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«Le modèle économique doit basculer vers l’offre»

Beaucoup d’entreprises marocaines ne sont pas compétitives sur leur marché naturel et se font malmener par les importations. Pour Mohamed Berrada, président du Comité scientifique des 3es Assises de la Fiscalité et ancien ministre des Finances, la demande doit être adressée aux entreprises marocaines. Ce n’est qu’ainsi que les entrepreneurs seront rassurés et enclins à réaliser de nouveaux investissements, eux-mêmes générateurs d’emplois et de demande intérieure. En d’autres termes, plutôt que de baser la croissance sur la demande, il serait temps, selon l’ancien ministre des Finances, de s’appuyer sur l’offre.

«Le modèle économique doit basculer vers l’offre»
Mohamed Berrada était l’invité de l’émission L'Info en face sur Matin TV. Ph. Sradni

Les 3es Assises de la Fiscalité, un coup d’épée dans l’eau ? À ceux qui le pensent, Mohamed Berrada répond : «Il faut, à un certain moment, mettre tous les problèmes à plat et installer les dispositifs nécessaires pour les résoudre». Le président du Comité scientifique des 3esAssises de la Fiscalité était l’invité, en début de semaine, de l’émission L’Info en Face sur Matin TV. «Le problème est qu’à travers les différentes lois de Finances qui sont venues après la loi-cadre suite aux Assises de 1999 et 2013, plusieurs dispositifs fiscaux ont pris place, en fonction des intérêts sectoriels et opportunités de l’époque», rappelle Berrada. Résultat : un système fiscal qui manque de cohérence. Les Assises de cette année avaient pour ambition de rétablir cette cohérence.
Mais, pour cet économiste, le problème fondamental n’est pas fiscal, mais économique et social, de chômage des jeunes et d’inégalités.  L’objectif des Assises était donc de savoir dans quelle mesure une nouvelle politique fiscale pouvait contribuer à résoudre ces problèmes. Toutefois, rappelle Berrada, «la politique fiscale n’est qu’un des instruments de la politique économique. Si on ne met pas en marche d’autres politiques comme celle du taux de change, monétaire ou financière tout ce que nous ferons ne servira à rien !».
C’est pour cela que, en tant que président du comité scientifique des Assises, Berrada a souhaité donner une approche économique aux problèmes traités. «Il faut raisonner dans la complexité. Malheureusement, on approche les choses sur un plan sectoriel. Quand on analyse ainsi, on n’introduit pas un secteur dans un ensemble économique, on l’exclut. Il en résulte donc un problème de relation entre les secteurs et nous n’avons pas de résultats», déplore-t-il. Si la croissance est attendue du nouveau modèle de développement souhaité par le Souverain, c’est parce que l’actuel modèle s’est essoufflé. 

Modèle de développement, les origines d’un essoufflement
Le Maroc a suivi l’évolution mondiale des modèles économiques. La politique keynésienne, qui a donné une grande croissance en Europe, aux États-Unis et dans d’autres pays, a fini par engendrer une aggravation des déficits publics internes et externes de plusieurs pays, le Maroc y compris. «Nous avons donc été amenés à revoir notre modèle de développement économique pour choisir le néolibéral : liberté économique, esprit d’entreprise, privatisation, réduction des déficits, etc. C’est le modèle de développement économique en vogue partout dans le monde», rappelle le professeur d’économie. Le problème c’est qu’il est en train de s’essouffler partout dans le monde. Parmi les raisons principales, la désindustrialisation principalement à cause de la montée en puissance de la Turquie ou encore de la Chine, considérée comme l’atelier du monde. L’aggravation des inégalités dans le monde n’a pas arrangé les choses. «La Russie fait partie par exemple des pays où ces inégalités sont les plus criantes. La Chine, les États unis et le Maroc également», indique Berrada.
Le modèle de développement actuel du Maroc est un mélange d’économie libérale et keynésienne. «Depuis 25 ans, la croissance a été tirée par la demande interne privée et publique (investissements de l’État, dépense publique). Le schéma keynésien dit que pour tirer la croissance, il faut investir. Notre pays a réalisé beaucoup d’investissement au cours des 25 dernières années. 
Au point où il est devenu un véritable chantier. Le taux d’investissement au Maroc est l’un des plus élevés au monde, avec 32%. Il devrait créer de la croissance, selon le schéma keynésien. Malheureusement, il ne l’a pas fait». Car les investissements publics, principalement dans l’infrastructure, créent beaucoup d’emplois, mais temporaires. Or ce qui crée de vrais emplois, ce sont les investissements productifs permanents. «C’est le secteur privé, mais aussi le public qui peut investir dans des entreprises industrielles. Il se trouve que nous avons tout privatisé, le secteur public est absent et le privé ne le fait malheureusement pas», estime Berrada.  Comment alors relancer ces investissements ? «Si la théorie keynésienne dit que la croissance est générée par la demande, cette dernière doit être adressée aux entreprises nationales», répond l’invité. Or, celle-ci s’adresse en grande partie à des entreprises étrangères. Si elles sont plus compétitives que les nôtres, l’État aurait pu agir de manière plus vigoureuse pour améliorer la compétitivité de nos entreprises avant d’ouvrir le marché et de signer une multitude d’accords bilatéraux et multilatéraux, explique-t-il.
La solution ? «Il faut passer à un modèle basé sur l’offre», préconise Berrada. Il y a des industries qui marchent comme l’automobile ou encore l’aéronautique. Mais d’autres secteurs pourraient aussi contribuer. 
À condition d’abord de «ralentir les importations sauvages. Quand il y a par exemple une crise de l’immobilier en Espagne et que les industriels de céramique bazardent leur production, c’est du dumping. Et cela massacre les entreprises marocaines», détaille l’ancien ministre. Mais que peut-on produire encore aujourd’hui au Maroc ? Et sur quelles spécialités miser ? «Toutes», répond Berrada. Car actuellement, le Maroc importe des articles que les citoyens pensaient produits en quantités suffisantes localement. «Même les balais et les chaussettes sont importés», s’indigne l’invité de L’Info en Face. «On dit souvent qu’il faut encourager les exportations. Pourtant, nous ne sommes même pas concurrentiels sur notre propre marché. Il faudrait d’abord que les entreprises marocaines arrivent à amortir une grande partie de leurs charges sur le marché local avant de pouvoir viser le marché international. Regardez la Chine qui perd du terrain sur son marché intérieur. C’est cela qui fait qu’elle perd du terrain dans l’industrie mondiale», explique notre économiste pour qui un entrepreneur qui refuse d’investir au Maroc, même si l’IS était à 10% seulement, a raison. Et pour cause, «avant d’investir, on est en droit de se demander s’il y a un marché potentiel, une rentabilité, des crédits et la possibilité de dégager du cash flow pour les rembourser. Pour l’investisseur, le problème n’est pas fiscal. S’il gagne assez d’argent, il paiera ses impôts». 

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