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Covid-19 et état de droit

Covid-19 et état de droit
Alexandre Zouev, sous-secrétaire général à l’état de droit et aux institutions chargées de la sécurité - Nations unies.

La menace sans précédent du Covid-19 a causé des souffrances inimaginables dans le monde entier. Cette année a également marqué le lancement d’une discussion indispensable sur le rôle des forces de l’ordre dans les sociétés. Bien que la pandémie soit avant tout une crise de santé publique, il existe des défis connexes essentiels à prendre en compte pour la contenir et pour promouvoir une reprise rapide et durable. La lutte pour faire respecter l’état de droit et le rôle des forces de l’ordre en font partie.
Lorsque les gouvernements ont répondu à la pandémie par un renforcement du rôle et de la présence de la police et d’autres acteurs de sécurité, des défis ont émergé, notamment des perceptions de parti pris, un recours disproportionné à la force et d’autres questions relatives aux droits de l’Homme.
 Il existe également un risque que certains États puissent utiliser des pouvoirs d’urgence pour consolider le pouvoir exécutif au détriment de l’état de droit, réprimant la dissidence et minant les institutions démocratiques, en particulier lorsque les tribunaux et autres organes de contrôle rencontrent des difficultés à fonctionner en raison des restrictions liées au Covid-19. Certains pays ont connu une forte augmentation des arrestations. Cela va à l’encontre de la nécessité de décongestionner les prisons, qui ont aussi subi des taux d’infection disproportionnellement élevés, tant chez les détenus que dans le personnel, se propageant dans les communautés environnantes et pouvant déclencher des violences.
La distribution d’aide d’urgence, de fournitures médicales et d’aide économique pour contrer les effets de la pandémie, bien que nécessaire, offre également de nombreuses possibilités de corruption et de fraude. Sans institutions efficaces garantissant la transparence, la prise de responsabilité et la surveillance, une grande partie de ces aides n’atteindront pas les bénéficiaires visés, aggravant ainsi la crise sociale, médicale et économique et compromettant la reprise.
La pandémie offre également aux groupes armés, y compris aux organisations terroristes, la possibilité de discréditer les institutions publiques, d’exploiter les lacunes des services publics et de tirer parti de l’indignation publique, à cause de la fermeture de lieux de culte par exemple. Étant donné que certains membres du personnel de sécurité sont confrontés à une capacité opérationnelle réduite en raison de leur exposition inévitable au virus et de leurs nouvelles responsabilités concurrentes, certains groupes armés consolident et étendent leur contrôle sur le territoire.
Ces défis peuvent gravement compromettre la légitimité des gouvernements, qui est essentielle pour des stratégies efficaces d’atténuation et de confinement lors des crises de santé publique, comme cela a été observé dans certains pays aux prises avec l’épidémie d’Ebola en 2018 et 2019. Il est donc dans l’intérêt des gouvernements de veiller à ce que les restrictions d’urgences aux droits soient nécessaires, proportionnées, légales et limitées dans le temps.
L’ONU a réagi rapidement pour fournir une assistance immédiate aux institutions nationales chargées de l’état de droit et de la sécurité, y compris en République démocratique du Congo. Les Casques bleus ont activement distribué du matériel médical d’urgence au Darfour et au Mali, y compris aux anciens combattants, contribuant ainsi à instaurer la confiance entre les factions belligérantes. 
En collaboration avec des partenaires, nous avons également développé des outils pratiques pour atténuer la propagation du Covid-19 dans les prisons, des conseils pour décongestionner les prisons et un manuel pour la tenue d’audiences judiciaires virtuelles. Ces efforts devraient être poursuivis et mis à profit alors que le Covid-19 continue à se propager.
Lorsque la propagation de la pandémie s’atténuera, les gouvernements devraient procéder à des examens a posteriori, y compris des actions réalisées dans le cadre des pouvoirs d’urgence, afin de renseigner les pratiques et réformes futures, le cas échéant. Dans ce cadre, le soutien de l‘ONU, basé sur des décennies de bonnes pratiques, peut être utile dans les secteurs de la police. À plus long terme, la pandémie – comme toute crise – peut également offrir des opportunités de changement nécessaires au niveau des systèmes juridiques et des pratiques des forces de l’ordre.
Dans le secteur de la justice pénale, par exemple, nous devons analyser l’impact des pratiques développées en réponse à la pandémie sur les budgets de l’État, les communautés et les perspectives de réhabilitation en vue de leur institutionnalisation. Cela devrait inclure la libération potentielle de prisonniers non violents, l’adaptation des stratégies d’arrestation et de poursuite et la condamnation non privative de liberté. 
Il devrait également inclure autant que possible le dépôt électronique de plaintes et des audiences judiciaires virtuelles. Tout en présentant des défis à certains droits à un procès équitable, ces pratiques peuvent rendre les systèmes judiciaires plus accessibles et efficaces. 
À mesure que la fracture numérique se réduit, ils peuvent améliorer l’accès à la justice dans les zones reculées, accroître la représentation juridique et la participation des témoins, éliminer les arriérés et réduire la détention provisoire.
Alors que les leaders mondiaux discutent d’une action commune pour contenir et surmonter la pandémie, il est primordial de prendre en compte la nécessité d’éviter de porter préjudice aux principes de l’état de droit et aux libertés fondamentales. Cela contribuera à éviter d’aggraver les tensions sociales, les griefs et les causes sous-jacentes des conflits. En ce sens, la prévention des conflits est peut-être plus que jamais un impératif, car les perspectives d’investissements à grande échelle dans la gestion des conflits et le relèvement post-conflit pâtissent de ressources limitées. 

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