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«La pandémie du coronavirus nous confronte à nos égoïsmes»

Les propos de deux scientifiques français évoquant la possibilité de tester des vaccins en Afrique ont choqué plus d’un. Dans l’hexagone, mais aussi et surtout en Afrique, la condamnation a été unanime. Même l’OMS a réagi. Son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dénoncé «l’héritage d’une mentalité coloniale». M’jid El Guerrab, député français et membre de la commission des affaires étrangères, revient dans cet entretien sur cette affaire et sur ses éventuelles implications.

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Le Matin : Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez eu connaissance des propos des deux scientifiques français sur la chaine LCI, dans lesquels ils proposent de tester des vaccins en Afrique ?
M’jid El Guerrab :
Très sincèrement, j’ai eu du mal à y croire. Que deux scientifiques, médecins qui plus est, se permettent d’énoncer de telles énormités devant des milliers de téléspectateurs… J’étais estomaqué. Alors j’en ai discuté avec mes amis, élus dans toute l’Afrique, et j’ai acquis la conviction qu’il fallait agir, très vite. Pas dans 15 jours ou 6 mois : tout de suite. Pour dire stop, trop c’est trop.

Qu’est-ce qui vous a choqué le plus, les propos eux-mêmes, ou le fait qu’ils soient tenus par deux scientifiques dans le domaine de la médecine et qui sont censés incarner les valeurs d’humanisme et d’égalité ?
C’est un tout. Si on analyse les propos en eux-mêmes, on constate qu’ils reposent sur une idée fondamentalement scandaleuse : puisque les Africains sont plus démunis, testons nos vaccins sur eux avant de nous les administrer... Comme si certains méritaient naturellement d’être mieux soignés que d’autres. Au fond, cette pandémie nous confronte à nos égoïsmes. Pourtant, les tristes rapports qui se succèdent nous démontrent une chose : nous sommes tous égaux face à la maladie. Alors nous avons deux choix : soit nous continuons dans cette voie et nous perdrons tous, soit nous décidons de jouer collectif – pour une fois – et nous serons un magnifique exemple pour les générations futures.

À part votre démarche consistant à saisir le procureur de la République, quelle a été la réaction de la communauté scientifique, des médias, des politiques ?
L’ensemble de la classe politique et médiatique a fortement désapprouvé ces propos. L’indignation populaire était unanime, ce qui montre bien qu’il s’agit d’un cas isolé, absolument pas représentatif de ce que pensent nos compatriotes. Néanmoins, ces paroles ont heurté des millions de gens dans notre pays et au-delà de nos frontières, c’est pourquoi j’estime qu’elles doivent faire l’objet d’une sanction pénale.

Selon vous, cet état d’esprit raciste et condescendant vis-à-vis de l’Afrique est-il répandu dans la communauté scientifique en France ?
Je ne le pense pas, et je ne l’espère pas. Les scientifiques sont des gens rationnels qui ont permis de fantastiques avancées dans l’histoire de l’Humanité. Hier, ils démontraient par leurs travaux que nous sommes égaux, qu’il n’existe pas de races, et que nous avons tous un ancêtre commun originaire d’Afrique. Demain, ils nous permettront de nous soigner face à cette pandémie, et d’éviter des milliers de morts supplémentaires. Ne faisons pas d’un cas une généralité.

Pensez-vous que de tels propos auront des répercussions négatives sur l’image et la perception de la France en Afrique ?
Je pense évidemment que de tels propos n’améliorent pas l’image de la France en Afrique. Après, j’aimerais dire à chacun que deux hommes ne font pas un peuple. Notre avenir est aujourd’hui lié par quelque chose de beaucoup plus profond : nos diasporas, nos arts, nos cultures, nos échanges scolaires, universitaires, économiques, touristiques… La relation entre nos pays dépasse largement cette polémique, et je crois qu’à l’horizon, de magnifiques choses en sortiront. 

Le député français M’jid El Guerrab saisit le procureur de Paris

La vague d’indignation se poursuit sur le plan national et international contre les propos racistes tenus mercredi dernier (1er avril) par deux médecins sur la chaîne d’informations en continu LCI. Samedi dernier, le député français M’jid El Guerrab a saisi le procureur de Paris après avoir eu connaissance des propos jugés racistes d’un chercheur et d’un chef de service d’hôpital parisien, dans lesquels ils s’interrogeaient sur l’opportunité de tester un vaccin en Afrique contre le coronavirus. Dans le détail, le scandale s’est déclenché lorsque, dans une séquence diffusée mercredi après-midi sur la chaîne de télévision française LCI, Camille Locht, directeur de recherche à l’Inserm à Lille, était interrogé sur des recherches menées autour du vaccin BCG contre le Covid-19. 
Invité en plateau, Jean-Paul Mira, chef de service de médecine intensive et réanimation à l’hôpital Cochin, lui avait alors demandé : «Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs sur certaines études avec le sida, ou chez les prostituées : on essaie des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées. Qu’est-ce que vous en pensez ?» Le chercheur lui a répondu : «Vous avez raison».
Si les deux hommes avaient fini par présenter leurs excuses, après avoir reçu de vives critiques. Les défenseurs des droits de l’Homme, notamment le député français M’jid El Guerrab, ont jugé leurs propos injurieux et discriminatoires. Outre M. El Guerrab, le Club des avocats du Maroc avait également exprimé son indignation et a annoncé sa décision porter plainte contre la chaîne d’informations en continu LCI, qui appartient au groupe TF1, pour diffamation raciale. 

L’OMS : «L’Afrique ne sera jamais un terrain d’essai pour aucun vaccin»

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a réagi vivement lundi aux «propos racistes» de chercheurs français ayant récemment évoqué des tests médicaux d’un vaccin potentiel contre le Covid-19 en Afrique, dénonçant «l’héritage d’une mentalité coloniale». «Ce genre de propos racistes ne font rien avancer. Ils vont contre l’esprit de solidarité. L’Afrique ne peut pas et ne sera un terrain d’essai pour aucun vaccin», a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, au cours d’une conférence de presse virtuelle depuis Genève. «L’héritage de la mentalité coloniale doit prendre fin», a-t-il ajouté. Les propos tenus sur une chaîne française par un chercheur de l’Inserm et un chef de service de l’hôpital Cochin à Paris qui s’interrogeaient sur l’opportunité de tester un vaccin en Afrique dans le cadre du coronavirus avait suscité une vague d’indignation dans le monde.

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