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«S’il fallait résumer le bilan des chantiers de ces vingt ans de Règne, la formule qui s’impose est celle-ci : Mohammed VI le Bâtisseur»

«S’il fallait résumer le bilan des chantiers de ces vingt ans de Règne, la formule qui s’impose est celle-ci : Mohammed VI le Bâtisseur»

Le Matin : Sous la conduite de S.M. le Roi Mohammed VI, le Maroc a parcouru bien du chemin sur la voie de la modernité, notamment dans les volets économique et social. Quels sont à votre avis les principaux chantiers qui ont changé le visage du Maroc durant les deux dernières décennies dans ces deux domaines ?
Mustapha Sehim
i : S’il fallait résumer le bilan des chantiers des vingt ans du Règne, la formule qui s’impose est celle-ci : «Mohammed VI le Bâtisseur». L’on peut mettre en relief à cet égard les chantiers d’infrastructures qui ont remodelé le Maroc et conduit à sa profonde transformation infrastructurelle. C’est tangible, c’est visible. Le plus grand d’entre eux est sans conteste le port maritime de Tanger Med engagé au début du règne et qui se prolonge d’ailleurs aujourd’hui en s’élargissant et en se consolidant avec la mise en service de Tanger Med II, inauguré le mois dernier. Ce chantier est désormais le premier port africain avec quelque 3,5 millions de conteneurs EVP (équivalent vingt pieds). Il constitue un grand catalyseur logistique des écosystèmes industriels du Maroc qui s’insèrent de plus en plus dans les grandes économies mondiales (Europe, Afrique, Asie...).
Autre grand chantier : celui de l’axe ferroviaire à grande vitesse Tanger-Kénitra-Casablanca, inauguré par S.M. le Roi Mohammed VI et le Président français Emmanuel Macron, le 15 novembre 2018. C’est là la première infrastructure de ce type en Afrique avec des investissements de plus de 23 milliards de DH. Ce train LGV génère un gros retour sur investissement, telle l’implantation du constructeur français PSA à Kénitra. Le réseau routier s’inscrit dans cette même ligne de développement infrastructurel. Il totalise aujourd’hui une longueur de 57.000 km, dont 43.000 km revêtus et 14.000 aménagés. Ce programme s’est fortement densifié à la suite notamment du Programme national des routes rurales.
Les autoroutes enregistrent elles aussi une accentuation de leur maillage territorial avec 1.800 km : 60% de la population est reliée directement à ce réseau – toutes les villes de plus de 400.000 habitants y sont rattachées – et de nouveaux tronçons sont en projet ou en cours de réalisation.
Il faut également mentionner le grand projet de développement des énergies renouvelables avec une grande ambition, celle d’un mix énergétique d’origine renouvelable de 42% en 2020 et 52% d’ici 2030. En avril 2017, le Souverain a lancé les travaux de réalisation de la Centrale Noor Ouarzazate IV, le plus grand complexe énergétique thermosolaire au monde.
L’urbanisme est encore un marqueur de cette stratégie. C’est une véritable métamorphose urbanistique qui transforme les villes marocaines, et ce dans le souci tant d’une mise à niveau que de mobilité. Un réseau tramway a été mis en place dans les grandes métropoles de Rabat et de Casablanca. Des ponts à haubans, des trémies, des voies élargies ont complété cette recherche de l’amélioration de la mobilité et de la circulation. La capitale du Détroit et Marrakech ont également bénéficié de programmes appropriés dans ces domaines.
La question sociale a occupé, dès le début du règne, une place tout aussi centrale dans la vision du Souverain. Dès les premiers mois, Il proclame sa volonté d’apporter des solutions visant la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale. Il intègre cette préoccupation dans une problématique plus large : celle d’une prise en compte de «la préservation de la dignité de l’homme». C’est là une appréhension globale des droits humains. Il s’agit aussi dans cette même perspective d’assurer la stabilité, l’unité nationale et la cohésion sociale. Les conditions de travail et de vie des citoyens appellent ainsi à des politiques spécifiques. Dans ce chapitre, il faut citer l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH) lancée en 2005. C’est une politique volontariste de développement humain. Elle se prolonge avec la Fondation 
Mohammed V pour la solidarité dédiée à l’aide aux pauvres, aux nécessiteux et aux handicapés. Cette institution déploie son action dans trois directions : humanitaire, sociale et pour le développement durable. À ce titre, elle est tournée vers l’amélioration des conditions de vie des populations défavorisées. Elle est ainsi un vecteur et un catalyseur du développement social et de la lutte contre la pauvreté.
L’INDH intervient dans trois domaines : réduction des déficits sociaux dans les quartiers urbains pauvres et les communes rurales sous-équipées, promotion des activités génératrices de revenus stables et d’emplois, aide aux personnes en grande vulnérabilité et/ou à besoins spécifiques. En septembre 2018, le Souverain a lancé la troisième phase de l’INDH (2019-2023), avec un budget de 18 milliards de DH, axée sur une amélioration de la bonne gouvernance sur la base d’une gestion intégrée des projets et en convergence, avec les programmes sectoriels de l’État et de ses entreprises, ainsi qu’avec ceux des collectivités territoriales locales. Il faut y ajouter un programme particulier mis en œuvre en 2019 relatif à l’appui à la scolarisation et à la réduction de la déperdition scolaire des enfants des familles pauvres en milieu rural.
La vision sociale, c’est aussi la promotion de la condition féminine. Le référentiel de cette approche est la réforme du Code de la famille – la Moudawana – en 2004. 
Celle-ci établit pratiquement un équilibre entre l’homme et la femme dans les domaines suivants : droit du mariage, rapports patrimoniaux des époux, divorce, droit de filiation, droit de garde des enfants et des dispositions relatives au droit successoral. À noter ici en particulier le relèvement de l’âge de mariage des filles de 15 à 18 ans, la suppression de la polygamie (sauf en cas d’autorisation de la première épouse), divorce judiciaire en lieu et place de la répudiation, partage des biens en cas de divorce, responsabilité conjointe des deux époux dans la famille. Cette réforme a été voulue et imposée par le Roi, Commandeur des croyants, et ce malgré bien des «résistances» dans les milieux conservateurs. Elle est soutenue par la grande majorité des Marocains et elle est emblématique d’une philosophie sociale d’égalité, d’équité et de modernité.

Qu’en est-il du volet politique ?
Dès les premières années de son règne, S.M. le Roi a également proclamé quelle allait être sa vision institutionnelle et politique. Sur la base des fondamentaux de la Nation, forgés par l’histoire et des valeurs multiséculaires, il a ainsi précisé les axes et les contours des réformes à mettre en œuvre. Les principes en sont définis dans les discours du Trône du 30 juillet, du 20 août et du 8 octobre 1999. Celui du 12 octobre 1999, à Casablanca, est encore plus significatif à cet égard. Il y souligne que «La responsabilité de l’autorité dans les divers domaines de ses compétences consiste à assurer la protection des libertés, à préserver les droits, à veiller à l’accomplissement des devoirs et à réunir les conditions nécessaires qu’exige l’État de droit». C’est ce que l’on appelle le «nouveau concept d’autorité».  Avec la réforme constitutionnelle de 2011, c’est une grande avancée qui se réalise dans le système institutionnel et politique. Elle a été présentée dans le discours historique du 9 mars de cette année-là. Elle est suivie par la présentation du projet de la nouvelle Constitution en juin avant le référendum du 1er juillet de la même année. Cette loi suprême se caractérise par une profonde réarticulation des pouvoirs publics. Mais elle se distingue aussi par deux grands traits :
• Le choix irréversible de construction d’un État de droit démocratique, un État musulman avec une identité nationale unie et indivisible, attaché à son intégrité territoriale. Le Préambule précise aussi les composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie de la constitution de cette identité nationale.
• La constitutionnalisation des libertés et des droits fondamentaux dans pas moins d’une vingtaine d’articles (19 à 40) dans le titre II de la Constitution (égalité des droits de l’homme et de la femme, protection de la vie privée et de la sûreté, garanties des libertés de pensée, d’opinion et d’expression, droit d’accès à l’information, liberté de presse, liberté de réunion, de rassemblement, de manifestation pacifique, d’association, garantie du droit de propriété, liberté d’entreprendre...).
Le statut et le rôle des institutions constitutionnelles sont fortement réaménagés dans le sens d’un rééquilibrage et d’une séparation plus marquée des pouvoirs. Le Roi garde ses attributions centrales (Commandeur des croyants, Chef d’État, Commandant suprême des FAR, présidence du Conseil des ministres). Mais des aménagements substantiels bénéficient à l’élargissement des attributions du Parlement, du gouvernement et du Chef du gouvernement. Ils portent également sur l’érection de la région comme nouvelle collectivité territoriale (art. 135). 
Il faut ajouter la création d’une dizaine d’instances de bonne gouvernance et d’autres traduisant l’exigence d’organes de démocratie participative. Une mention particulière doit être faite à propos du principe de la responsabilité, désormais corrélé avec celui de la reddition des comptes.
Globalement, les vingt ans de règne témoignent d’un grand changement qui se vérifie sur de nombreux plans. Une institutionnalisation plus accentuée servie par le primat de l’autorité de l’État, garant et protecteur en même temps des droits et libertés des citoyens et des groupes sociaux. Une volonté de conforter la cohésion sociale par une politique de réformes adossée à la recherche et à la mise sur pied d’un développement solidaire et inclusif. Une philosophie politique, de continuité sans doute, sur la base des fondamentaux de la Nation, mais aussi d’ouverture. Un souci de réconciliation de la société avec l’État et de réhabilitation de la politique aux yeux des citoyens. Un nouveau contrat social basé sur l’État de droit, la démocratie, la justice sociale, la solidarité et la modernité.

Le champ religieux a pour sa part connu une véritable évolution depuis l’accession du Souverain au Trône de Ses glorieux ancêtres. Culture de la tolérance, déradicalisation, formation des imams, visite du Pape… 
Quelle lecture faites-vous de cette politique ?

L’identité marocaine est consubstantielle à la religion islamique. Celle-ci est le socle, le référentiel, le substrat de la Nation. Le statut de Commandeur des croyants donne la légitimité intrinsèque au Roi. C’est là une charge du khalifat axée notamment sur la défense et le respect de l’Islam. À ce titre, il doit définir les principes de la politique publique dans le domaine religieux. Dès son premier discours du Trône, le 30 juillet 1999, S.M. 
Mohammed VI a proclamé la nécessité pour le Maroc de préserver «son identité et sa spécificité, sans se refermer sur soi, dans le cadre d’une authenticité reconfirmée et d’une modernité qui ne renie guère nos valeurs sacrées.»
La réforme du champ religieux, elle, s’est faite en plusieurs étapes. Il s’agissait de faire face et de mettre pratiquement à nu toutes les instrumentalisations, sous différentes formes, de la religion à des fins politiques, voire subversives. Mais dans le même temps, le Roi a veillé à déconstruire tout un discours islamophobe en Occident qui a été réactivé après les attentats du 11 septembre 2001 et qui s’est inséré dans la vie politique de pays européens par des partis populistes et d’extrême droite. Le Roi a ainsi œuvré à mettre en relief les vrais principes de l’Islam, à savoir la modération, la tolérance et même l’humanisme de la religion. L’Islam malikite marocain est le référentiel et le corpus de cette vision. En avril 2004, devant les oulémas marocains, il précise les principes doctrinaux de la religion : ceux du réformisme, du juste milieu, du bien commun et de l’ijtihad. Il insiste sur une approche renouvelée assise sur «une stratégie intégrée, globale et multidimensionnelle».
Il s’agit d’«impulser et de renouveler le champ religieux en vue de prémunir le Maroc contre les velléités d’extrémisme et de terrorisme, et de préserver son identité qui porte le sceau de la pondération, la modération et la tolérance». Des mesures sont prises à cet effet : restructuration du ministère des Habous et des affaires islamiques, réorganisation du Conseil supérieur des oulémas avec des membres – dont des femmes – nommés parmi ceux justifiant de «leur capacité d’allier érudition religieuse et ouverture sur la modernité», mise au net du contenu de l’éducation contre les interprétations déviantes... Le souci est de conforter la «sécurité spirituelle» du Royaume, et ce en veillant à en préserver le dogme et l’unité de rite, ainsi que la protection de ses constantes et de ses valeurs immuables. Il s’agit également d’œuvrer à «la nécessaire intégration du discours religieux dans le cœur du projet sociétal… Notre dessein est de réaliser les objectifs de développement humain» (message au Conseil supérieur des oulémas, 29 avril 2009).
Le statut d’Amir Al Mouminine ne couvre pas que le seul champ religieux dans le Royaume. Il intéresse également la situation du monde musulman, la «Oumma». La création de l’organisation de la conférence islamique (OCI) en septembre 1969, à l’initiative du Roi Hassan II, ainsi que celle du Comité Al-Qods – présidé par le défunt Souverain puis par S.M. le Roi Mohammed VI – en juin 1975, témoignent bien de cette situation. La condamnation des extrémismes est constamment faite. Pour le Souverain, «les terroristes qui agissent au nom de l’islam ne sont pas des musulmans» (Discours Royal du 20 août 2016). Il appelle dans le même discours à la mobilisation des trois religions révélées «face à la prolifération des obscurantismes répandus au nom de la religion», lesquelles «doivent dresser un front commun pour contrecarrer le fanatisme, la haine et le repli sur soi sous toutes ses formes».
La vision religieuse se prolonge au-dehors avec de grandes confréries (Tijaniya, Qadiriya, Boutchichiya). Les relations avec les communautés musulmanes se sont renforcées avec le programme de formation dans plusieurs pays. L’Institut Mohammed VI a été créé à cet effet en mars 2015. Il assure une formation des imams, des prédicateurs et prédicatrices et accueille plus de 400 Africains ainsi que des Européens. Les bénéficiaires s’y imprègnent d’un enseignement religieux approfondi couplé à une formation aux techniques de communication et de débat. Répandre une pensée religieuse éclairée, voilà le credo. Faire face ainsi aux thèses d’extrémisme, de repli et de terrorisme colportées au nom de l’islam, tel est le devoir incombant à cette Fondation. Une politique religieuse qui veut assurer la gestion et la maîtrise du champ religieux face aux dérives et à l’extrémisme.

Les contours de la politique étrangère du Royaume ont été redessinés grâce aux Orientations Royales, avec une place de choix réservée au continent africain. Comment s’est déclinée cette Vision Royale et quelle a été sa corrélation avec la coopération sécuritaire, la cause nationale et la politique migratoire du Royaume ?
Durant les deux décennies du règne, la politique étrangère s’est affirmée et redéployée. Elle a été rayonnante et même flamboyante. Les constantes géopolitiques traduisent la continuité par rapport au précédent règne, mais de fortes inflexions y ont été apportées. Là encore, c’est une nouvelle vision qui a prévalu dans la mise en œuvre de celle-ci. Il faut ici distinguer entre plusieurs cercles, les uns relevant des solidarités culturelles, d’autres relatifs à un partenariat approfondi avec des pays (France, Espagne, États-Unis) et les derniers mettant en place des partenariats stratégiques (Russie, Chine, Inde...).
Dans la région, le Maroc est – et restera – attaché à un Maghreb uni. Du fait des relations heurtées avec l’Algérie, l’édification maghrébine marque le pas depuis plus d’un quart de siècle. Les frontières terrestres sont – encore ? – fermées depuis août 1994. L’hostilité de ce pays voisin à l’endroit de la question nationale du Sahara 
constitue un grand obstacle à la normalisation des relations bilatérales et partant à l’avancement du processus unitaire maghrébin. Le Maroc ne s’est jamais départi à cet égard d’une politique de responsabilité, d’amitié et de fraternité avec le peuple algérien. Dans son discours du 6 novembre 2018 prononcé à l’occasion de la commémoration de la Marche verte, S.M. le Roi a réitéré la politique de main tendue sans que les dirigeants d’Alger saisissent cette opportunité. La diplomatie marocaine est également attachée à la paix et à la sécurité au Maghreb et dans l’espace régional. En direction de la Libye et de la profonde crise qui y prévaut, le Maroc a soutenu la finalisation de l’accord de Skhirate en date de décembre 2015 prévoyant la mise sur pied d’un gouvernement, d’un Conseil présidentiel ainsi que d’un Conseil d’État.
C’est avec la même préoccupation de paix, de stabilité et de sécurité que le Maroc s’est attelé à définir et à opérationnaliser une stratégie de lutte antiterroriste saluée et appréciée pour son efficience par les grandes puissances. Une stratégie globale, multidimensionnelle aussi, a été ainsi définie et mise en œuvre. Elle s’est également appuyée sur l’élaboration d’un argumentaire démontant la propagande jihadiste et l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques.
La relation Maroc-France s’est élargie et consolidée sur la base d’une coopération d’exception. Elle participe d’une histoire partagée, de valeurs culturelles ainsi que d’une vision commune. Elle est renforcée par de grands secteurs de coopération économique et par la dimension humaine illustrée par une importante communauté marocaine et la présence de quelque 38.000 étudiants en France. Avec l’Union européenne, le statut avancé accordé au Maroc en 2008 concrétise bien, dans le cadre d’une association, les secteurs de dialogue, de coopération et de partenariat avec l’UE.
Pour S.M. le Roi Mohammed VI, au-delà des relations entre le Maroc et l’Europe, il importe d’aller plus loin et d’œuvrer à promouvoir également un partenariat euro-méditerranéen et euro-africain. Il a ainsi appelé de ses vœux à une évolution vers «un pacte bicontinental nouveau» (Message Royal au cinquième Sommet Union africaine-Union européenne à Abidjan, le 29 novembre 2017). En direction du monde arabe, le Maroc a toujours plaidé pour le respect de principes : unité nationale, intégrité territoriale, coopération, solidarité. Le soutien et l’engagement autour des causes arabes ont été indéfectibles. De même, avec le peuple palestinien, c’est un credo de la politique arabe et internationale devant toutes les instances et aux Nations unies. S.M. le Roi préside le Comité Al-Qods et, à ce titre, il défend le plan de deux États dont l’un, palestinien, aurait pour capitale Al-Qods Acharif. En direction des pays du Golfe, la position du Maroc se préoccupe de consolider des relations équilibrées avec les États membres et de resserrer les rangs pour faire face aux défis et aux menaces.
Quant à la vision africaine du Maroc, elle se distingue par le principe cardinal d’une coopération Sud-Sud, un nouveau modèle de relations intercontinentales. S.M. le Roi a effectué plus d’une quarantaine de voyages dans le continent et visité plus de 30 pays. Un millier d’accords ont été signés. C’est une coopération large, globale, qui a été ainsi établie. Elle couvre tant les domaines économique et social que culturel et religieux. Le Maroc a retrouvé, en janvier 2017, sa place au sein de l’Union africaine, une place institutionnelle, 
alors que depuis toujours il avait noué et développé ses relations avec les membres de sa famille naturelle continentale. Le Souverain prend à cœur les grands dossiers des intérêts supérieurs de l’Afrique. Il porte la voix de ce continent dans les instances internationales. Il prône plus et mieux : que l’Afrique se prenne en charge, qu’elle fasse confiance à l’Afrique, qu’elle regarde son avenir avec détermination et optimisme et qu’elle exploite et valorise tous ses atouts et ses potentialités (Discours Royal à l’occasion du Forum économique maroco-ivoirien, 24 février 2014 à Abidjan).
Pour ce qui est enfin de la cause nationale du Sahara, le Maroc a enregistré bien des succès. La prétendue «Rasd» a perdu des dizaines de reconnaissances internationales. La communauté internationale mesure de plus en plus, en effet, que cette entité n’est qu’une création de l’Algérie depuis plus d’un demi-siècle, qu’une solution politique s’impose sur la base d’un règlement réaliste et d’un compromis, que la proposition marocaine d’avril 2007 validée par le Conseil de sécurité comme étant «sérieuse, crédible et réaliste» prédomine et que l’Algérie – responsabilisée comme partie prenante avec les résolutions 2440 et 2468 du Conseil de sécurité de 2018 et 2019 – doit s’impliquer dans ce processus. La détermination et le bon droit du Maroc ont réussi à faire justice de la propagande hostile d’Alger et du mouvement séparatiste.

Les Discours Royaux sont autant de moments forts de la vie politique au Maroc et sont toujours porteurs de messages, d’orientations et de directives. Quels sont pour vous ceux qui ont constitué une véritable rupture ou marqué un réel tournant dans l’histoire récente du pays ?
L’agenda institutionnel prévoit quatre discours de S.M. le Roi par an : Fête du Trône (30 juillet), Révolution du Roi et du Peuple (20 août), ouverture officielle de la session parlementaire d’octobre (deuxième vendredi d’octobre) et la Marche verte (6 novembre). Pour être complet, il faut ajouter ceux liés à ses activités diplomatiques ou autres, sans oublier les messages lus en son nom par des officiels marocains lors de manifestations nationales ou internationales. Ils offrent tous un cadre d’analyse et d’intelligibilité de la politique du Maroc. Ils éclairent des positions, mettent en perspective des initiatives, voire des stratégies. Pour tous, c’est là un précieux matériau.
Quels sont ceux qui pour moi ont constitué des moments forts ? Le plus attendu, parce que le plus émotionnel, a été le premier discours du Trône du 30 juillet 1999. J’y ajoute celui du 9 mars 2011 lié à un contexte politique et historique exceptionnel et qui a annoncé les principes et les axes de la nouvelle Constitution. Ensuite, je mentionnerai un autre discours du Trône, celui du 30 juillet 2017, puis celui devant le Parlement en octobre 2018 et enfin celui prononcé à l’occasion de la visite officielle du Pape François, le 30 mars 2019, à Rabat. Ce dernier relève d’un autre registre : celui des valeurs universelles des deux religions ainsi que du dialogue fécond qui doit être établi entre elles, les cultures et les civilisations. Un humanisme partagé...
L’on peut proposer, à grands traits, une typologie de ces discours. Dans une première catégorie, il y a la volonté d’orienter la politique publique et sa mise en œuvre par le gouvernement. Des objectifs sont ainsi fixés avec même un agenda contraignant (décret sur la déconcentration au profit de la régionalisation, réforme du système éducatif et de la formation...). Cela peut conduire à un recadrage, voire à des sanctions de responsables gouvernementaux ou publics.  Dans une autre catégorie, il faut ranger les discours de politique étrangère soulignant les constantes du Maroc et son attachement à des causes (Palestine, Al-Qods, Afrique, solidarité arabe). 
Le discours de Riyad, en date du 20 avril 2016, prononcé par S.M. le Roi Mohammed VI devant le Sommet Maroc-pays du Golfe, a été un tournant dans la politique arabe du Maroc et dans la mise en exergue de sa conception souverainiste.

Comme on dit, l’expérience du passé sert à construire l’avenir. À votre avis, quels sont les challenges à relever aujourd’hui pour construire le Maroc de demain ?
Les challenges à relever sont nombreux. Le premier d’entre eux est sans conteste celui du réexamen du modèle de développement. Le problème a été posé par S.M. le Roi dans son discours devant le Parlement en octobre 2017. De quoi s’agit-il ? D’élaborer un autre concept, alors que le modèle actuel accuse son essoufflement : il n’est plus en mesure de faire face aux besoins des citoyens, il crée des inégalités et il n’intègre pas les jeunes qui pâtissent d’une formation insuffisante, inadaptée ou sont en chômage. 
Ce sont quatre piliers qui doivent soutenir une réflexion nationale autour d’un nouveau modèle de développement : économique, social, territorial et institutionnel. Des résultats ont été obtenus depuis le début des années 2000 avec le modèle actuel, mais des fragilités structurelles se présentent et se manifestent : il est volatil, lié à des facteurs naturels et à la faible compétitivité du secteur productif, il est aussi socialement peu inclusif et, enfin, il est faiblement générateur d’emplois. Que faire ? Recentrer les politiques publiques autour d’un État développeur, d’une économie plus inclusive et d’une amélioration des performances des secteurs productifs. L’État doit ainsi renforcer son rôle de stratège, de régulateur et de protecteur. Les leviers de ce changement sont connus, tels le renforcement des compétences et le développement du capital humain ou encore l’accélération des réformes en instance (climat des affaires, efficience de l’administration, promotion de la R&D...). Mais le socle principal est l’éducation et la formation. Il faut y ajouter une politique de redistribution de revenus sur la base d’une profonde réforme fiscale.
Un autre challenge intéresse la décentralisation et la démocratisation. Le Maroc de demain sera le Maroc des régions. Ce modèle institutionnel a été consacré dans la nouvelle Constitution. Cela implique une plus grande mobilisation des ressources financières, mais aussi celle de nouvelles élites régionales. Il faut ajouter, entre autres, le challenge que constitue la consolidation et l’approfondissement de la pratique démocratique. 
Il y a une Vision Royale et elle se fonde sur un projet de société démocratique pour remodeler le système institutionnel et assoir une nouvelle citoyenneté avec des droits et des libertés. Mais les leviers de changement actuels sont-ils à la hauteur de cette ambition et de ses exigences ? De fortes interrogations pèsent à cet égard, qui regardent la place et le rôle des partis politiques, les valeurs véhiculées par le système éducatif, la famille, les réseaux sociaux et l’ensemble de l’environnement. La démocratie doit être pratiquée au quotidien, intériorisée aussi par chaque citoyen... 

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