau spectacle. N’oublions pas que la France est championne du monde, c’est le deuxième pays exportateur de talents dans le monde et il y a énormément de joueurs maghrébins qui ont fait la gloire des clubs français et qui le feront encore. J’aurais envie de voir un jour Marseille atteindre de bons résultats grâce à un ou deux joueurs marocains. Ce serait assez sympathique. Je me souviens que quand Zinedine Zidane est allé jouer en Italie, tout à coup, le championnat italien était devenu très attractif, on a appris à connaître les grands clubs d’Italie, les grands joueurs italiens. Parfois, ce sont des choses comme ça qui déclenchent un amour pour un championnat un peu différent.

Aujourd’hui, il y a une domination du Paris Saint-Germain sur le football français, mais Marseille garde sa base de popularité qui pourrait lui permettre de revenir sur le devant de la scène. Est-ce le projet actuel à l’OM ?
Je ne veux pas trop me comparer au PSG. Ils ont leur personnalité, leur plan, leur succès. Mais à la fin, nous sommes des clubs rivaux. Sur le terrain, on a envie de les battre parce qu’on ne se sent pas inférieurs. Ce qui est important, c’est que Marseille garde sa personnalité et se développe en fonction de sa personnalité et de sa valeur. Ça veut dire que nous avons notre style, nos supporters sont reconnus comme les plus passionnés, les plus bouillonnants de France. On doit travailler sur cette essence-là et que les supporters maghrébins comme dans d’autres pays nous reconnaissent pour ces valeurs. La première fois que je suis entré au Vélodrome en prenant mes fonctions, j’ai eu un vrai choc parce qu’on sentait une chaleur que je n’ai pas vue dans d’autres stades en Europe, et pourtant j’en ai vu des stades. Mais cette communion de la ville, des supporters, du club… Ces chansons, cette créativité sont assez spécifiques et c’est sur ça qu’il faut construire.

On a beaucoup parlé des nouveaux propriétaires, qui sont là depuis octobre 2016, avec l’arrivée de Franck McCourt. On a surtout parlé d’un «Champions Project» pour l’OM. Où en est ce projet actuellement ?
Comme tout projet, surtout dans le football, il faut de la patience. Je crois que quand M. McCourt est arrivé avec le président Eyraud, ils ont complètement restructuré le club. Il y avait beaucoup de travail à faire. On a engrangé de très bons résultats, même sportifs, puisque l’année dernière nous avons atteint la finale de l’Europa League. Bien évidemment, l’histoire montre que, des fois, il faut un petit coup de mou après une grande saison. Mais le Champions Project continue d’être une réalité. M. McCourt a déjà injecté 250 millions d’euros de ses propres fonds. Ce n’est pas une grande multinationale, c’est un «family business» aux États-Unis. C’est lui-même qui s’investit et il a envie de connaître Marseille. Quand j’ai passé mon entretien avec lui, on avait passé une heure à parler de la ville de Marseille. Il avait encore des tas de questions et il a envie de rester, de se développer. On met tout en place pour arriver à remonter Marseille dans le gratin des grandes équipes européennes. Regardez ce qui se passe avec Manchester City, avec le PSG, avec beaucoup de clubs. Ce n’est pas facile parce qu’il y a une concurrence extrême. Vous avez les aléas et la grande incertitude du sport, qui font qu’il faut garder son sang-froid, les ceintures bien accrochées et quand on est motivés, qu’on travaille bien et qu’on a des objectifs bien précis, on a beaucoup plus de chances d’y arriver. C’est notre but de rester bien concentrés, bien professionnels et accepter des paliers. Ça permet de repenser et de rebondir plus fort. Je crois que l’Olympique de Marseille a suffisamment de force et que M. McCourt et le président Eyraud sont de grands professionnels, qui nous montrent la voie. Le projet sera peut-être un peu long, mais on est sur la bonne voie.

De par votre expérience au Barça (Laurent Colette y a été directeur marketing pendant plus de 5 ans) et à la Roma, pensez-vous qu’actuellement l’équilibre entre le volet sportif et le volet business est impératif dans un club de haut niveau ?
Il faut que le sportif continue d’être important. Il y a une expression anglaise qui dit «pas de penny, pas de joueur de cornemuse» et que répétait Curkovic, l’ancien gardien de Saint-Étienne. Si on ne met pas des ressources, on ne peut pas atteindre ses objectifs. Oui, il faut mettre des ressources, mais on a un club comme Lille cette saison, qui fait un très beau parcours avec un budget bien moindre que ses rivaux. Cela prouve que le sportif a encore ses droits. Tout doit être un savant dosage entre des ressources minimales pour atteindre un certain nombre d’objectifs, mais après, il faut laisser la place au sportif qui apporte cette magie. À la fin, le football c’est un équilibre à la fois très fragile et très subtil. Vous pouvez avoir de bons résultats parce que, tout d’un coup, la mayonnaise a bien pris et les onze joueurs s’entendent très bien. Parfois, il y a un joueur qui n’était pas très connu et qui s’est révélé. Prenez Benatia, qui était très fort à Rome, puis il a rencontré des difficultés dans d’autres équipes. Ça ne veut pas dire qu’il était tout d’un coup moins bon. On est tous une pièce d’un puzzle et il faut trouver la manière pour que les joueurs se sentent bien, s’expriment à leur maximum et fassent que la force collective nous amène vers les sommets, comme ce qu’on a fait l’année dernière. Après, c’est plus facile de mettre en marche la machine économique et tirer les ressources. Si on met beaucoup d’argent en méprisant les sportifs, ça ne marche pas. Si on mise tout sur le volet sportif, mais qu’il n’y a pas d’argent, ça ne marchera pas non plus. Tout doit être un savant équilibre.

Si vous deviez garder une chose de votre expérience aussi bien au Barça qu’à la Roma pour l’apporter à Marseille, ce serait quoi ?
Je crois que je garderai le sang-froid. Dans le football, on a toujours des surprises tous les trois jours. Bonnes ou mauvaises. Ce n’est pas comme quand on est directeur d’une banque ou quand on commercialise des produits laitiers, avec tout mon respect bien sûr. Chez nous, le yaourt peut être à la fraise lundi et au citron jeudi. Ça oblige à avoir le sang froid et savoir raison garder pour prendre des décisions.

Quels sont vos pronostics pour l’Olympique de Marseille en cette fin de saison ? Peut-être une place en Ligue des champions…
Mathématiquement, ça va être difficile. Je crois qu’il faut être réaliste, mais on va se battre. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. On a vu des équipes revenir du diable Vauvert pour l’emporter. Maintenant, on va essayer d’assurer notre place en Europa League et de travailler pour les prochaines saisons. Le football est un éternel recommencement. Chaque début de saison, toutes les équipes du monde repartent avec 0 point, avec des ambitions nouvelles, avec de nouveaux joueurs… C’est ce qu’on va faire. On va travailler avec l’envie de redonner à l’OM le blason qu’il avait à certaines époques. On est sur la bonne voie et je crois qu’on a une base de joueurs, une base de supporters qui nous donnent de la confiance pour l’avenir. On doit continuer à construire, améliorer ce qui peut l’être, mais il y a plein de paramètres qui sont déjà positifs. 

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