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Ahmed Boukous : «La question amazighe doit être vue sous l’angle citoyen et non pas idéologique ou politique»

L’Institut Royal de la culture amazighe (IRCAM) a célébré, sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le 19e anniversaire du discours prononcé par le Souverain à Ajdir, lors de la cérémonie d’apposition du Sceau chérifien scellant le dahir créant et organisant l’IRCAM. À cette occasion, «Le Matin» a tendu le micro au recteur de l’IRCAM, Ahmed Boukous, qui dresse le bilan, 19 ans après ce discours fondateur, de la situation de la promotion de la culture amazighe au Maroc.

Ahmed Boukous : «La question amazighe doit être vue sous l’angle citoyen et non pas idéologique ou politique»
Ahmed Boukous.

Le Matin : Quel bilan faites-vous aujourd’hui de la promotion de la culture amazighe depuis le discours de S.M. le Roi prononcé à Ajdir le 17 octobre 2001 ?
Ahmed Boukous : Il serait prétentieux de dire que nous avons atteint l’objectif de la promotion totale, intégrale et absolue de la langue et de la culture amazighes, parce que le passif est vraiment très lourd. C’était la première fois, à partir du discours de S.M. le Roi le 17 octobre 2001, que l’État marocain décide de prendre en charge de manière positive la promotion de la culture et de la langue amazighes. Les missions dévolues à l’IRCAM, comme nous le savons, visent à participer à cette promotion à travers la recherche.
Je pense que tout observateur objectif ne pourra qu’acquiescer effectivement qu’il y a des efforts qui ont été fournis et des résultats qui sont là. Par exemple, écrire la langue amazighe dans sa propre écriture tifinagh. Cela était une véritable gageure au départ, mais on a réussi. Décider d’opter pour une langue amazighe standard, cela était aussi une gageure. Car on avait affaire à des variétés dialectales régionales avec un taux d’incompréhension moyen entre les différentes régions amazighophones. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous avons élaboré un vocabulaire fondamental commun. Nous avons produit pas mal de terminologies concernant certains secteurs techniques et administratifs. Dans le domaine de la culture également, la culture amazighe était, en gros, essentiellement orale. Aujourd’hui, elle est orale mais elle est aussi écrite. Il n’y avait pas d’enseignement de cette langue. Actuellement, cahin-caha, malgré toutes les contraintes, l’amazigh a pu trouver une place dans le système d’éducation et de formation. Voilà, en gros, ce qui a été réalisé et je pense que c’est un bilan qui est globalement positif.

Sur le plan légal, depuis l’officialisation de la langue amazighe dans la Constitution en juillet 2011, la langue amazighe trouve-t-elle vraiment sa place à côté de la langue arabe ? 
Ce que nous avons aujourd’hui, c’est un cadre légal de référence qui nous permet de travailler et de faire valoir les droits de la langue et de la culture amazighe. Les lois organiques y afférentes ont tardé à être promulgués. Elles viennent de l’être il y a presque un mois. C’est en septembre que les deux Chambres au Parlement ont validé les lois organiques. Est-ce qu’elles sont pour autant effectives ? Hélas non, pas encore. Car pour qu’elles soient valides, il faut que les grandes orientations définies dans l’article 5 de la Constitution soient mises sur pied. Il faut aussi que les deux textes, la loi organique qui concerne la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe et la loi relative à la création du Conseil national des langues et de la culture, soient mises en application. Or, pour le moment, elles ne le sont pas parce que les décrets d’application ne sont pas encore adoptés.

Pensez-vous que cela prendra du temps ?
En principe cela ne devrait pas tarder. D’autant plus qu’en ce qui concerne la loi relative au Conseil national des langues et de la culture, il a été créé une commission de contrôle, de saisie et de validation. Mais on a juste le texte et rien d’autre. On est dans une phase de transition et on attend les prochaines élections. À mon avis, tout est suspendu aux résultats des prochaines élections et la constitution du Parlement et du prochain gouvernement. Donc il y a beaucoup de contraintes. Dans ce contexte, l’IRCAM n’agit pas seul, il est un organe d’exécution, un organe technique et opérationnel. Il n’a pas de missions politiques.

Justement, quel rôle pourrait jouer le Conseil national des langues et de la culture une fois que toutes les assises juridiques l’accompagnant seront mises en place ? 
Je pense que la chose fondamentale que le Conseil pourra apporter, sur un plan global, c’est d’abord l’élaboration d’une politique linguistique et d’une politique culturelle cohérentes. Parce que pour le moment on a des bribes de politiques linguistiques et des bribes de politiques culturelles. Et ce selon le responsable du département de l’Éducation nationale ou le responsable du département de la Culture ou le responsable du département de la Communication. On ne dispose pas véritablement d’une politique, d’une stratégie cohérente de longue durée avec des constantes. On aura donc un cadre juridique qui oblige les responsables à élaborer des politiques conformes à la ligne directrice qui est celle de l’article 5 de la Constitution. Le Conseil est ainsi chargé de mettre en application les dispositions constitutionnelles concernant l’Amazigh. La chose n’est pas acquise, car la question amazighe est malheureusement vue essentiellement sous l’angle de l’idéologie et de la politique au sens commun du terme et non pas à partir d’un esprit citoyen avant tout et un esprit qui intègre l’amazigh dans la globalité de la nation marocaine.

Une fois le Conseil national des langues et de la culture mis sur pied, cela ne risque-t-il pas de faire doublon avec les activités de l’IRCAM ?
Non, je ne crois pas que cela risque de se produire, parce que l’IRCAM sera désormais une entité parmi d’autres qui constituent le Conseil. Ce Conseil va avoir un président, qui sera celui de l’Académie de la langue arabe, de l’IRCAM, le président de l’instance qui va avoir en charge la promotion de la langue Hassanie, de l’entité qui aura en charge la gestion des langues étrangères, de celle relative à l’expression culturelle… On aura donc un même président, un même Conseil et il va y avoir des directions… Il y aura donc des directeurs chargés d’appliquer les orientations et les décisions du Conseil et de la présidence du Conseil. 


Entretien réalisé par Brahim Moukhliss

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