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«La crise sanitaire a provoqué des exodes massifs avec d’énormes conséquences économiques et sociales»

Sénateur socialiste français, Jean-Yves Leconte, qui représente les français établis hors de France, suit de près les opérations de rapatriement des Français bloqués au Maroc et ceux bloqués en France souhaitant rentrer dans l’un ou l’autre pays. Il évoque dans cet entretien la situation actuelle, les difficultés et les solutions proposées.

«La crise sanitaire a provoqué des exodes massifs avec d’énormes conséquences économiques et sociales»

Le Matin : Depuis la mi-mars, de nombreux touristes ont été bloqués à cause de la fermeture des frontières en Europe, en France comme au Maroc. Comment, selon vous, les décideurs politiques ont-ils traité ce dossier ?
Jean-Yves Leconte : Le 11 mars le Président des États-Unis a annoncé la fermeture des frontières dans les 48 heures. Auparavant, en Europe, la situation, déjà dramatique, en particulier en Italie, et sérieuse dans certains départements français, exigeait de la vigilance et conduisait à se préparer sérieusement à l’aggravation de l’épidémie. Mais ce geste unilatéral américain, suivi très rapidement par d’autres pays, même au sein de l’espace Schengen, a conduit à ce blocage généralisé. Bloquer les arrivées de personne pour protéger un pays qui n’est pas atteint par la pandémie est logique sur le plan sanitaire. Bloquer le départ de personnes qui ont été de passage quelques jours dans un pays l’est beaucoup moins. Ceci a été fait de manière aveugle. À mon sens, beaucoup d’exécutifs ont cédé à des réflexes instinctifs plutôt que de rechercher ensemble, dès le départ, la meilleure solution pour vaincre la pandémie. Celle-ci passe par la coopération internationale, la capacité d’analyser et comparer les données d’un pays à l’autre. Pas par le mensonge, la propagande et la fermeture des frontières dans les deux sens. Ne nous trompons pas, si nous n’avons pas connu depuis longtemps de telle pandémie, celle-ci n’est pas le produit de la mondialisation, mais la première du monde globalisé.

Depuis la mise en place stricte du confinement au Maroc, quelque 158 vols sont partis du Maroc après la fermeture des liaisons aériennes, permettant à 28.000 personnes de rentrer en France. Cela s’est-il passé dans de bonnes conditions ?
Je n’étais pas au Maroc à cette période, mais j’ai mesuré la difficulté que cela représentait pour nos postes diplomatiques et consulaire au Maroc. Un défi qui arrive d’un coup et on doit répondre à l’angoisse de ceux qui se retrouvent bloqués, alors qu’ils n’avaient souvent prévu qu’un court séjour au Maroc. Les conditions étaient donc très difficiles pour tous. La situation des Français de passage au Maroc n’était pas unique. Dans l’ensemble du monde, ce furent plus de 180.000 Français qui ont fait appel à nos postes diplomatiques. L’opération a coûté environ 20 millions d’euros à l’État. 
Les postes diplomatiques, la cellule de crise au Quai d’Orsay, la Direction des Français à l’étranger du ministère et les ministres compétents furent concentrés sur cette opération qui a été aussi accompagnée par les conseillers consulaires et parlementaires représentant les Français établis hors de France. Je regrette qu’il n’ait pas été fait plus souvent appel à des solutions de rapatriements européennes, plutôt que de laisser les pays traiter chacun ses ressortissants. Mais au fur et à mesure de l’opération, la nécessité de la coopération européenne s’est imposée à nouveau, en particulier en provenance de certains pays lointains. D’une manière plus générale, cette crise et les confinements mis en place ont provoqué des exodes et des déplacements massifs dans l’ensemble du monde. Ceci aura d’énormes conséquences économiques et sociales et limitera la capacité à sortir de la crise.
Cela veut-il dire qu’il n’y plus de français bloqués au Maroc Concernant le Maroc, l’opération n’est malheureusement pas terminée. Ce ne sont pas seulement des Français, binationaux ou pas, qui souhaitent rentrer, mais également des Marocains résidants en France de manière permanente et régulière. Certaines personnes étaient venues par la route et doivent pouvoir reprendre un bateau sous certaines conditions et munis d’autorisation des postes diplomatiques. Et le nombre de vols, jusqu’il y a peu deux hebdomadaires, de Casablanca et Marrakech, restent notoirement insuffisants. Une base de données est mise en place pour ordonner les demandes en fonction des priorités (urgence médicale ou sociale, personnel soignant par exemple…), mais lorsque les consulats joignent les gens pour indiquer qu’il y a une place, il y a environ 20% de désistement ensuite… Ceci complique encore plus l’opération. Le ministère des Affaires étrangères essaye d’obtenir plus de fréquence de la part d’Air France. Le secrétaire d’État aux Affaires étrangères a annoncé jeudi 7 mai un passage à 4 vols hebdomadaires et son souhait de voir ceux-ci passer à au moins 6 très prochainement. Les vols ne sont pas rentables, puisqu’ils arrivent à vide, mais il est incompréhensible de ne pas arriver à avoir une plus grande mobilisation d’Air France, malmené comme toute les compagnies aérienne dans cette crise majeure, mais aidée significativement par l’État pour faire face à celle-ci. Ainsi, durant l’opération de rapatriement, Qatar Airways fut souvent l’opérateur du rapatriement en provenance de l’Asie du Sud-Est et de l’Océanie. La situation est particulièrement tendue depuis une semaine, car l’annonce de la mise en place prochaine d’une quatorzaine à l’arrivée en France inquiète légitimement les Français qui attendent de pouvoir revenir en France depuis plusieurs semaines et qui apprennent maintenant que le gouvernement pourrait leur imposer une quatorzaine, dont on ne connaît pas encore les conditions, à leur arrivée !

Qu’en est-il des Marocains résidant en France qui, en visite au Maroc, se sont retrouvés bloqués et souhaitent rentrer en France pour des raisons professionnelles et autres ?
Ils doivent aussi, bien entendu, pouvoir disposer de cet accompagnement pour rentrer chez eux, en France. Le rapatriement les concerne également et ils en bénéficient au vu des données remontées par les postes diplomatiques du Maroc.

Est-ce qu’il y a des actions ou des discussions visant le rapatriement des Marocains bloqués en France ?
C’est une décision souveraine du Royaume du Maroc et qui dépend exclusivement des autorités marocaines. Elle concerne aussi de nombreux Français, parfois binationaux, actuellement en France, mais qui résident au Maroc et souhaitent y retourner. Nul doute que si cela était possible et non contraire aux mesures sanitaires fixées par l’exécutif du Maroc, nous aurions plus de facilité pour mobiliser des avions permettant le rapatriement de ceux qui, toujours bloqués au Maroc, veulent retourner en France.

Est-ce qu’il n’y a pas une crainte de voir, en raison de la crise sanitaire et économique, un retour massif en France des français installés au Maroc, à l’instar du retour des français basés en Chine ?
Il n’y a pas encore eu de retour massif de Français basés en Chine. Beaucoup souffrent énormément économiquement, socialement mais aussi parfois moralement et se résignent maintenant à envisager cette option. Avec la Chine, la difficulté majeure que nous avons est le fait que les frontières du pays ne sont pas ouvertes aux étrangers. Ainsi, les Français ayant de la famille ou un travail en Chine et qui avaient quitté la Chine pour des raisons professionnelles ou de vacances avant la crise ne peuvent plus revenir dans le pays. J’ai bon espoir que cette situation soit résolue prochainement, mais elle est très douloureuse pour beaucoup. Concernant les retours vers la France du Maroc, c’est une éventualité pour certains, bien entendu, mais la crise est partout.

La France a imaginé des mécanismes d’aide aux entreprises et entrepreneurs en difficulté à cause de la crise actuelle. Cela va-t-il s’appliquer également aux entrepreneurs français installés dans le Royaume ?
Conscient que la crise est partout et qu’il convient d’aider les personnes là où elles sont, surtout dans un contexte incertain, j’ai suggéré un certain nombre de mesures pour aider les structures de droit étranger qui concourent à la présence internationale de la France et de ses entreprises. J’ignore pour l’instant si des mesures spécifiques seront retenues par le gouvernement pour aider les entrepreneurs français dans le cadre de leur activité. Certains voudraient que nous ouvrions le dispositif mis en place en France aux entreprises de droit étranger créées par des Français. Cela me semble impossible pour des raisons de souveraineté (les entreprises de droit étranger ne sont pas sur le territoire Français) et de discrimination (en faisant ainsi nous créerions des discriminations dans les pays de résidence), mais j’ai suggéré toute une batterie de mesures pour répondre à cet enjeu, en essayant d’éviter ces écueils. Mais il faut aussi aider les personnes qui subissent des pertes de revenus, en particulier à conserver ou à acquérir une protection maladie, et à scolariser leurs enfants.

Pour ce qui du réseau de l’enseignement français à l’étranger, des aides financières ont été annoncées. Cela concerne-t-il aussi le réseau basé au Maroc ?
Pour l’instant, deux dispositifs sont confirmés. D’une part, un abondement du budget des bourses scolaires avec une enveloppe prévue à ce stade à 50 millions d’euros et un mode exceptionnel de calcul de celle-ci qui prend en compte les évolutions de revenus enregistrées depuis le début de la crise. Ceci concerne les Français, partout dans le monde. Les Commissions de bourses ont été retardées pour prendre en compte ces besoins spécifiques. De l’autre, une facilité d’endettement de l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) auprès de l’État, afin de pouvoir permettre à l’AEFE d’aider les établissements. Ceci n’est pas suffisant car les familles ont enregistré des pertes lourdes de revenus et il n’est pas raisonnable d’imaginer qu’elles pourraient plus tard permettre à l’AEFE de rembourser cette dette. Il faut une dotation publique afin d’aider les établissements, tous statuts confondus (mais bien entendu sous condition de transparence et de sobriété), à aider les familles qui ont eu des pertes de revenu, mais scolarisent leurs enfants dans le réseau. Il faut bien entendu aider les établissements en gestion directe de l’AEFE, mais aussi les autres, tels en particulier ceux du réseau OSUI-MLF.

Ces bourses prévues peuvent- elles bénéficier également aux Marocains qui ont leurs enfants inscrits dans les écoles de ce réseau ?
Les bourses scolaires, en tant que telles, restent orientées vers les familles françaises. Toutefois, l’aide que l’AEFE pourrait verser aux établissements aura pour but d’accompagner les familles non françaises. Il n’a pas paru opportun d’ouvrir les bourses à l’ensemble des familles avec des critères unifiés dans le monde, mais plutôt d’affirmer le principe que là où les familles non françaises avaient besoin d’une aide, c’était aux établissements scolaire d’en fixer les termes, de proposer ceci à l’AEFE et à celle-ci d’aider les établissements lorsqu’elle validait les orientations des établissements. 

Propos recueillis par Brahim Mokhliss

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