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«Nous travaillons main dans la main avec le Maroc»

«Changer les lois et éliminer les obstacles à l’autonomisation économique des femmes», c’est l’intitulé d’un dernier rapport réalisé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Comptant parmi les principales chevilles ouvrières derrière la réalisation de ce document, le chef du Programme MENA-OCDE sur la compétitivité, Carlos Conde apporte un éclairage sur les principales conclusions de ce document. Il explique également les réalisations du Maroc en matière d’autonomisation économique des femmes.

«Nous travaillons main dans la main avec le Maroc»
Carlos Conde.

Le Matin : L’OCDE vient de rendre public un rapport appelant à «Changer les lois et éliminer les obstacles à l’autonomisation économique des femmes» dans la Région MENA. Y a-t-il un lien à faire entre ce nouveau rapport et les notes réalisées par l’OCDE sur l’impact du coronavirus Covid-19 sur la région MENA et sur le Maroc ?
Carlos Conde : Il est essentiel de dresser les liens entre l’autonomisation économique des femmes et l’impact de la crise du coronavirus Covid-19. Comme dans le reste du monde, les femmes dans la région MENA ont été touchées de manière disproportionnée par la crise. Elles ont été en première ligne de la réponse sanitaire (elles représentent 79% du personnel infirmier dans la région), et ont dû en parallèle endosser la charge accrue de travail domestique non rémunéré durant la période de confinement en raison de la stigmatisation sociale et des lois sur la famille.

Quel est, selon-vous, le rôle joué par les femmes dans la lutte contre la pandémie ?
La crise du coronavirus Covid-19 a souligné le rôle essentiel que jouent les femmes dans la vie économique et sociale des pays de la région MENA. Celles-ci ont été le fer de lance d’initiatives communautaires de soutien à la communauté, qui ont parfois mené à la création de nouvelles micro-entreprises de prestation de services, ce qui souligne un important potentiel d’innovation. C’est aussi grâce au lobbying des femmes que les gouvernements ont adopté des mesures phares en matière de protection des violences. Par exemple, l’Égypte a ouvert huit nouveaux foyers pour accueillir les femmes et les enfants et leur fournir une assistance sociale et juridique et le Maroc a mis en place une plateforme pour permettre aux femmes de signaler les actes de violence en ligne.
Cela rappelle que les femmes constituent une force sans laquelle aucune reprise durable ne pourra être possible. Elles sont «créatrices de changement» dans le processus de reprise. Il est nécessaire de lever les obstacles qui persistent et de leur permettre de prendre la place qui leur revient dans l’économie et dans les rôles de direction dans la région. Nous constatons notamment la persistance de cadres légaux discriminatoires et le déficit de mise en œuvre des lois porteuses de progrès en termes d’égalité des genres. Ces tendances représentent des obstacles particulièrement sérieux qui doivent être redressés afin de pérenniser les efforts d’autonomisation économique de la femme.

Le rapport dont vous parlez («Changer les lois et éliminer les obstacles à l’autonomisation économique des femmes») souligne que la trajectoire de la région MENA vers une plus grande autonomisation économique des femmes est claire mais complexe. Comment ? Et quelles sont les autres principales conclusions de ce rapport ?
Premièrement, d’importantes avancées sont notables, notamment en matière d’éducation (les filles ont rattrapé les garçons à tous les niveaux d’éducation en termes d’inscription et de performances, et certains pays dépassent la moyenne de l’OCDE concernant les femmes diplômées dans les matières scientifiques et technologiques. De nombreux pays ont réformé leurs Codes du travail pour accroître l’accès des femmes à des emplois de qualité et interdire les discriminations salariales. Plusieurs pays MENA ont également mis en place des mécanismes de protection sociales en faveur des travailleurs vulnérables. Néanmoins, ces avancées peinent à se traduire concrètement sur le marché du travail. Le taux de participation active des femmes reste parmi les plus bas au monde, à 20%. Les femmes sont également plus fortement touchées par le chômage : on note ainsi un écart de 12 points de pourcentage entre le taux de chômage des femmes et des hommes. Lorsqu’elles travaillent, les femmes sont généralement surreprésentées dans les emplois précaires, et moins bien payées que les hommes. Cela peut s’expliquer par la combinaison de plusieurs facteurs dans la région MENA : des cadres juridiques discriminatoires, la prévalence de normes sociales conservatrices, une charge de travail domestique non rémunéré qui continue à reposer exclusivement sur les femmes, le manque d’attractivité du secteur privé pour les femmes, etc.

Qu’en-est-il plus particulièrement du cas du Maroc ?
Il est particulièrement nécessaire de souligner que l’autonomisation économique des femmes fait partie d’une transformation économique régionale plus large. La composante genre est l’une des pierres angulaires de la construction d’un nouveau modèle économique fort d’un secteur privé innovateur, du soutien à la création d’emploi et d’une intégration économiques dans les chaînes mondiales – toujours dans une optique d’inclusion. Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les travaux de la Commission spéciale sur le développement économique présidée par Son Excellence l’ambassadeur Chakib Benmoussa, et nous sommes reconnaissants d’avoir eu l’opportunité de contribuer à ces travaux. En effet, c’est un nouveau modèle de développement et de croissance qu’il faut penser, et la position de l’OCDE est nette : ce modèle doit faire de l’égalité des sexes l’un des axes essentiels de l’action publique.
Dans le cadre du rapport institutionnel privilégié établi par le Programme pays Maroc, nous travaillons main dans la main avec le Maroc. Nous notons d’importants progrès, à l’instar de la garantie du principe de non-discrimination présente la Constitution de 2011. Le pays a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), malgré des réserves sur certains articles, et a également adopté différentes normes internationales relatives au droit des femmes en matière de travail et de protection de la maternité. Le champ des citoyens bénéficiant des prestations sociales a été élargi pour inclure des régimes spécifiques pour les travailleurs domestiques et les femmes vivant en milieu rural. Néanmoins, des obstacles de taille demeurent, tant du point de vue économique que vue normatif. Au Maroc, 21% des femmes sont actives, contre 70% des hommes. Les femmes sont également plus sujettes au travail informel et dans les secteurs vulnérables que les hommes. Il est absolument primordial de maintenir le dialogue sur ces inégalités et de penser l’autonomisation des femmes de manière multilatérale, en ce qu’elle représente un défi économique, juridique et sociétal.
Nous sommes fiers de travailler avec le gouvernement et la société civile marocaine, aussi bien au niveau bilatéral que régional. En outre, dans le cadre de la deuxième phase du Programme pays Maroc, nous coopérerons avec le ministère de la Solidarité, du développement social, de l’égalité et de la famille sur la thématique de l’autonomisation économique. Nous nous réjouissons particulièrement de la mise en place du Programme national intégré d’autonomisation économique des femmes et des filles à l’horizon 2030. Cette ambitieuse stratégie pose les bases nécessaires à la pérennisation des principes d’égalité des genres, et sa mise en œuvre minutieuse sera une priorité lors des années à venir. L’OCDE met sa pleine expertise aux côtés du Maroc pour atteindre les objectifs.
 
Le document en question évoque également des pistes de changement dans les pays. Quels sont les facteurs de réussite de ces changements et réformes enclenchés en matière d’autonomisation économique des femmes au Maroc ?
Les facteurs de réussite ont été diagnostiqués et les données sont disponibles. Malgré la persistance d’un débat social, la comparaison de plusieurs pays MENA nous montre que les actions décidées vont dans la même direction, à des vitesses différentes cependant. Ce rapport souligne l’importance de leur mise en œuvre complète et réfléchie. Il offre des pistes concrètes visant à éviter les obstacles de mise en œuvre observés par le passé. Il comprend notamment une série de principes visant à soutenir l’action des autorités publiques et de la société civile, se basant notamment sur l’importance de l’adhésion aux normes internationales, la construction de bases de données fiables, l’échelonnage des politiques en vue d’une réforme juridique progressive, la lutte contre les normes sociales restrictives, etc. La liste complète des facteurs de réussite est disponible dans le rapport qui est disponible sur notre page web en anglais, français et arabe. La continuité de notre collaboration et la mobilisation des responsables politiques, experts et membres de la société civile seront primordiales pour la dissémination et la mise en œuvre des conclusions du rapport. Ainsi, j’invite vivement les parties prenantes à le lire et maintenir un dialogue multilatéral dynamique. 


Propos recueillis par Brahim Mokhliss

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