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«Il faut continuer à soutenir, avec sérénité, les efforts de l’État, renforcer la communication et rassurer les citoyens»

En attendant le lancement de la campagne de vaccination nationale, les préparatifs vont bon train, certes, mais beaucoup de citoyens s’interrogent sur ce retard, alors que plusieurs autres pays ont déjà commencé à vacciner leurs populations. Le Maroc a su gérer la pandémie de la Covid-19 avec beaucoup d’efficacité, on note également une certaine stabilité, voire baisse, des statistiques liées au nombre de cas de contamination, de décès et l’augmentation des guérisons. Le défi est maintenant de bien préparer la campagne de vaccination, expliquer le retard au grand public et surtout tenir compte de l’enjeu économique et social très important pour redonner espoir aux citoyens. Pour y voir plus clair et comprendre les enjeux de la situation actuelle, «L’Info en Face» a, une nouvelle fois, invité le professeur Jaafar Heikel, épidémiologiste, spécialiste des maladies infectieuses, pour un débat grand format dont voici les grands axes.

Campagne de vaccination : beaucoup d’interrogations sur le retard de lancement

En matière de vaccination, l’enjeu, quand on a dépassé le stade de l’innocuité et de l’efficacité, sur le plan théorique ou pharmacologique, on arrive sur le terrain. Dans les campagnes de vaccination de masse à travers le monde, c’est connu historiquement, d’un point de vue de santé publique et d’épidémiologie, que la logistique et l’opérationnel priment. «L’idée ce n’est pas d’avoir un vaccin, mais d’être capable de le produire, de garantir son acheminement jusqu’aux citoyens et pouvoir vacciner le maximum de gens. Donc, la logistique et le côté opérationnel sont cruciaux. Si on ne planifie pas à l’avance la logistique et l’opérationnel, on se retrouve dans des situations compliquées, qui existent d’ailleurs dans d’autres pays», indique l’expert. «Évidemment, il faut planifier l’arrivage, savoir si mon fournisseur a une capacité de production suffisante, connaître les dates et conditions de livraison, il faut déterminer l’échéancier temporel ! J’espère que cela a été fait parce que ça fait un mois que nous attendons le vaccin», note M. Heikel. Et de préciser toutefois que «la vaccination n’est pas une fin en soi, c’est un outil. Si on ne maintient pas les mesures barrières pendant quelques mois également, en même temps que la vaccination, la dynamique épidémique ne va pas fléchir.»

À quand l’arrivée du vaccin ?

«Pour être honnête, je ne sais pas. Chaque semaine, on dit que le vaccin va arriver. Est-ce un problème de production en amont, de livraison, de stockage, de distribution ? Est-ce que c’est un problème technique ? Non, les autorités chinoises ont publié le taux d’efficacité du vaccin de Sinopharm, qui est de 79% et AstraZeneca a démontré que ce taux varie entre 70 et 90%», lance l’expert. L’enjeu n’est donc pas au niveau de l’efficacité, insiste l’invité avant de noter que plusieurs millions de personnes ont été vaccinées par ces deux vaccins dans le monde. «Les résultats chez ces pays indiquent des effets indésirables mineurs, voire très simples, donc il n’y a pas de risques majeurs», explique-t-il. «Aujourd’hui, les professionnels de la santé au Maroc sont prêts, les centres de vaccination sont prêts, la population souhaite se faire vacciner, je n’ai pas de réponse sur le plan approvisionnement et logistique de terrain», précise-t-il. 
À la question de savoir si la non-participation du Maroc à la phase 3 des tests d’AstraZeneca aurait eu un impact sur l’obtention du vaccin, l’invité de Rachid Hallaouy répond : Quand vous participez à la phase 3 des tests, vous êtes prioritaires pour avoir des vaccins, oui. Mais je rappelle, par exemple, que pour Moderna, tous les pays du monde n’ont pas eu de volontaires, idem pour Pfizer et AstraZeneca. L’enjeu majeur reste l’efficacité reconnue mondialement du vaccin et l’octroi des autorisations nécessaires des autorités concernées. Aujourd’hui, je pense qu’il y a également un enjeu de management opérationnel, de logistique de terrain, de capacité à avoir les vaccins et à les délivrer le plus rapidement possible aux populations cibles, qui, je le rappelle, ont déjà été définies au Maroc. Il faut savoir que 60% de la matière première des vaccins à travers le monde provient de la Chine ou de l’Inde. L’enjeu est là ! La capacité de production et de livraison sur un échéancier déterminé avec des dizaines de pays qui font des demandes. Ce n’est plus une affaire uniquement sanitaire, il faut avoir le courage de le dire, il y a des enjeux économiques et politiques. Même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a un petit peu les mains liées par rapport aux décisions de commandes ou de livraisons. Il faut que nous soyons indulgents, il y a probablement plusieurs facteurs qui interviennent et qui expliquent la situation actuelle dans laquelle nous sommes.»

Freiner la dynamique épidémique

Aujourd’hui, la vaccination est cruciale et fondamentale, parce que c’est ce qui va permettre de modifier le visage épidémique de ce virus et de sa circulation, d’autant que le Maroc n’est pas à l’abri d’autres variants de la Covid, qui risquent de redonner une nouvelle dynamique épidémiologique. «Aujourd’hui, le Maroc est sur une bonne dynamique, puisque les indicateurs de gravité sont bons, c’est-à-dire que la létalité est toujours à 1,7%, le nombre de cas sous surveillance médicale chute, le nombre de cas graves n’est pas en augmentation exponentielle, ce sont de bons indicateurs. Mais par contre, le virus est toujours là, il continue à circuler... On aurait voulu commencer à vacciner le plus vite possible, sur 12 semaines, pour que d’ici à la fin du mois de juin, on voie les effets positifs de la vaccination, que le R0 chute de façons importante et qu’on puisse protéger les gens et revenir à une vie sanitaire, sociale et économique qui est cruciale pour nous», fait remarquer le professeur.
«Aujourd’hui, on se pose beaucoup de questions, quel que soit le vaccin. Chaque pays est souverain dans sa réglementation d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et des vaccins. Sinopharm, notamment, doit passer par une procédure de la Direction du médicament et de la pharmacie, le Laboratoire national de contrôle des médicaments. C’est la même chose pour AstraZeneca. La procédure a été accélérée pour ce dernier et pas pour le premier», indique M. Heikel. Par ailleurs, l’expert précise qu’il faut «mettre en place une stratégie de vaccino-vigileance pour surveiller les éventuels effets du vaccin, évaluer l’immunité, étudier les risques de contamination par d’autres variantes du virus, etc. Je souhaite vraiment qu’on ait des résultats satisfaisants, c’est magnifique pour mon pays, cela nous redonnera à tous l’espoir de revivre et permettra de relancer toutes les machines de développement», précise M. Heikel. 
L’invité rappelle qu’il est extrêmement important «de continuer à soutenir, avec sérénité, les efforts de l’État, mais il faut absolument qu’il y ait un effort de communication de la part des autorités et du ministère de la Santé pour expliquer la situation afin de rassurer les citoyens et de maintenir une crédibilité.» 

La vigilance encore et toujours ! 

Le Maroc enregistre, depuis quelques jours, une certaine stabilité, voire une baisse, des chiffres relatifs aux nouveaux cas de contamination à la Covid-19, au décès et une augmentation des taux de guérison. «Des indicateurs encourageants, mais à prendre avec précaution», indique M. Heikel. «J’entends dire très souvent que les chiffres ont baissé parce que les tests ont diminué. C’est faux ! Ce ne sont pas les tests qui ont diminué, mais la demande des tests qui a reculé», prévient l’invité qui insiste sur cette nuance entre la demande et le niveau de dépistage au Maroc. Pour lui, la capacité des autorités sanitaires, que ce soit dans le public ou le privé est toujours la même, mais c’est la demande qui a reculé. En témoigne aussi le nombre de cas graves et sévères qui arrivent dans les hôpitaux et qui continue à diminuer. «Malheureusement, beaucoup de citoyens se dirigent vers l’automédication et minimisent les risques de développer une forme grave de la maladie», alerte M. Heikel. Ce constat exige donc une remise en cause de la stratégie de prise en charge des malades et impose le maintien des efforts de communication sur la nécessité de se faire tester dès l’apparition des premiers symptômes. «Il faut renforcer la stratégie de dépistage, d’isolement et de traitement des malades pour réduire le circuit qui alimente la dynamique épidémique. Cela permet, entre autres, d’avoir une idée précise sur la prévalence du virus dans la population et donc une meilleure planification de l’opération de vaccination», insiste l’expert. Et de réaffirmer que la responsabilité et la conscience collective, que le comportement civique et citoyen des Marocains sont les déterminants de notre lutte anti-Covid.

Une bonne planification de la campagne de vaccination, la clé de réussite

Il est essentiel de maîtriser les informations scientifiques sur la pandémie, les étudier et les analyser pour avoir une planification adéquate qui tiendra en compte même les dimensions socio-économiques. «Il faut favoriser les zones où il y a le plus de risques de contagion et où il y a notamment plus de personnes âgées avec des maladies chroniques. Il faut utiliser les bons outils pour définir l’ordre de priorités, la bonne information pour prendre la bonne décision», indique l’expert. Pour lui, toutes les données et informations scientifiques disponibles devront être analysées avec objectivité et, surtout, en mettant en équation l’enjeu économique et sociétal. «Il faut trouver l’équilibre entre le scientifique, le politique, le social et l’économique. C’est un équilibre difficile à trouver, mais dont dépendra la réussite de ce combat contre la Covid-19», insiste le professeur. 

Souad Badri & Mohamed Sellam

 

 

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