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«L’existence d’une littérature marocaine écrite en langue espagnole est une caractéristique sans doute exclusive de notre pays»

«L’existence d’une littérature marocaine écrite en langue espagnole est une caractéristique sans doute exclusive de notre pays»
Fatiha Benlabbah.

Le Matin : Quelle lecture faites-vous de la dynamique culturelle entre le Maroc et l’Espagne et notamment au niveau littéraire ?
Fatiha Benlabbah
: Depuis quelques années, nous assistons à l’instauration d’une stratégie d’échanges culturels qui traduit une volonté, de part et d’autre, de bien promouvoir les relations culturelles entre le Maroc et l’Espagne. On peut à juste titre parler d’une nouvelle dynamique culturelle. En 2017 eut lieu à Rabat l’Exposition «De Goya à nos jours, Regards sur la collection de Banco de España». Ce fut une première, dans la mesure où une panoplie d’œuvres picturales et sculptures de grands artistes espagnols, de différentes époques (Goya, Sorolla, Saura, Tàpies, Barcelo…), que certains parmi nous avions eu la possibilité d’apprécier en visitant des musées en Espagne, et qu’on fait  venir au Maroc pour le bonheur des «aficionados» de l’art espagnol. En 2019 avait commencé la préparation du projet «Maroc 2020 à Madrid», une initiative que nous attendions, et qui est attendu. Ce sera une occasion pour permette au public espagnol de découvrir et d’apprécier les trésors culturels et artistiques du Maroc ainsi que la créativité des Marocains via des manifestations culturelles et des expositions.
Ajoutons à cela le rôle que joue le Salon international du livre de Casablanca, un rendez-vous annuel qui offre un espace de rencontre avec des écrivains espagnols, mais aussi marocains qui écrivent en espagnol, comme ce fut la cas lors de l’édition de 2019, un espace d’interaction et de partage humain et littéraire. La nouvelle dynamique culturelle dont nous parlons donc trouve son moteur dans cette nouvelle stratégie basée sur l’échange véritable, dans le sens où aujourd’hui, le Maroc investit culturellement, des espaces en Espagne pour faire connaître notre culture, comme la culture espagnole a toujours investi des espaces dans nos villes. Autant dire que quand il y a volonté, quand il y a de bonnes idées et des moyens institutionnels et financiers, on peut faire de grandes choses.

Comment voyez-vous la production littéraire (la littérature marocaine en espagnol) entre hier et aujourd’hui ?
Au niveau littéraire, spécifiquement, la création littéraire en langue espagnole connaît aujourd’hui un essor qui mérite toute notre attention. À partir du milieu du siècle dernier, une importante littérature en langue française s’est impose par sa qualité, mais aussi une certaine littérature d’expression espagnole, moins connue malheureusement. Les écrivains marocains qui écrivent dans la langue de Cervantes n’ont pas joui de la reconnaissance souhaitée sur la scène académique et littéraire espagnole. Au Maroc, ils n’ont pas trouvé réellement leur place sur la scène nationale, en raison principalement du fait que le public lecteur hispanophone est réduit.
Néanmoins, nous pouvons dire qu’une dynamique est bien enclenchée aujourd’hui. De nouvelles voix littéraires, celles de la diaspora, s’imposent actuellement par leur mérite propre. Il s’agit d’écrivains qui jouissent d’un certain prestige international et de reconnaissance institutionnelle en Espagne. Cette dynamique de la littérature marocaine d’expression espagnole est due également à l’effort de recherche académique dont elle fait l’objet et nous espérons qu’elle se renforce et aboutisse à des études et analyses profondes et conséquentes.

Comment évaluez-vous la production littéraires sur les deux rives, et notamment la littérature marocaine en espagnol ?
Depuis les premiers balbutiements durant les années 40 et 50 du siècle dernier, avec des récits courts publiés dans des revues locales à Tétouan, à aujourd’hui, le chemin a été tortueux, mais la continuité a été assurée. Les années 1990 ont connu une production littéraire significative. C’est pendant cette période que Mohammed Bouissef Rekkab, par exemple, a publié un nombre important de romans, faisant preuve d’une créativité soutenue. Il a réussi à publier 9 romans entre 1994 et 2010. C’est un écrivain qui sort du lot, car il est prolifique et créatif. Ce sont ces qualités qui permettent à l’analyste et critique littéraire de définir la personnalité de l’écrivain, son style, ses caractéristiques romanesques, son évolution et son apport à l’ensemble de la production littéraire marocaine de langue espagnole.
L’absence d’écrivains prolifiques et le caractère épars de la production littéraire pendant toute cette période ne permet pas de parler de tendances, encore moins de génération, c’est-à-dire de groupes d’écrivains unis autour d’un objectif esthétique et idéologique commun. C’est une littérature qui se cherchait, qui se cherche. Néanmoins, à partir de l’année 2000, un souffle nouveau revigore le climat créatif, grâce à l’apparition de nouveaux écrivains, de jeunes marocains vivant au Maroc ou résidant à l’étranger, en Espagne notamment. Le thermomètre  qui sert à évaluer cette littérature c’est certainement  sa visibilité et le degré de réceptivité dont elle jouit au niveau national et international (en Espagne et en Amérique latine), laquelle se traduit par les prix littéraires reçus et les séminaires et études dont ces écrivains font l’objet. La visibilité est due aux thématiques abordées, à la profondeur des approches et à la présence de ces écrivains sur la scène culturelle, à travers les articles qu’ils publient, les rencontres et séminaires auxquels ils participent et leur contribution aux débats d’idées engagés. L’élément nouveau apporté par ces écrivains, et qui explique leur percée, c’est qu’ils se positionnent dans l’espace de l’entre-deux, espace-frontière entre langues et cultures différentes, un espace qui privilégie l’échange.

Comment la littérature a-t-elle contribué à consolider et enrichir les liens entre les deux pays ?
L’existence d’une littérature marocaine écrite en langue espagnole est une caractéristique sans doute exclusive de notre pays. Au-delà du facteur historique qui a été à l’origine de l’implantation de la langue espagnole au Maroc, il y a ce phénomène qui en a résulté, c’est-à-dire une production littéraire dans cette langue. Cette littérature contribue donc au non-oubli du passé, au maintien du pont culturel construit au fil du temps entre nos deux pays et au resserrement des liens qui unissent le Maroc et l’Espagne, pays voisins qui partagent des intérêts communs.
Écrire dans la langue de l’autre est sans doute enrichissant pour celui qui écrit, mais aussi pour le celui qui lit et qui découvre des imaginaires et une culture autres, versés dans sa langue à lui. On en arrive à un partage extraordinaire, à une transmission de sensibilités et d’expériences différentes. Il reste au récepteur d’apprécier cela, de le soutenir, de le promouvoir. Marocains et espagnols ont le devoir de travailler dans ce sens pour développer un acquis très défendable, pour que la littérature ne soit pas inutile.

Qu’en est-il de la traduction ?
La traduction est un moyen efficace et nécessaire de transmission des savoirs et des idées.  La traduction littéraire est indispensable. C’est grâce à la traduction au français que dans notre jeunesse on a découvert la littérature russe, c’est grâce à la traduction aux autres langues que Don Quichotte et des chefs-d’œuvre de la littérature latino-américaine sont arrivés aux différents coins du monde. Entre le Maroc et l’Espagne, elle n’est pas suffisamment développée, faute de moyens, peut-être. Il faut de la stimulation et de l’incitation.  Il y a beaucoup à faire dans ce domaine.

Quels sont d’après-vous les actions pour encourager davantage la dynamique littéraire entre les deux pays ?
Soutenir les véritables vocations. Promouvoir la traduction en espagnol d’ouvrages marocains et vers l’arabe d’ouvrages espagnols. Soutenir les maisons d’édition qui  se sont spécialisées en quelque sorte dans la publication d’ouvrages littéraires traduits, comme Verbum en Espagne qui a édité par exemple «Las vecinas de Abu Musa» de Ahmed Toufiq ou «Noches de seda» de Aisha Basri. Organiser des concours littéraires et plus de rencontres avec et sur les écrivains. Casa Arabe fait un travail remarquable, et la Fondation des trois cultures organise, paraît-il, des concours littéraires.n

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