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Pourquoi le télétravail a du mal à décoller au Maroc

Le télétravail parvient difficilement à se tailler une place au Maroc. Pourtant, ce mode d’organisation semble être bénéfique aussi bien pour l’entreprise qui cherche à améliorer sa productivité que pour le salarié en quête d’une flexibilité en termes d’horaires de travail et d’équilibre entre travail et et vie privée. Quels sont donc les obstacles qui se dressent face au développement du télétravail au Maroc ?

La transformation numérique apporte son lot de changements et modifie en profondeur nos pratiques et nos habitudes au travail. Parmi les apports de cette transformation figure le télétravail. Il s’agit d’un mode d’organisation qui permet au collaborateur, mais aussi à l’entreprise, de gagner en termes de temps, d’efficacité, de flexibilité et, surtout, de productivité. En d’autres termes, en choisissant le télétravail, le collaborateur peut exercer ses missions hors des locaux de l’employeur grâce aux technologies de l’information et de la communication dont il dispose. Il n’a donc plus besoin de se déplacer, ce qui lui permet de travailler avec moins de stress et de fatigue physique et d’instaurer un équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle. 
«Grâce au télétravail, le collaborateur devient motivé et plus rentable, ce qui se répercute positivement sur son rendement et sur les résultats de l’entreprise», souligne Meryem Benslimane, consultante en développement des compétences et en ressources humaines. Et d’ajouter que le télétravail est de plus en plus recommandé pour les entreprises qui misent sur le capital humain afin d’assurer leur compétitivité et leur performance. 
Bien qu’il soit bénéfique pour tous, le télétravail semble être beaucoup plus un vœu qu’une pratique réellement installée au Maroc. Selon Ismail Belabbes, consultant sénior en ressources humaines, seuls 8% des entreprises marocaines utilisent actuellement le télétravail. Un chiffre éloquent que l’expert a pu ressortir en se basant sur son expérience dans le domaine.

Pourquoi le télétravail ne séduit-il pas au Maroc ?
«Les raisons sont nombreuses, mais celle qui ressort le plus est l’absence d’un cadre juridique réglementant la relation entre le collaborateur et son manager», répond Meryem Benslimane. Même son de cloche pour Ismail Belabbes qui souligne que «la résistance des entreprises à ce mode d’organisation s’explique par l’absence d’une définition juridique du télétravail et d’une réglementation dédiée à 
ce sujet».

Pour vérifier cette thèse, «Management & Carrière» a contacté Salahdinne Taoufik, avocat au Barreau de Casablanca. Ce dernier a bel et bien confirmé les propos avancés par nos deux experts. «Au Maroc, il n’existe pas de définition juridique du télétravail ni de réglementation spécifique comme c’est le cas dans d’autres pays où cette nouvelle forme d’organisation est répandue», a-t-il indiqué. 
Par ailleurs, l’expert juridique a souligné que le télétravail peut être mis en place par un simple accord mutuel entre employeur et salarié. «Il n’est pas nécessaire, pour le passage du travail dit “normal” au télétravail, que cette possibilité soit inscrite dans le contrat initial du salarié», a fait savoir Salahdinne Taoufik, ajoutant que «le télétravailleur est un salarié de l’entreprise. Il bénéficie des mêmes droits que les autres salariés exerçant dans les locaux de l’employeur. Aucune distinction ne peut être faite». 

Le télétravail, une question de confiance avant tout
Au-delà du volet juridique, il parait que d’autres raisons plutôt managériales et relationnelles expliquent la résistance des entreprises au télétravail. Selon Meryem Benslimane, «certains managers n’arrivent pas vraiment à faire confiance à leurs collaborateurs, soit parce que la nature du travail ne le permet pas, soit parce qu’ils n’arrivent pas à se libérer de ce besoin de tout contrôler». Et d’ajouter : «La confiance entre un manager et ses collaborateurs reste un élément indispensable pour aboutir aux résultats escomptés du télétravail». En se basant sur sa propre expérience, Meryem Benslimane tient à préciser que la présence physique d’un collaborateur au sein de l’entreprise ne veut pas dire qu’il est compétent ou rentable». 
Ceci dit, ajoute-t-elle, «la motivation, l’engagement et surtout le sens de la responsabilité sont les éléments qui font la différence entre un collaborateur qui contribue activement au développement de son travail et un salarié qui se contente de réaliser ses tâches sans prendre d’initiatives». Pour Ismail Belabbes, «envisager le télétravail au sein d’une entreprise implique un véritable changement culturel au sein de l’entreprise». Et de préciser : «le manager doit être convaincu par le télétravail qui engage confiance, autonomie et responsabilisation envers les salariés». 
Autre point important à souligner : l’importance de la formation dans cette démarche. Le travail à distance nécessite un cadre et «il est donc nécessaire de former les salariés ainsi que les managers à ce nouveau mode de travail», indique Belabbes. La formation permettra aux deux parties d’identifier les pratiques et le code de bonne conduite. Plusieurs axes peuvent être traités dans le cadre de la formation, entre autres, les obligations et les responsabilités de chacun, les bonnes pratiques pour mieux s’organiser et les moyens pour communiquer efficacement dans le cadre du travail à distance. Pour le manager, la formation lui permettra d’apprendre les bases du management d’équipe qui n’est pas du tout évident. Soulignons, en guise de conclusion, que compte tenu de la grande vitesse avec laquelle évolue la transformation digitale, le télétravail finira tôt ou tard par se généraliser. Certes, le cadre juridique ne prépare pas encore le terrain, mais c’est aux managers et aux collaborateurs de faire preuve de leur capacité à collaborer dans ce mode de fonctionnement. n


Salahdinne Taoufik, avocat au Barreau de Casablanca

«Au Maroc, il n’existe pas de définition juridique du télétravail ni de réglementation spécifique comme c’est le cas dans d’autres pays où cette nouvelle forme d’organisation est répandue. Le télétravail est une nouvelle forme d’organisation du travail, qui permet à un salarié l’exercice d’une manière régulière et volontaire de ces fonctions dans un autre lieu que les locaux de son employeur, grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il est à préciser qu’il ne s’agit guère d’un aménagement du temps de travail, mais d’une modalité d’organisation du travail. Il faut rappeler que le “mode” télétravail peut être mis en place par un simple accord mutuel entre employeur et salarié. Il n’est pas nécessaire pour le passage du travail dit “normal” au télétravail que cette possibilité soit inscrite dans le contrat initial du salarié. Le contrat de télétravail ou l’avenant au contrat initial qui acte le passage au télétravail doit mentionner : le mode de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail et les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter le salarié en télétravail. Le télétravailleur est un salarié de l’entreprise. Il bénéficie des mêmes droits que les autres salariés exerçant dans les locaux de l’employeur. Aucune distinction ne peut être faite. L’employeur reste toujours libre d’accepter ou de refuser la demande de télétravail formulée par un salarié. De même, le salarié est libre de refuser la demande de télétravail de l’employeur, sans que ce refus soit un motif de sanction ou de rupture du contrat de travail.»


Entretien avec Ismail Belabbes, consultant sénior en ressources humaines

«Actuellement, moins de 8% des entreprises au Maroc utilisent le télétravail»

Management & Carrière : À l’ère de la transformation digitale, peut-on affirmer que le télétravail est incontournable ?
Ismail Belabbes
: On assiste depuis une vingtaine d’années au phénomène de la transformation numérique qui modifie en profondeur nos habitudes et notre manière de travailler. En effet, l’utilisation des nouvelles technologies permet, entre autres, de rapprocher les distances et de communiquer aisément. D’ailleurs, aujourd’hui, un collaborateur peut recevoir la réponse à un mail d’un autre collaborateur situé à plusieurs milliers de kilomètres, et ce, en quelques minutes. C’est dire que la transformation digitale a son lot d’avantages dont il faut tirer profit pour plus de performance et d’efficacité. Le télétravail reste aussi l’un des avantages que la révolution numérique apporte. Par définition, le télétravail «désigne une organisation du travail qui consiste pour le télétravailleur à exercer un travail hors des locaux de l’employeur tout en utilisant les technologies de l’information et de la communication», notamment un ordinateur fixe ou portable, une tablette ou même un téléphone. À mon avis, à l’ère de la transformation digitale, les entreprises doivent penser au télétravail pour plus de performance et d’efficacité. Toutefois, il y a lieu de souligner que le télétravail reste une nouvelle organisation qui dépend de la volonté de l’entreprise et de ses salariés, mais également de l’équipement technologique dont est dotée l’entreprise. De même, envisager le télétravail pour d’une entreprise engage un cadre réglementaire, de la confiance envers ses salariés et des moyens adaptés. Cela implique donc un véritable changement culturel au sein de l’entreprise. Malheureusement, actuellement, moins de 8% des entreprises au Maroc utilisent le télétravail, selon notre expérience sur le marché. 

Quels sont les métiers ou les activités pour lesquels on peut opter pour le télétravail ?
Tous les métiers qui utilisent les technologies de l’information et de la communication peuvent être exercés en mode de télétravail. On peut citer à titre d’exemple les métiers du web et ceux des traducteurs et des chargés d’affaires. Le télétravail concerne également les responsables recrutement et d’autres secteurs. À la lecture des métiers, c’est essentiellement le secteur des services qui permet le télétravail alors que le secteur industriel n’est pas propice à cette forme de travail.

Concrètement, dans quelle mesure le télétravail favorise-t-il une meilleure productivité ? 
Avant de répondre à votre question, je tiens tout d’abord à souligner que le télétravail favorise une meilleure productivité quand il respecte certaines règles, notamment :
• L’employeur doit expressément préciser le nombre de jours possibles, les métiers visés et les objectifs à atteindre durant ces jours de télétravail.
• Le salarié doit être à l’aise vis-à-vis de la démarche et se créer chez lui un environnement de travail propice au cadre professionnel.
• Le manager doit être convaincu par cette forme de travail qui engage confiance, autonomie et responsabilisation envers les salariés.
Plusieurs études démontrent que le télétravail présente des avantages non négligeables, notamment une meilleure répartition du temps entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Cela permet ainsi d’envisager de faire des activités sociales et familiales et de créer un certain équilibre dans sa vie. Cette répartition du temps permet de diminuer le stress et la fatigue physique. En conséquence, le collaborateur devient plus équilibré, plus épanoui et plus rentable, ce qui se répercute positivement sur les résultats de l’entreprise. Je souligne dans ce sens que ce sont les collaborateurs épanouis qui permettent à l’entreprise d’évoluer et d’être plus compétitive. 

Quels moyens se donner pour assurer le succès de ce mode d’aménagement de travail ?
Pour assurer le succès du télétravail, il est nécessaire de former les salariés ainsi que les managers pour ce nouveau mode de travail. Il faut aussi s’assurer que le management adopté en interne est basé sur la confiance mutuelle. Chacun doit connaitre ses droits et ses obligations et chacun doit faire confiance à l’autre. Certes, cette confiance n’est pas toujours au rendez-vous, mais c’est fondamental pour assurer le succès du télétravail. Toutefois, il y a lieu de souligner que ce mode de travail doit être utilisé avec modération, du fait qu’un recours important au télétravail peut entraîner une démotivation des salariés. Cela peut engendrer un sentiment d’abandon qui impacte négativement le rendement du collaborateur concerné et sur la productivité de l’entreprise. 

En dépit des avantages du télétravail, plusieurs entreprises semblent y résister encore. Pourquoi ? 
Opter pour le télétravail est un choix que l’entreprise doit assumer tout en étant mature afin d’encourager les salariés à y adhérer. Cela implique de sortir de l’esprit du taylorisme et d’adopter davantage un management agile qui implique, entre autres, une résilience et une autonomie du collaborateur. Je pense que ce qui explique la résistance des entreprises c’est qu’il n’y a pas de définition juridique du télétravail, ni de réglementation dédiée à ce sujet. 

Quels sont les inconvénients du télétravail ? 
Les salariés qui ont déjà fait l’expérience depuis plusieurs années expriment de nouveaux aspects négatifs comme la solitude, la diminution du sentiment d’appartenance à l’entreprise, les difficultés à travailler sur un projet collectif. Ces éléments peuvent d’ailleurs avoir un impact négatif sur l’évolution de carrière du collaborateur concerné par le télétravail. 

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