Le Matin : Dans un environnement régional en proie à la violence, le Maroc se présente comme une exception, tant par sa stabilité que par les réformes qu’il a menées. Comment expliquez-vous cela ?
Charles Saint-Prot : L’exception marocaine est une évidence. En effet, le Maroc est, au sud de la Méditerranée, le seul pays stable et en progrès constant. Bien qu’on ait des groupuscules gauchistes et intégristes, c’est aussi une nation unie où il est possible de constater un consensus autour de la personne du Roi. Le Maroc est aussi le seul pays émergent de cette région instable. Ce résultat doit tout à la monarchie et à la vision du Roi Mohammed VI qui s’emploie à construire un Maroc moderne ancré dans sa tradition nationale. Bien sûr, le Maroc n’est pas une île au milieu des flots. Il a des voisins turbulents, parfois inquiétants. Nation arabo-berbéro-musulmane et africaine, il ne peut être dissocié de son environnement immédiat, mais dans cet environnement troublé, le Maroc s’impose comme un modèle et un exemple à suivre.
Le Maroc a entrepris d’importantes réformes sur les plans politique et institutionnel depuis des années. Quel regard portez-vous sur ces réformes ?
Il faut souligner que le Roi imprime le mouvement de réforme et, en même temps, veille à préserver les grands principes fondamentaux qui fondent l’identité marocaine, car il sait que réforme ne signifie pas chamboulement ou aventurisme. C’est donc une évolution raisonnée et bien ordonnée. Les réformes touchent tous les domaines : économie, environnement, société, politique étrangère, etc.
Elles s’inscrivent dans le cadre d’une tradition réformiste de la monarchie et de l’Islam qui dès l’origine est une réforme. Et ici le réformisme est le socle d’une ambitieuse Politique Royale de développement global. Le terme «global» est très important, car le Souverain ne dissocie pas le développement économique et le développement social. Il a véritablement le souci de l’évolution de son peuple. Ce développement concerne également l’environnement, les énergies nouvelles et une vision très précise des relations internationales.
À ce propos, le Royaume se présente comme un acteur majeur dans son environnement continental et méditerranéen. À quoi est dû ce leadership ?
Si le Maroc est un partenaire apprécié et recherché aussi bien en Afrique que dans le monde occidental, c’est précisément parce qu’il est un acteur majeur sur le continent et en Méditerranée. C’est un partenaire de premier plan, car il est crédible, loyal et compétent. Il faut bien dire que ces qualités sont peu partagées dans cette région du monde…
Quel regard portez-vous sur la contribution du Maroc à la lutte mondiale contre le terrorisme ?
Le Royaume a placé la lutte contre le terrorisme en tête de ses priorités. Les Marocains font face avec succès et beaucoup de compétence à la menace terroriste, en réussissant à démanteler plusieurs groupes terroristes liés à des réseaux internationaux.
Le contrôle de son Sahara par le Maroc, avec notamment les garanties de sécurité qu’il apporte à la frontière sud de son territoire, à la frontière mauritanienne, est une garantie essentielle pour la région comme pour l’Europe. Il contribue à mettre cette dernière à l’abri des infiltrations de terroristes et la qualité de la coopération engagée entre les services marocains et ceux des pays européens dans le domaine de la lutte contre le terrorisme est souvent citée en exemple.
Le Maroc est un agent de stabilisation de la bande sahélienne. Seul pays véritablement stable de la région, il est le maillon fort du dispositif anti-extrémiste et antiterroriste.
Le Maroc est en première ligne et le plus apte à contrer la propagande des extrémistes de toute sorte.
L’action du Royaume contre le djihadisme se développe dans deux domaines, celui de la religion et celui de l’action sécuritaire, c’est-à-dire que le Maroc ne propose pas seulement une réponse sécuritaire stricto sensu, mais aussi une stratégie de sécurité spirituelle contre les menaces extrémistes.
Il est notable que l’engagement du Maroc contre l’extrémisme et son action très concrète contre le terrorisme sont essentiels pour la stabilité de la région sahélo-saharienne, et on sait que le Royaume fournit une assistance technique de premier ordre, notamment des conseillers et des spécialistes, aux pays africains.
Il est à ajouter ici que les provinces du Sud marocain jouent un rôle très important pour la stabilité régionale, laquelle en revanche
est menacée par le groupe séparatiste et son sponsor algérien qui a créé ce conflit artificiel avec l’ancien bloc communiste. Par ailleurs, ses très efficaces services sécuritaires coopèrent étroitement avec les services des pays européens, notamment la France, l’Espagne et les États-Unis. On sait que cette coopération et l’aide du Maroc ont permis le démantèlement de réseaux terroristes en France, en Belgique ou en Espagne.
Que gagne, selon vous, l’Europe en ayant un partenaire de confiance comme le Maroc ?
Le Royaume demeure un pilier de stabilité et de progrès incontournable, dont le rôle est apprécié à sa juste valeur par les acteurs internationaux. En Europe, le Maroc a de nombreux partenaires très proches, en premier lieu la France qui lui a toujours apporté son soutien face au complot séparatiste. Il existe un partenariat exemplaire entre Rabat et Paris. En outre, le Roi Mohammed VI a toujours manifesté un grand intérêt pour la construction européenne et ses relations avec le sud de la Méditerranée, auxquelles Il a d’ailleurs consacré Sa thèse de doctorat soutenue à l’Université de Nice en 1993. Dans sa Constitution, le Maroc s’engage à «intensifier les relations de coopération rapprochée et de partenariat avec les pays de voisinage euro-méditerranéen». Il a obtenu en 2007 un Statut avancé formalisant sa coopération avec l’Union européenne ainsi que sa participation à certains programmes et agences communautaires. Ce Statut avancé se matérialise dans un document conjoint publié en 2008. Il s’agit avant tout d’un document politique, dont la base juridique reste l’accord d’association, qui détaille des orientations plus ambitieuses pour la coopération Maroc-Union européenne que celles inscrites dans les accords d’association des autres pays partenaires. Ce Statut constitue ainsi une feuille de route exigeante et inclut cinq points principaux : la dimension politique du partenariat ; la dimension économique, financière et sociale ; la dimension humaine ; la participation du Maroc aux programmes de l’Union européenne et l’appui financier de l’Europe. Le statut avancé se traduit également en termes de coopération diplomatique au travers de la participation du Maroc aux opérations de gestion de crises (civiles ou militaires) et de son soutien aux déclarations de politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il sous-tend sa coopération en termes de lutte contre la criminalité avec l’intégration du Maroc à Europol ou encore sa coopération judiciaire avec son affiliation à Eurojust.
Le Maroc prône une politique africaine solidaire et mutuellement bénéfique. Quelle analyse vous inspire ce choix ?
Le dynamisme de la stratégie africaine du Roi Mohammed VI, qui vise à renforcer les relations multiséculaires de son pays avec l’Afrique subsaharienne et à les faire fructifier, s’inscrit dans le cadre d’une politique africaine qui est l’un des piliers de la diplomatie de Rabat. Cette politique a également pour contexte une ferme détermination en faveur de la coopération Sud-Sud, dont le Roi a fait une ardente obligation parce que c’est l’une des conditions essentielles du décollage des pays du Sud. La pertinence de cette politique africaine est la raison pour laquelle une majorité d’États africains ont plaidé avec succès pour un retour du Royaume au sein de l’Union africaine, en janvier 2017.
Il est vrai que pour la première fois depuis bien longtemps, l’Afrique a trouvé avec Mohammed VI un chef de file et un avocat convaincu. De nos jours, le Maroc a une politique africaine globale de grande envergure et cette politique est un véritable projet d’avenir. Le temps est venu de se donner les moyens de répondre aux grands défis d’une époque nouvelle où tout se précipite. Le Maroc est véritablement une chance pour une Union africaine qui a besoin de réformes profondes et d’une vision d’avenir concrète et dynamique.
En tant que géopoliticien et islamologue, quel regard portez-vous sur la centralité de la monarchie dans le système politique ?
Si la monarchie marocaine est véritablement inscrite dans l’ADN du Maroc, c’est parce qu’elle est nationale, comme l’était la monarchie française avec la famille des Capétiens. Au Maroc, le destin de quelques dynasties s’est identifié à celui d’une nation. C’est ce qui permettait au Roi Hassan II de dire que «les Rois ont fait le Maroc». La monarchie garantit l’intégrité de l’Islam du juste milieu, les libertés fondamentales, l’unité nationale et les intérêts supérieurs de la nation. Elle réunit l’indispensable consensus, c’est-à-dire le consentement profond, l’adhésion de l’ensemble d’une population vivant dans un cadre déterminé à un type de pouvoir, qui assure la légitimité d’un État. Sous la direction d’une monarchie éclairée, se conjuguent donc harmonieusement l’indispensable référence à la tradition, et la prise de conscience de la nécessité du progrès, comme le rappelait le Roi Mohammed VI dans un discours du 30 juillet 2005. Grâce à la monarchie, le Maroc a un objectif précis et une stratégie pour poursuivre sa marche en avant dans de bonnes conditions. À tous égards, le Roi Mohammed VI est à la tête d’une monarchie moderne, animée par une vision audacieuse concernant tous les domaines.
Le Roi, Commandeur des croyants, et le Pape François ont signé en mars dernier l’Appel d’Al-Qods. Quelle est la symbolique de cet Appel ? Quel rôle joue le Roi dans la mise en place du dialogue interreligieux et de la tolérance ?
Le Roi Mohammed VI, Amir Al Mouminine, est seul habilité à fixer le cap du champ religieux par sa position claire et forte contre l’extrémisme religieux et pour l’Islam véritable qui est celui de la raison, de la tolérance et du juste milieu. Il défend le respect des autres religions et le dialogue constructif des civilisations. À maintes reprises, le Roi Mohammed VI a fait valoir que les valeurs prônées par l’Islam sont «fondées sur la justice, le respect de la vie, la solidarité des hommes et l’écoute de l’autre». Par conséquent, le Maroc est à l’avant-garde du combat de la raison contre toutes les tentatives d’attiser le feu de l’extrémisme, souvent véhiculées par les tenants de l’idéologie du «choc des civilisations». En même temps, le Roi a une haute idée de sa fonction et de sa responsabilité de Président du Comité Al-Qods chargé d’œuvrer à la libération des Lieux saints de la partie orientale de Jérusalem occupée par les Israéliens en 1967. Lors de la visite du Pape François à Rabat, fin mars 2019, les deux dirigeants ont réaffirmé, d’une part, leur volonté commune de renforcer le dialogue interreligieux et la compréhension réciproque entre les deux grandes religions monothéistes et, d’autre part, le droit du peuple palestinien d’instaurer son État indépendant, avec Jérusalem pour capitale. Il doit être clair qu’il ne peut y avoir de paix durable ni de dialogue des civilisations sans la résolution juste et durable de la question palestinienne.