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Le télétravail : Pour le meilleur ... et pour le pire !

Le télétravail est-il parti pour rester ? Si certains employeurs ont déjà annoncé leurs plans de reprise d’activités en présentiel pour leurs collaborateurs, d’autres sont plutôt en train de penser à maintenir le télétravail de manière définitive, et ce, même après la levée des restrictions liées au Covid-19. Au Maroc, la mise en œuvre d’une telle décision requiert une bonne gouvernance surtout que le télétravail n’est pas encore cadré par la loi.

Le télétravail : Pour le meilleur ... et pour le pire !
La crise sanitaire liée à la Covid-19 nous a permis de tester l’efficacité du télétravail au Maroc. Adopté au départ comme une solution de dépannage pour préserver la santé des collaborateurs et assurer la continuité des activités, ce mode d’organisation a fini par séduire bon nombre de dirigeants. Certains ont même annoncé leur intention de le pérenniser, et ce, malgré la levée définitive de l’ensemble des restrictions liées à la crise du Covid-19. C’est le cas, notamment du Groupe Outsourcia. Or, à ce stade où le télétravail n’est pas encore cadré par la loi marocaine, plusieurs interrogations restent à soulever : Comment envisager la relation employeur-employé ? Quels sont les risques à encourir pour les deux parties ? Le sentiment d’appartenance à l’entreprise ne sera-t-il pas perdu chez ceux qui travaillent à distance ?... Avant de tenter de répondre à ces questions, revenons tout d’abord sur les avantages de ce mode d’organisation. «Le télétravail est un vrai modèle gagnant et surtout très efficace», estime Youssef Chraibi, PDG du groupe Outsourcia et président de la Fédération marocaine de l’outsourcing, qui était l’invité de Rachid Hallaouy dans son émission «l’Info en Face». Pour lui, la pratique est vertueuse, aussi bien pour la qualité de vie des collaborateurs que pour la performance économique. Même son de cloche auprès de Samira Aajlane, directrice des projets RH dans une multinationale, coach et psychothérapeute WPC. «Le télétravail représente un facteur de motivation clairement reconnu et démontré permettant d’inscrire l’ensemble des protagonistes, à savoir l’employé et l’employeur dans une dynamique gagnant-gagnant», explique-t-elle. D’une part, l’entreprise minimise différents coûts et d’autre part, le collaborateur exerce ses tâches sans pour autant se déplacer, ce qui lui permet de travailler avec moins de stress et de fatigue physique.

Pour Samira Aajalane, les entreprises ont rapidement pu s’adapter au télétravail durant cette période de crise sanitaire, mais sa pérennisation nécessite beaucoup plus de réflexions et de moyens que ceux déployés au tout début de la pandémie, partant du principe qu’une mauvaise gestion de cette transition peut entraîner des problèmes et des risques à gérer. «Au-delà du volet juridique, il faut avouer que pour réussir la transition vers la pérennisation du télétravail, tout un écosystème doit s’adapter et s’orienter dans la même vision», souligne l’experte qui met en avant l’importance pour les entreprises de prévoir des conventions collectives nécessaires et des protocoles de gestion. L’objectif étant, rappelle-t-elle, de préserver les droits, gérer les frustrations relatives aux critères d’éligibilité au télétravail avec l’argumentaire nécessaire et aussi mettre au clair les droits et les engagements de chaque partie prenante : les avantages sociaux, l’accès à la formation, le droit aux congés, les arrêts maladie chez soi, le financement et l’inventaire des équipements, etc.

Tout est question d’organisation….

et de confiance !

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la pérennisation du télétravail ne sera pas sans inconvénients. Interpellée sur ce volet, Samira Aajlane cite quelques désavantages qui, estime-t-elle, doivent être anticipées par les deux parties :

• Les problèmes de santé : Travailler de longues heures sur ordinateur n’est pas sans risques sur la santé physique mais aussi morale du collaborateur qui peut être exposé à la dépression. 

• L’isolement social : En télétravail, certains collaborateurs risquent d’être coupés des interactions qui contribuent au besoin fondamental d’amour et d’appartenance.

• L’absence de frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle : Le travail et la vie privée se déroulent dans le même espace et il est parfois difficile de se déconnecter de l’un ou de l’autre. Généralement, c’est le travail qui déborde sur le temps personne, ce qui peut nuire à la vie familiale d’un employé. Ce dernier se sentira ainsi stressé, fatigué voire épuisé.  


• Le présentéisme permanent : Outre le fait qu’on travaille de longues heures, le collaborateur se voit carrément obligé de travailler lorsqu’il est malade. Bien que cela puisse être quelque chose que les employeurs considèrent comme un avantage, il n’est clairement pas dans le meilleur intérêt de l’employé qui n’arrive plus à s’accorder le temps nécessaire pour récupérer correctement sa santé après une période de maladie.
L’experte tient à souligner ainsi que tous ces inconvénients impactent négativement la productivité et la performance de l’entreprise. Cette dernière risque ainsi d’être touchée au niveau de sa marque d’employeur et sa capacité à attirer de nouveaux collaborateurs. Ceci-dit, «il est important de rester prudent et surtout d’anticiper les comportements hors période de crise», souligne Samira Aajalane qui invite employeurs et employés à rester sur des ondes positives. «Plus l’entreprise anticipe tous ces inconvénients, plus le télétravail aura des chances d’être plus toléré et, au final, accepté, voire totalement intégré dans les mœurs», ajoute-t-elle.
Sur un autre registre, force est d’avouer que la réussite du télétravail dans n’importe quelle entreprise est conditionnée, entre autres, par la nature de la relation qui lie le collaborateur à son N+1. Si le premier est appelé à faire preuve de responsabilité, d’engagement et de sérieux à distance, le deuxième doit être prêt à l’accompagner, à l’écouter et surtout à comprendre ses frustrations. La relation doit être aussi basée sur la confiance mutuelle et c’est là où le management basé sur la proximité trouve tout son intérêt. Inutile de chercher à exercer une surveillance policière sur le collaborateur, mieux vaut le responsabiliser, l’informer à temps réel et surtout l’impliquer dans tous les changements. Côté collaborateur, il ne faut pas hésiter à discuter avec son N+1 sur ses craintes au lieu de céder la place aux malentendus.
Rappelons à cet effet, l’étude-décryptage réalisée par le cabinet LMS Organisation Ressources Humaines (LMS ORH), intitulée «Télétravail : Mode passagère ou tendance lourde ?» Le principal constat dégagé est que 83% des répondants sont satisfaits de leur expérience de télétravail, 55% se considèrent plus efficaces sur certains aspects du travail et 33% se disent satisfaits de leur rendement dans l’absolu. 
Face à ces constats, les professionnels RH et management ont un grand chantier devant eux. En tous les cas, le monde après la Covid-19 ne sera pas comme avant. Il est grand temps de rompre avec les anciennes pratiques, habitudes, mais aussi croyances limitantes, car de toute façon nous n’avons plus le choix que d’oser se réinventer !  

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Entretien avec Samira Aajlane, directrice des projets RH dans une multinationale, coach et psychothérapeute WPC

«Les entreprises auraient de moins en moins recours au contrôle si elles s’investissent bien à l’avance dans l’autonomisation de leurs collaborateurs»

Management & Carrière : Dans leurs stratégies post-Covid-19, certaines entreprises prévoient la pérennisation du télétravail. Qu’en pensez-vous ?
Samira Aajlane :
La crise sanitaire a obligé les entreprises à repenser leur façon de faire et à dépoussiérer, entre autres, leurs politiques de sécurité et le télétravail. Jusque-là, ce dernier a été considéré comme le héros qui a pu sauver, à une grande part, le monde des répercussions économiques du Covid-19. Songer à sa pérennisation, en cette conjoncture, ne pourrait être qu’une opportunité pour économiser des années à conduire le changement et éduquer les esprits à ce nouveau mode à la lumière de la fameuse citation de Jean Monnet : «Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise». Personne ne peut nier que le télétravail représente un facteur de motivation clairement reconnu et démontré. Ses avantages sont multiples autant pour l’employé que pour l’employeur. La résilience quant à la peur du coronavirus nous a permis de savourer la réduction des déplacements domicile-travail avec tous les effets positifs potentiels sur le coût, le temps et le bien-être. Les entreprises pourraient elles, rapidement constater des économies en réduisant le besoin d’espace de bureaux coûteux et les frais généraux tels que l’électricité et l’entretien à l’usure. La réduction du temps de déplacement, la diminution des distractions liées au bureau et même, dans certains cas, la perspective de s’éloigner davantage du lieu de travail ont permis de booster la productivité et favoriser l’autonomie. Pérenniser le télétravail permettrait ainsi de dépasser les frontières géographiques et aller chercher des talents et des expertises sans contraintes présentielles qui peuvent pénaliser les employés et les employeurs dans des schémas d’organisation de travail classique. En effet, ce mode de travail permet de démocratiser l’accès à l’emploi et donner l’opportunité de se réaliser à différentes personnes capables de produire, mais pénalisées par la présence physique. Il s’agit, entre autres, des personnes à mobilité réduite ou malades et les mamans avec des enfants à charge. Nous avons tendance à accuser le télétravail de perturber l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. De par ma présence au sein de cellules d’écoute durant le confinement, j’étais très contente de constater que certains télétravailleurs utilisent le temps qu’ils auraient autrement perdu à voyager ou à être dans des embouteillages, avec leurs enfants ou leur famille. Je n’oublierai jamais cette maman qui m’avait dit : «Je me suis libérée de ma culpabilité de maman avec le télétravail… les bisous de mon bébé de 18 mois après chaque visio-conférence m’aident à recharger mes batteries pour donner le meilleur de moi-même». Il faut aussi souligner tous les impacts écologiques et climatiques.

À votre avis, l’entreprise marocaine est-elle prête à réussir une telle transition sachant que le télétravail n’est pas encore cadré par la loi ?
Sur le marché marocain, les entreprises et les télétravailleurs ont fait preuve d’agilité durant la période de confinement et la vitesse de s’y adapter a été remarquable et saluée par tous. Ceci dit, je reste convaincue que la pérennisation du télétravail nécessite beaucoup plus de réflexion et de moyens que ceux déployés en temps de crise. L’entreprise marocaine a depuis longtemps résisté au télétravail pour plusieurs raisons, principalement l’absence d’une définition juridique et d’une réglementation régissant la relation employé-employeur, mais cela ne l’a pas empêchée, en cette période de crise, de dépasser certains paradigmes relatifs à la confiance envers les télétravailleurs et toute la nuance entre la liberté et la flexibilité que le télétravail pourrait engendrer. À mon avis, le processus de gestion du changement lié à la pérennisation du télétravail peut sembler simple, mais s’il n’est pas géré correctement, il peut entraîner des problèmes et des risques juridiques qui sont multiples. J’en cite la manipulation des données à caractère personnel quoiqu’elles ne soient pas vraiment en frottement juridique avec le télétravail, mais cela risque d’entrer en litige avec des clients qui ne palpent pas concrètement le cadre juridique ou organisationnel pouvant les rassurer et les protéger. Je ne suis pas en train de dresser un tableau noir, mais je tiens simplement à souligner l’importance d’instaurer incessamment le cadre nécessaire pour protéger toutes les parties prenantes à l’ère du télétravail. Pour le moment, le Code du travail marocain ne prévoit aucune clause et ne précise pas les modalités et les conditions de sa mise en œuvre. Mais au-delà de la législation, pour réussir la transition vers la pérennisation du télétravail, tout un écosystème doit s’adapter et s’orienter dans la même vision. Les entreprises sont censées prévoir les conventions collectives nécessaires et les protocoles mettant au clair les droits et engagements de chaque partie prenante. Les compagnies d’assurances doivent aussi jouer le jeu et revoir la structure technique et juridique de leurs produits ainsi que les modalités de gestion de sinistres surtout ceux faisant l’objet de contrats sociaux comme les polices d’accident de travail et reconsidérer le contexte socio-professionnel du télétravail pour ré-ajuster les conditions générales et particulières. Les garanties d’aujourd’hui pourraient facilement devenir les exclusions de demain si on pérennise le télétravail sans anticiper en matière de couvertures en assurance en général. De manière globale, tout l’écosystème doit être holistique sans oublier de prévoir le principe de la réversibilité au niveau de tous les dispositifs, car les effets d’entraînement du retour au bureau pourraient être encore pires affectant négativement la rétention et la productivité.

Quelles conditions faut-il réunir pour réussir la pérennisation du télétravail ?
Je pense que la première condition à avoir est la confiance. La gestion des télétravailleurs peut être délicate, car ils doivent être convaincus que leur manager pense qu’ils travailleront aussi dur qu’ils le feraient dans un bureau. La deuxième condition n’est autre que l’obligation de réinventer le style de management. Les entreprises doivent accompagner les managers à adopter un management par objectif, adapter leurs rituels managériaux et favoriser un environnement d’autonomie et de co-responsabilité. Pour dépasser le paradigme de la présence physique et être capable de créer la proximité virtuelle, les managers doivent aussi apprendre à écouter les signaux faibles et corriger les dérives possibles du télétravail avec une posture de contrôle, certes, mais avec bienveillance. Il faut garder à l’esprit que les entreprises auraient de moins en moins recours au contrôle si elles s’investissent bien à l’avance dans l’autonomisation de leurs collaborateurs. Je pense qu’il est important aujourd’hui de préserver le collectif, maintenir le lien social dans un contexte virtuel, entretenir la culture d’entreprise, amplifier le sens d’appartenance et, surtout, développer les compétences y compris celles liées au télétravail. Il faut aussi réinventer la communication, dépasser les paradigmes et fausses croyances qui entachent les bienfaits réels du télétravail et créer régulièrement des espaces de partage et instances d’écoute pour anticiper les catastrophes. Bref, il faut s’investir dans une démarche d’amélioration continue. Le télétravail doit se réinventer au gré des évolutions, mais il est condamné à être le ré-interrogé pour assurer une pérennité en phase avec les exigences de la rentabilité et les aspirations de flexibilité de tout l’écosystème dans lequel il baigne.

Quels sont les secteurs d’activité pour lesquels le télétravail ne correspondra pas ?
Les secteurs les mieux adaptés au télétravail sont ceux équipés par les nouvelles technologies d’information et de communication et généralement orientés vers les services. Le télétravail n’est pas très adapté à certains secteurs comme l’agriculture, la construction et le BTP ou encore les industries et spécialement les industries lourdes où la présence physique des employés est nécessaire. Personnellement, pour ne pas tomber dans le piège de la généralisation et pour rester équitable et donner la chance à une population plus large de profiter des bienfaits du télétravail, je préconise une démarche orientée métier et famille socio-professionnelle. L’éligibilité au télétravail pourrait être une équation résultante de plusieurs paramètres, notamment le secteur d’activités, la définition du métier, les missions et tâches, les exigences du poste en termes de contact avec les autres collègues ou clients, les contraintes de confidentialité, les équipements utilisés, la sécurité de l’employé et bon nombre d’autres critères. Il est donc recommandé de lister tous les métiers de l’entreprise et d’étudier l’opportunité, au cas par cas, de l’éligibilité au télétravail. Ceci est censé alimenter les conventions collectives et les protocoles de gestion. Quoique cela risque de ne pas s’appliquer à tout contexte, je citerais en marge quelques professions et fonctions qui peuvent généralement être envisagées pour le télétravail : développeurs en informatique, web designers, analystes financiers, … Je pense aussi que les métiers de la relation client sont particulièrement très adaptés au télétravail. Ce sont des fonctions qui, moyennant des protocoles solides d’accord avec les clients incluant toute la protection des données, restent indépendantes de l’emplacement de l’exercice de la fonction. Tout ce qu’il faut pour réussir sa carrière est un ordinateur, un logiciel d’appel ou de Chat, une connexion professionnelle sécurisée et d’excellentes compétences en service client et vente en ligne sans oublier le sourire qui traversent toutes les infra réseaux télécoms pour se faire ressentir à l’autre bout de ligne. 

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