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Questionnements sur le rôle de l’urbanisme dans la gestion de la pandémie du Covid-19

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Le foisonnement de vies a brusquement laissé place au bruissement des feuilles. Le repli, tacite ou déclaré, semble devenir le maître mot. Certains le verbalisent d’ores et déjà ouvertement ; et nombreux sont les pays qui le murmurent : la déflagration économique est là. À l’instar des autres pays, nos villes se font silencieuses et le digital résonne. Covid-19 a dépeuplé les rues et repeuplé les foyers. Villes, villages, douars et autres agglomérations ; aucun de ces établissements humains ne fait exception. Ou presque.
À l’appel de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la Nation entière, dans toutes ses composantes, s’est mobilisée de façon unanime, solidaire, efficace et instantanée ; faisant ainsi du Maroc une figure de proue. Un pays dont la mobilisation de son capital humain, sous l’impulsion de Sa Majesté, défie aujourd’hui toutes les attentes.
Au-delà des mesures proactives observées par notre pays, d’autres ont pu voir le jour dans des délais qui feraient pâlir de jalousie les plus réactives et cossues des puissances. Des échéances sont reportées, des obligations suspendues, des subventions allouées, etc. Tous les secteurs économiques ont pu ainsi bénéficier de soutiens et d’assistance.

Des tissus informels en déni
Cependant, depuis quasiment le début du confinement, des vidéos fusent montrant des quartiers informels dans lesquels l’activité économique persiste en dépit des instructions de confinement et du danger encouru. C’est à croire que les tissus informels se vivent telle une grande demeure dans laquelle les occupants, membres d’une même et grande famille, se répartissent les tâches quotidiennes dans la confiance (tâches ménagères, babysitting, approvisionnement, bricolage, déplacement…). Une sorte de translation d’échelle propre à ces quartiers et dont la particularité rend indissociables la dynamique économique et l’environnement spatial.
Il est vrai que la problématique de ces tissus informels fait, depuis longtemps, couler beaucoup d’encre ; mais aujourd’hui plus qu’hier, au regard de la crise sanitaire actuelle, ces établissements humains mériteraient que nous nous repenchions dessus avec toute l’acuité nécessaire, non uniquement parce qu’ils ne répondent pas aux normes urbanistiques en vigueur, mais aussi, et concomitamment, parce qu’ils représentent un capital économique considérable et dont notre économie a besoin plus qu’hier au regard du contexte de la présente crise.
Aujourd’hui les articles qui, à l’échelle internationale, questionnent le rôle de l’urbanisme dans la gestion de la pandémie se démultiplient : tantôt le glorifiant pour avoir su faire éviter le pire aux populations, tantôt le fustigeant et l’accusant de mal orchestrer l’espace et de contribuer à la démultiplication des contaminations, cependant, la dimension économique y demeure quasi absente.
À ce titre, le Maroc ne fait pas exception. Bien que dans l’imaginaire collectif marocain, la solidarité demeure une valeur guide, la réalité urbaine marocaine renvoie l’image de villes complexes, et encore marquées par des inégalités qui interpellent davantage à plus d’un titre dans le contexte actuel.
Un survol de l’histoire récente de nos politiques d’urbanisme, d’aménagement du territoire et d’habitat montre que depuis près d’un demi-siècle (1972 création du ministère de l’Urbanisme, de l’habitat et de l’environnement, puis celui de l’Habitat et de l’aménagement du territoire en 1977) et particulièrement depuis l’aube du 21e siècle (Discours Royal du 8 août 2001), le Maroc a fait des avancées considérables en la matière, mais que beaucoup reste à faire. Il demeure toujours un pays en voie d’urbanisation, balloté entre l’obstination d’appliquer des modèles parfois importés et la persistance de traditions solidement ancrées.
Ce dualisme serait moins prononcé, et surtout mieux gérable, si l’on admettait quelque peu d’envisager des voies autres que celles préétablies afin de mieux répondre aux défis qui nous seront désormais lancés. Dans cette optique, le challenge n’est plus uniquement de produire massivement des logements pour le plus grand nombre, mais aussi, et surtout, d’envisager d’accepter une autre image de nos paysages urbains basée également sur la capitalisation des réalités socioculturelles mieux à même de mettre en exergue l’attractivité de l’identité territoriale.
Et si l’aménagement peine à produire par lui-même une intelligence territoriale réactive et résiliente, c’est que ses fondements ne réaliseraient pas et ne reflèteraient probablement pas suffisamment les réponses à la réalité culturelle et socio-économique de ses occupants ; réponses à même d’être le gage d’une meilleure viabilité urbaine dans toutes ses dimensions : sociales, économiques, politiques, environnementales, culturelles, identitaires, etc.
Les efforts actuellement déployés, dans la synergie, par le milieu de la Recherche, de la Recherche-Développement, de l’Industrie et de la quasi-totalité des corps professionnels pour innover et donner réponses aux besoins immédiats face à la présente crise, sont notre capital et notre fierté au-delà du fait qu’ils font désormais référence.
À ce titre, l’Université EuroMed de Fès, à travers la synergie structurelle entre ses différentes composantes, traite de la problématique urbaine dans sa dimension multi et transdisciplinaire au sein du Laboratoire «Territoires et Résilience» de l’École EuroMed d’architecture, de design et d’urbanisme (EEMADU) avec l’active implication de chercheurs rattachés aux autres composantes de l’UEMF. Dans ce sens, toute proposition de contribution de la part de chercheurs et/ou professionnels est la bienvenue (voir le site de l’UEMF : www.ueuromed.org). 

Des approches en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire à réinventer

Dans le contexte actuel, où des mutations profondes nous attendent, une relecture de la politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire pourrait s’avérer pertinente et pourrait permettre de faire face aux exigences d’un réajustement spatial équilibré, basé sur une approche non plus globalisante, mais multidimensionnelle et humaine. En matière d’habitat, les approches conventionnelles, axées essentiellement sur la production massive, directe et/ou indirecte, de logements sociaux en accession à la propriété montrent des signes d’essoufflement évidents, et pourraient, à moyen terme, accentuer la dichotomie villes réglementaires/villes non réglementaires.

La richesse pourrait-elle surgir de ce qui nous semble être la pauvreté ?

Dans la conjoncture actuelle qui laisse présager des bouleversements dans les répartitions des forces géo-économico-politiques, radicaux ou du moins drastiques, et où solidarité et dématérialisation ont démontré de leur efficacité, une capitalisation des tissus et économies «inventifs», aussi informels soient-ils, adossée aux nouvelles technologies et la constitution de Datas, ne permettrait-elle pas d’envisager d’autres alternatives à court, moyen et long termes ? L’abstraction du temps, des moyens et de l’espace aidant, serait-ce utopique de se demander : et si la richesse pouvait également surgir de ce qui nous semble être la pauvreté ? 
En 2019 Sa Majesté le Roi Mohammed VI initiait le projet du Nouveau Modèle de développement pour le Maroc ; projet dans lequel nous sommes tous appelés à questionner, de façon objective et constructive, les paradigmes établis pour tendre vers un lendemain plus durable, plus efficient, plus résilient plus épanouissant et plus équitable. Dans ce sens, et particulièrement dans le contexte mondial tel qu’il se dessine sous nos yeux, il devient impératif d’investir dans les valeurs, faisant de celles-ci et de l’identité un ancrage, et du savoir la dynamique de l’ensemble.

Iman Meriem Benkirane

 

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