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Mohamed Melehi nous a quittés, mais son œuvre restera immortelle

Le Maroc vient de perdre une autre figure emblématique du Royaume. Cette fois-ci, c’est l’univers des arts plastiques qui en pâtit avec le départ de Mohamed Melehi, l’un des précurseurs de la modernité et un maître plasticien incontestable. Il nous a quittés, le 28 octobre 2020, à l’âge de 84 ans, laissant derrière lui une œuvre inestimable.

Mohamed Melehi nous a quittés, mais son œuvre restera immortelle
Mohamed Melihi dans son atelier.

Emporté soudainement par le coronavirus Covid-19, ce natif d’Asilah, cité qu’il a toujours porté dans son cœur, possède un parcours des plus exceptionnels qui fut entamé par un cursus à l’École des beaux-arts de Tétouan, avant de s’envoler pour Séville, puis à Madrid en 1955. Il poursuit son périple d’initiation en Italie, en France et à New York en 1962. Son retour au Maroc dans les années 1960 a été marqué par une période d’enseignement de la peinture, la sculpture et la photographie à l’École des beaux-arts de Casablanca.
Toujours très actif dans le milieu des arts et de la culture, il crée avec Abdellatif Laâbi et Mustapha Nissaboury la revue «Souffles» qui est suivie, au début des années 1970, par «Intégral» et ensuite de la maison d’édition et de productions cinématographiques «Shoof». En parallèle, il poursuit son travail de recherche plastique et devient le précurseur d’une nouvelle expression picturale, à travers ses expérimentations géométriques, loin de ce qui se faisait en son temps. Sa révolution picturale a porté ses fruits aussi bien en peinture qu’en photographie, édition, design, affiches et fresques murales. Chacune de ses prestations fut une grande découverte pour les professionnels et les passionnés des arts plastiques.
Mohamed Melehi a toujours joué sur la valeur expressive des matériaux qu’il utilise et leurs résonances symboliques avec la culture visuelle locale. Sa démarche audacieuse pour l’époque a confirmé, de projet en projet, son affranchissement de l’académisme et sa filiation à l’art informel. L’œuvre de Melehi sera donc de plus en plus marquée par la recherche d’une modernité picturale en interaction avec sa culture et porteuse d’un langage esthétique universel. Mais toujours à la recherche de projets culturels, il cofonde avec Mohamed Benaïssa l’Association culturelle Al Mohit et le Moussem culturel international d’Asilah en 1978.
Dans le «Dictionnaire des artistes contemporains du Maroc», l’auteure, Dounia Benqassem, évoque les multiples intérêts artistiques de Melehi, qui sont les arts graphiques, la photographie, la sculpture et la peinture. «La réalisation technique de ses peintures, par l’utilisation des couleurs industrielles et d’un support en bois, n’a pas été parfois sans poser des problèmes. En revanche, la fresque murale et les travaux d’intégration à l’architecture, réalisés avec les architectes Abdeslam Faraoui et Patrice de Mazières, ont permis à Melehi de donner libre cours à cette organisation dynamique des espaces et des formes qui lui est si chère et qu’il maîtrise avec force», indique l’auteure.
«Pour comprendre la peinture de Melehi, poursuit l’auteure, il faut interroger les affinités et les correspondances entre l’art moderne occidental et l’art africain, dont l’art populaire marocain est une des expressions. Cette tradition de peinture, tout comme certains signes et symboles de tapis et de bijoux paysans, encourageaient Melehi à poursuivre son propre chemin. L’onde, la flamme, les rayons, les astres et les autres formes qu’il avait élaborées dans sa propre peinture étaient des archétypes. Une plasticité jamais épuisée».
Melehi est, ainsi, passé par une multitude d’expériences, notamment l’action Painting, la peinture organique, la peinture spatiale, le dripping, le collage, puis toutes les possibilités de graphisme et d’incision sur la surface. C’est ce qui distingue son œuvre. Lui-même, il dit un jour que son travail fut influencé par des thématiques reflétant, de manière symbolique, les différentes situations socioculturelles de l’époque des années 1960. «Pourtant, je réalise aujourd’hui que mes préoccupations d’il y a trente deux ans sont toujours les mêmes. Et voilà que j’expose de nouveau des œuvres exécutées entre 1983 et 1997, et qui expriment toujours les mêmes hantises, les mêmes obsessions formelles et intellectuelles qui m’habitèrent durant trois décennies, mais qui s’incarnèrent à chaque fois dans de nouvelles formules plastiques».
S’articulant entre figuration et abstraction, identité et modernité, l’œuvre de Melehi a fait l’objet de nombreuses expositions aussi prestigieuses les unes que les autres à travers le monde et plusieurs rétrospectives lui ont été consacrées. Melehi a eu le privilège, quelques mois avant son décès, de voir une de ses œuvres achetée en ligne, par le biais Sotheby’s Londres, à 5 millions de dirhams. n

En hommage à ce grand artiste, nous republions le dernier entretien avec lui, paru dans « Le Matin» en avril dernier.


Questions à l’artiste-plasticien Mohamed Melihi

«La plus grande satisfaction de l’artiste est la reconnaissance de son talent, le reste c’est au département de la Culture de s’en occuper»

Quel a été votre sentiment suite à cette belle vente de votre œuvre, tout en sachant que vous n’alliez pas en bénéficier matériellement ?
Vous savez, quand on est devant une telle situation, il y a deux choses : l’avantage matériel et la reconnaissance artistique. Et je pense que pour un artiste, la reconnaissance de son talent est sa plus grande satisfaction. Cette reconnaissance, c’est aussi notre pays qui en bénéficie. Et c’est un grand honneur pour nous. Car, à priori, on ne fait pas de l’art pour gagner de l’argent. Mais tant mieux quand il y a les deux, c’est-à-dire l’art et l’argent. Ce qu’il faut pour un artiste, c’est créer et travailler. Tout le monde sait que la majorité des grands maîtres de la peinture ont été reconnus après leur décès, sauf une poignée qui a bénéficié de son argent de son vivant.

Quelle est la différence entre cette vente et celles que vous aviez déjà eues ?
Durant ma carrière, beaucoup de mes œuvres ont été cédées, vendues, offertes… parce qu’une œuvre peut passer par plusieurs mains. Pour celle vendue récemment, il y a une satisfaction de l’importante valeur qu’on lui a donnée. Sachant qu’elle a été réalisée en 1963 à New York, sous l’intitulé «The Blacks». J’en suis très ravi.

Comment se déroulent, en général, ces ventes aux enchères ?
Généralement, ces ventes sont annoncées deux mois à l’avance pour permettre à tous ceux qui veulent rentrer dans la course d’en prendre connaissance. Ce sont, habituellement, des collectionneurs, des musées, des professionnels en art… et dont certains passent par des intermédiaires pour garder la discrétion. C’est un domaine très complexe qui existe depuis très longtemps. C’est très important que le Maroc rentre dans ce genre de marché international.

Ne regrettez-vous pas que ce «droit de suite» n’ait pas été mis en pratique  dans notre pays ?
Il faut savoir que la notion du «droit de suite» est toujours négligée dans notre pays, encore plus pour les arts plastiques. Nous avons déjà évoqué cela dans notre Association marocaine des arts plastiques, en invitant, il y a quatre ans, la directrice de la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADGAP). Mais c’est au département de la Culture de s’en occuper, en poussant le Parlement à adopter ce texte et en signant une convention avec l’ADGAP en France.

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