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Projet de loi de Finances rectificative : Analyse et signification des orientations générales

Par Pr Abdellatif Komat, doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Université Hassan II, Casablanca

Projet de loi de Finances rectificative :  Analyse et signification des orientations générales
Pr Abdellatif Komat.

Conformément aux dispositions de la Constitution, le ministre de l’Économie, des finances et de la réforme de l’administration a présenté lundi dernier en Conseil des ministres présidé par Sa Majesté le Roi, les grandes orientations qui ont guidé l’élaboration du projet de la loi de Finances rectificatives 2020. Quelle lecture à propos des grandes orientations retenues ? L’analyse des trois grandes orientations retenues appelle de notre part les constats suivants :
•  En premier lieu, l’inscription du processus de reprise économique dans la durée, en considérant que la relance se fera de manière progressive avec une prédisposition de l’État et de ses institutions à rester partie prenante active pour mener à bien ce processus.
•  En deuxième lieu une prise en considération de la dimension sociale autant que la dimension économique en plaçant la préservation des postes d’emploi comme une priorité absolue.
• En troisième lieu, au-delà de la pression exceptionnelle de la conjoncture, les reformes structurelles comme celle de l’administration restent de mise.
Nous analysons ci-après les axes et les significations de chacun des trois piliers constituant l’ossature des orientations générales pour l’élaboration de la loi de Finances rectificative :

1. Le premier pilier de ces orientations porte sur l’accompagnement de la reprise progressive de l’activité économique. L’approche préconisée est celle sectorielle. En effet, si les premières mesures de soutien adoptées, notamment par le Comité de veille économique (CVE), étaient générales avec comme ligne directrice la difficulté économique quel que soit le secteur d’activité, il s’avère dorénavant de manière claire et même mesurable que la crise touche différemment les secteurs d’activité  et surtout que la reprise ne s’annonce pas au même rythme  et avec les mêmes assurances. Aussi, il serait très judicieux d’adopter une approche différentielle selon les spécificités et particularités de chaque secteur. Concrètement, cela se manifestera à travers des conventions sectorielles qui définiront les apports et les engagements de chacune des parties. Cette approche est à notre sens très salutaire et responsabilise les deux parties.
Par ailleurs, la reprise économique dépend, entre autres, de la mise à disposition des entreprises de moyens financiers dans des conditions favorables afin de les aider à faire face aux difficultés de trésoreries qui asphyxient une grande partie d’entre elles. Cela suppose une action au niveau de l’ensemble de l’écosystème financier national axé essentiellement sur la Banque centrale, les banques commerciales et la Caisse centrale de garantie. L’objectif de ce dispositif qui sera mis en place par l’État est double : d’une part, doter les entreprises de financements à des taux d’intérêt bas et avec des garanties presque totalement assurées par l’État et, d’autre part, préserver le système bancaire national de risques majeurs qui pourraient résulter de difficultés de remboursement d’un nombre significatif de contractants d’emprunts.
Dans le troisième axe prôné pour stimuler la relance, nous relevons l’appui à l’investissement public comme levier d’accélération de la dynamique économique. À cet effet, nous rappelons que le Maroc a toujours été un pays qui fait de l’investissement public un moteur essentiel de la dynamique économique. Ainsi, la loi de Finances 2020 prévoyait un budget d’investissement public de 198 milliards de dirhams, ce qui fait du Maroc un des pays dont le rapport Investissement public/PIB est le plus élevé dans la région MENA. Cet effort dont la vocation principale est de renforcer les infrastructures de base et d’améliorer des secteurs stratégiques comme l’éducation et la santé n’en demeure pas moins un moteur de première importance dans la dynamique socioéconomique à travers les projets qu’il initie et les commandes publiques qu’il génère. Aussi, face à la conjoncture actuelle marquée par un déficit de la demande, une réduction substantielle de l’investissement public risque d’altérer la reprise économique. Certes, la marge de manœuvre du gouvernement est limitée, étant donné la réduction de ses recettes internes et la prudence requise de ne pas recourir à un endettement extérieur excessif. Il s’agit toutefois d’arbitrages à mener de manière intelligente et efficace.

2. Le deuxième pilier de ces orientations porte sur la préservation des emplois dans le secteur privé. L’introduction de ce volet parmi les priorités de la loi de Finances rectificative était très attendue, étant donné la grande sensibilité de la question de l’emploi et les grands risques que la problématique du chômage prenne de l’ampleur devant les difficultés actuelles et futures auxquelles font et feront face les entreprises du secteur privé. Certes, le quasi-million de salariés affiliés à la CNSS qui ont été déclarés par leurs entreprises pour bénéficier du soutien de l’État reprennent progressivement leur activité, il n’en demeure pas moins qu’une partie de ces salariés dont les entreprises n’arriveraient pas à se relever risquent une perte de leur emploi et cela pourrait concerner des dizaines de milliers de personnes. Pour éviter cela, ou au moins l’atténuer, le gouvernement entend prévoir un certain nombre de mesures de sauvegarde, dont la poursuite de la mobilisation du Fonds spécial de gestion de la pandémie du coronavirus jusqu’à la fin de l’année en cours.
Cette décision est en mesure de rassurer un certain nombre d’entreprises dont l’activité risque de prendre du temps avant de retrouver son rythme habituel. En effet, un des grands problèmes du tissu économique, c’est l’insuffisance en visibilité sur les possibilités et les échéances d’un véritable retour à la normale, notamment en fonction des particularités de chacun des secteurs d’activité. Signe que l’État place la préservation de l’emploi au centre de ses préoccupations, il entend conditionner (dans un cadre conventionnel) son accompagnement des entreprises en difficulté à leur préservation de plus de 80% des salariés déclarés.

3. Enfin, le troisième pilier sur lequel s’appuient les orientations générales du projet de loi de Finances rectificative porte sur l’accélération de la mise en œuvre des réformes de l’administration. À la lecture des composantes de ce pilier, on se rend compte que le projet de loi de Finances rectificative, au-delà des préoccupations conjoncturelles pressantes, n’entend pas ignorer des dispositions s’inscrivant comme des reformes structurelles.
Certes, certaines de ces dispositions devraient avoir des effets immédiats, mais pour l’essentiel les principales retombées sont attendues au-delà de l’échéancier de la présente loi de Finances. Nous relevons cependant que l’introduction de cet axe parmi les priorités de la loi de Finances rectificative n’est pas fortuite, mais répond à trois impératifs qui se sont davantage imposés avec les circonstances que nous vivons ces derniers temps. L’un de ces impératifs est lié à une nécessité, le second à une consolidation et le dernier à l’exploitation d’une opportunité.
• Impératif de nécessité : Le Maroc a besoin plus que jamais de booster ses investissements et de promouvoir la création d’entreprises, d’une part, pour générer plus de richesses et, d’autre part, pour créer des postes d’emploi. Or cela ne saurait se réaliser au rythme souhaité sans une simplification des procédures administratives.
•  Impératif de consolidation : La vérité est que les Marocains attendent beaucoup de leur service public et croient en son rôle central pour respecter les équilibres et pour agir en des moments exceptionnels. Aussi, tout ce qui est en mesure de renforcer le service public et de le consolider est le bienvenu. C’est dans ce sens que s’inscrit l’accélération de la charte des services publics parmi les axes prioritaires.
•  Impératif d’exploitation d’une opportunité : La transformation numérique de l’administration marocaine est inscrite comme objectif stratégique depuis plusieurs années. Certes, des avancées notables ont été réalisées avec cependant encore un grand effort à déployer pour prétendre atteindre une véritable transformation numérique. L’opportunité que présente le contexte actuel dans ce sens est que, d’une part, nous notons une prise de conscience accrue de la pertinence du recours au numérique pour faciliter le travail et la relation administration-usagers et, d’autre part, nous enregistrons le passage à une véritable expérimentation de cette approche de travail. Le grand enjeu actuel est de capitaliser sur cette expérience pour faire de la numérisation de l’administration une réalité avérée et un levier de son efficacité et sa modernité. 

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