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L’enfer des femmes et des enfants qui concassent des gravats au Tchad

À N’Djamena, des dizaines de femmes concassent 12 heures par jour, par 45 degrés de chaleur, des blocs de béton, de ciment ou de briques. Elles sont entourées d’une nuée d’enfants dépenaillés au pied des bâtiments modernes de la Cité internationale des affaires.

L’enfer des femmes et des enfants qui concassent des gravats au Tchad
Ces femmes se couvrent à peine le nez avec leur châle : l’inhalation de ces particules fines provoque «irritation oculaire», «rhinite, atteintes pulmonaires», voire «cancer».

Le regard vide d’Idjélé est comme figé en direction de l’horizon. Comme un robot, elle frappe avec un lourd marteau un petit morceau de béton qu’elle tient de l’autre main. Un miracle qu’elle ne se blesse pas. Ou le résultat d’une terrible routine...
Comme Idjélé, 38 ans, elles en paraissent 20 ou 30 de plus. Le visage recouvert d’une poussière blanchâtre qui leur rougit les yeux, les lèvres bouffies et craquelées par la sécheresse extrême, les doigts déformés et écorchés par le sable qu’elles raclent et tamisent pour récupérer le moindre caillou. Elles sont au cœur d’une sorte de cercle vertueux, s’il n’était pas tragique, de l’économie souterraine de ce Tchad classé par l’ONU troisième pays le moins développé au monde : des hommes achètent des gravats sur les chantiers de démolition et les revendent à ces femmes. Elles les concassent pour en revendre les morceaux à ceux qui n’ont pas les moyens de se payer du ciment pur ou du béton armé ; ces briquaillons sont ensuite amalgamés, pour les solidifier, à un peu de boue ou de ciment pour les murs d’une nouvelle demeure. «Après la mort de mon mari, militaire, je n’ai pas pu toucher sa retraite, je n’avais plus rien, alors c’est tout ce que j’ai trouvé pour nourrir mes enfants», lâche-t-elle. Mamadou Youssouf, 42 ans, pousse péniblement sa brouette faite de bric et de broc chargée d’une centaine de kilogrammes de gravats. Il les achète 1000 francs CFA (1,50 euro) la brouette et la revend aux femmes 2.000 (3 euros). Idjélé remplit des sacs de cailloux qu’elle cède entre 500 et 600 francs le sac (70 à 90 centimes d’euros) à des hommes qui viennent les charger sur leurs pick-up. Pour un bénéfice quotidien de 500 à 600 francs seulement : moins d’un euro. «Un enfant sur cinq n’atteint pas sa 5e année au Tchad et 40% souffrent d’un retard de croissance», selon la Banque mondiale qui estime à 42% la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Habiba croit se souvenir qu’elle a «entre 50 et 60 ans». Ses yeux sont rouges et larmoyants. Il suffit de taper «poussière de ciment» sur internet pour comprendre pourquoi les ouvriers des chantiers en Europe portent obligatoirement masques FFP2 et gants, quand ces femmes se couvrent à peine le nez avec leur châle : l’inhalation de ces «particules fines» provoque «irritation oculaire», «rhinite», «atteintes pulmonaires», voire «cancer». Ces femmes revendiquent tout fièrement cette «liberté». Personne ne vient leur réclamer quoi que ce soit, mais personne non plus ne leur vient en aide. Aucune ONG, aucune association. 

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