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Diplomatie : pourquoi le Maroc prône un multilatéralisme revitalisé

La semaine de haut niveau de la 79e Assemblée générale de l’ONU, qui s’est achevée le 27 septembre dernier, a été une occasion propice pour le Maroc de réaffirmer son engagement en faveur d'un multilatéralisme rénové et adaptable aux enjeux contemporains. En tant que membre actif des Nations unies, mais aussi de nombre d’instances et de groupements (Mouvement des non-alignés, Groupe des pays à revenu intermédiaire, UA, Ligue arabe…), le Maroc défend un système mondial basé sur le coopération, la concertation et l’effort collectif face aux défis auxquels est confrontée l’humanité. Comment se définit le multilatéralisme et pourquoi est-il si essentiel dans les relations internationales ? Quelles sont les menaces qui pèsent sur ses principes fondateurs dans le monde actuellement ? Et pourquoi est-ce une aubaine pour le Maroc et ses intérêts stratégiques ? L'expert en relations internationales Mohammed Badine El Yattioui nous apporte quelques éléments de réponse pour une meilleure compréhension des différentes dimensions de cette question.

Le multilatéralisme était au centre des discussions lors de la semaine de haut niveau de la 79e Assemblée générale des Nations unies, qui s’est tenue à New York du 22 au 27 septembre. Le Maroc, en tant que participant actif à cet événement international, se positionne comme un acteur clé du multilatéralisme. Cette approche constitue un pilier de sa politique étrangère, permettant au pays de renforcer sa présence sur la scène mondiale et de participer à la stabilité et au développement de sa région, et au-delà.

Les interventions et les différentes activités des représentants du Maroc lors de ce conclave international témoignent de cette orientation. Le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a ainsi souligné l'engagement du pays à revitaliser le système multilatéral en faveur de la paix, tout en promouvant un développement équitable et inclusif. Parallèlement, le ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l'étranger, Nasser Bourita, a plaidé en faveur d'un multilatéralisme renforcé, visant à offrir des solutions novatrices aux défis mondiaux contemporains.

Pour mieux comprendre l'approche du Maroc en matière de multilatéralisme et son importance pour les intérêts stratégiques du pays, nous avons sollicité l'avis de Mohamed Badine El Yattioui, expert en relations internationales et professeur d’études stratégiques au Collège de défense nationale des Émirats arabes unis.

L’importance de la coopération multilatérale pour le Maroc

Depuis son indépendance en 1956, le Royaume a érigé le multilatéralisme comme un des axes de sa politique étrangère. «Le Royaume a souvent été à l'avant-garde des forums et organisations multilatéraux. Son adhésion aux Nations unies (ONU) et son engagement actif dans des accords, tels que celui de Marrakech en 1994, illustrent sa détermination précoce à assumer un rôle significatif sur la scène internationale», souligne M. El Yattioui, précisant que le multilatéralisme constitue un cadre essentiel pour l'organisation des relations internationales et la coopération entre États. Dans un contexte mondialisé, caractérisé par l'intensification des échanges et la complexité croissante des interactions entre nations, il devient impératif de renforcer cette approche collective. Car, au-delà de sa dimension théorique, «le multilatéralisme représente une pratique concrète indispensable», indique cet universitaire.

Dans sa stratégie en faveur du multilatéralisme, le Maroc tire parti d’un atout majeur : son identité à la fois africaine et arabe. Cette dualité, comme l'explique notre expert, lui permet de renforcer sa position sur la scène internationale et de participer de manière proactive à divers forums multilatéraux, tels que la Ligue arabe et l'Union africaine. Dans la même optique, le Royaume se veut un véritable pont entre l'Afrique et l'Europe, s'affirmant comme un hub stratégique, notamment à travers l'Initiative atlantique, une démarche éminemment multilatérale ambitieuse. «Cette approche permet au Maroc d'affirmer ses intérêts nationaux tout en nourrissant son ambition de devenir une puissance régionale, un objectif qu'il réalise progressivement grâce à des succès diplomatiques et économiques au fil des années», relève-t-il.

Souveraineté et multilatéralisme : un dilemme complexe

Bien que les engagements multilatéraux puissent apporter des bénéfices en matière de coopération et de stabilité, ils posent également des défis importants pour la souveraineté des États. «La conciliation entre engagements multilatéraux et souveraineté constitue une problématique délicate. Cette complexité est exacerbée par une mondialisation marquée par des crises et des évolutions multiples, ce qui impose aux États de trouver un équilibre entre leur aspiration à la souveraineté totale et l’exigence de négociations et de compromis inhérente au multilatéralisme», confirme M. El Yattioui, soulignant l’impératif de jongler entre la défense des intérêts nationaux et les engagements du multilatéralisme. Pour le Maroc, cette tension s'illustre particulièrement dans la question du Sahara. «Mais le Maroc a toujours su tirer parti des institutions multilatérales pour sauvegarder sa souveraineté, défendre ses intérêts et garantir sa sécurité», note-t-il.

Des menaces sur les principes fondateurs du multilatéralisme

Le contexte mondial actuel fait peser des menaces réelles sur le multilatéralisme. Plusieurs crises majeures, comme la pandémie de Covid-19, les crises économiques et financières ou les répercussions de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, mettent à rude épreuve ses principes fondateurs. À cela s’ajoutent les événements récents à Gaza qui exacerbent la tension dans des zones comme la mer Rouge, et ce dans un contexte de conflit actif entre le Liban et Israël, avec l’implication du Hezbollah. «Ces crises, qu'elles soient sanitaires, économiques ou géopolitiques, soulignent l'urgence d'une coopération multilatérale renforcée et d’un dialogue accru entre les différents acteurs», affirme notre expert.

D’autres événements récents, tels que le Brexit, révèlent aussi une tendance chez certains pays occidentaux à se détourner de leurs engagements multilatéraux. «Les puissances occidentales, qui ont longtemps été à l'avant-garde du multilatéralisme, ont tendance à se replier sur elles-mêmes», s'inquiète-t-il. De plus, l'émergence de nouveaux acteurs globaux comme la Chine, l'Inde, ou le Brésil redéfinit le paysage international et remet en question le modèle de multilatéralisme établi par les grandes puissances. «Nous assistons à l'émergence de formes de multilatéralisme alternatives, à l’exemple des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui bousculent l’ancien modèle et cherchent à se positionner dans ce nouvel équilibre mondial», signale M. El Yattioui.

La crédibilité de l’ONU en question

L'Organisation des Nations unies reste un acteur central des relations internationales, mais sa crédibilité est mise à mal par les difficultés à s'adapter aux réalités actuelles. «Le Conseil de sécurité, dominé par cinq membres permanents, peine à répondre efficacement aux crises contemporaines», critique l'expert. Lorsque l'un des membres permanents s'implique directement ou indirectement dans un conflit, comme c'est le cas avec la Russie en Ukraine ou le soutien des États-Unis à Israël dans le conflit à Gaza, l'ONU se retrouve paralysée, ce qui nuit à sa crédibilité et ternit son image, déplore-t-il. Pourtant, la dynamique actuelle du multilatéralisme laisse présager que celle-ci continuera d’occuper une place centrale dans un monde où les enjeux sont de plus en plus intriqués. Selon notre expert, ces formes de coopération pourraient toutefois évoluer vers de nouvelles configurations de plus en plus régionales.

«Le Maroc est appelé à jouer un rôle clé dans cette dynamique, grâce à sa position géographique privilégiée et à ses nombreux atouts», assure M. El Yattioui. Dans ce contexte, le Royaume pourrait renforcer son influence au sein de diverses instances multilatérales, qu'elles soient africaines, arabes ou atlantiques. Il pourra également se démarquer sur la scène méditerranéenne en participant activement aux discussions sur des questions cruciales et des défis communs, notamment en matière de commerce, de migration et de sécurité. Compte tenu de l’évolution de la scène internationale, «le Maroc aura une occasion en or de s’investir dans ce nouveau multilatéralisme», conclut l'expert, tout en soulignant que, malgré la persistance de certains défis, la conjoncture actuelle recèle de nombreuses opportunités.
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