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Existe, existe pas ?

Profession, diplôme, revenu, accès à une école «haut de gamme»… autant de critères sur lesquels se sont basés les chercheurs du centre d'études CESEM pour définir une classe moyenne dans le contexte marocain.

Existe, existe pas ?
Il relève que contrairement à la forme générale que prennent aujourd'hui la plupart des sociétés dites avancées, le Maroc est bien une société en sablier. Une société dont le centre, représentant la classe moyenne, est en quelque sorte étranglé

La classe moyenne, c'est qui ? C'est à cette épineuse question que le Centre d'études économiques, sociales et managériales (CESEM), a essayé d'apporter des éléments de réponse. Pour ce faire, il a lancé une étude qualitative à laquelle ont pris part plusieurs chercheurs marocains et étrangers. Partant de statistiques officielles ou recoupées et de plusieurs entretiens, cette étude «a permis d'appréhender la problématique des classes moyennes à travers les chiffres et les valeurs», précise Driss Ksikes et d'autres chercheurs dans leur présentation de l'étude. Le choix de cette approche (mêlant le statistique et le non-statistique) trouve sa justification, expliquent-ils, dans la nature même des couches moyennes que les chercheurs en sciences sociales ont du mal à identifier comme un groupe homogène, porteur d'un projet social, voire d'une culture monolithique. En préférant la désigner au pluriel, les chercheurs du CESEM rejoignent les conclusions du rapport du Cinquantenaire, produit en janvier 2006, qui parle d'«une série de couches et de strates mal identifiées… (qui) n'ont pas donné au pays une véritable classe au sens de strate homogène, avec une conscience d'appartenance commune qui aurait pu jouer un rôle moteur dans la dynamique sociale».

De prime abord, il semble que «nul doute aujourd'hui que, au regard des quelques données que l'on peut rassembler sur les niveaux de revenus et de diplômes, le Maroc est bien une société en sablier », déduit l'anthropologue Michel Péraldi. Contrairement à la forme générale que prennent aujourd'hui la plupart des sociétés dites avancées, la société marocaine est plutôt « une société dont le centre est en quelque sorte étranglé, goulot étroit d'articulation entre un bas, monde de pauvreté et de précarité, largement évasé, et un col étroit, celui des riches et des nantis, qui forme la partie haute. Entre les deux, ajoute-il, un étroit goulot, celui de ces «couches moyennes», dotées de revenus réguliers sans être riches, à l'abri de la précarité sans pour autant posséder ». Cette conclusion est faite sur la base de plusieurs indicateurs de classement social. Ainsi, par profession, «on peut regrouper des mondes socioprofessionnels dont les revenus sont grosso modo assez stables, qui vont des catégories d'employés et d'ouvriers des grandes entreprises au monde de la petite fonction publique, englobant certaines catégories de petits cadres». Toutes catégories confondues, elles constituent un peu plus de 20 % de la population active marocaine, selon les chercheurs qui s'appuient sur des chiffres du recensement publiés par le Haut commissariat au plan (HCP). Par niveau de diplôme, critère plus expressif que la profession, en 2004 ils étaient 670 000 à avoir un niveau supérieur ou égal au bac.

Un autre critère encore discriminant aux yeux des chercheurs: l'accès à une école «haut de gamme». En 2008, 9 000 élèves marocains étaient inscrits, toutes classes confondues, dans un des établissements de l'AEFE (Agence de l'enseignement français à l'étranger), les plus prisés et désirés par les parents marocains. 22 4567 étaient inscrits dans des écoles supérieures privées (toutes gammes confondues). Par ailleurs, le nombre de lauréats issus des instituts et écoles supérieurs marocains publics, censés faire fonctionner l'ascenseur social, ne dépasse pas 37 398 jeunes cadres (ingénieurs, managers, journalistes…). Le recours à ce critère trouve sa justification dans le fait que les chercheurs considèrent comme faisant partie de la classe moyenne celui qui a « la capacité de faire, pour soi ou pour ses enfants, un mouvement de promotion sociale ». Quoi qu'il en soit, affirment-ils, «c'est un univers socialement flou, qui va des petits fonctionnaires, des employés du secteur privé, jusqu'aux cadres, publics et privés, formant une classe moyenne, sauvée de la précarité, traversé de frontières très précises, de barrières élevées, entre ceux qui ont des moyens de mobilité sociale et d'amélioration significative de leurs conditions de vie, et ceux qui ne les ont pas ». Bien plus, tiennent à préciser les chercheurs, à revenu et statut égaux, certains auront des moyens de mobilité sociale que d'autres n'auront pas, et ce, en fonction de la situation du conjoint, du nombre d'enfants à charge, du poids des dépendances familiales, du lieu de résidence et de l'accès, outre le salaire, à des revenus rentiers (primes, bénéfices extérieurs…).

Conscient du fait qu'«il serait réducteur de penser qu'un groupe social ne se définit que par ses composantes sociodémographiques », Michel Peraldi et Pierre Vergès, participant à l'étude, ont essayé de compléter l'approche sociodémographique par une analyse des mythes et des valeurs attachés au nom des classes moyennes. Leurs interlocuteurs n'étaient rien d'autres que ceux qui, par leur métier ou leur rôle dans la société, sont directement confrontés à ces groupes sociaux : des banquiers pourvoyeurs de crédits, des patrons de presse soucieux de leur lectorat, des leaders politiques à la recherche d'un électorat, des promoteurs immobiliers…. A cet égard, « il y a un large consensus implicite entre les interlocuteurs pour considérer que, lorsqu'on parle de classe moyenne, on désigne un phénomène émergent, un groupe en formation, en devenir, voire même, pour certains, notamment chez les acteurs politiques, un groupe encore inexistant ou presque et dont on attend l'avènement ».

Certes, le revenu n'est qu'un critère parmi d'autres, mais il n'en demeure pas moins que c'est celui qui tient plus l'attention. Pour les chercheurs du CESEM, il estime qu'un ménage qui gagne entre 11.100 et 14.450 DH par mois est à peine dans la classe moyenne, alors que s'il gagne entre 14.450 et 16.650 DH par mois, il est moyennement classe moyenne. Mais celui qui fait partie résolument de cette classe est le ménage touchant entre 16.650 et 20.000 DH par mois. A cet égard, pour ceux qui ont un revenu mensuel plafonné à 20.000 DH, ils font partie, selon les chiffres de la CNSS, d'à peine 4% des happy few marocains. Dans l'attente des résultats d'une enquête interministérielle en cours, la définition ou encore l'identification de la classe moyenne marocaine reste une tâche difficile. les banques peuvent contribuer à l'émergence et à l'épanouissement de la classe moyenne à travers les différents produits et services qu'elles proposent à cette frange de la société. Ainsi, les crédits bancaires doivent être adaptés avec des taux encourageants (crédits de logement et crédits de consommation). D'autre part, la réforme fiscale en cours devrait avoir un effet positif sur les ménages et toute politique de maîtrise de l'inflation leur permettra de préserver leur pouvoir d'achat. Enfin, les politiques publiques dans les domaines des infrastructures, des transports urbains, de la protection sociale, de l'éducation participent de l'émergence d'une telle catégorie sociale. la Santé est un levier important sur lequel il faut agir pour alléger les dépenses des familles marocaines. Ainsi, la Stratégie nationale relative à la santé prévoit plusieurs actions dont le but est de rendre les services sanitaires accessibles à tous les citoyens et d'alléger les charges des ménages. De cette façon le financement solidaire des frais de soins allégerait les charges des ménages pauvres et moyennes. Une politique de dépistage et de prise en charge des maladies chroniques, empêcherait le basculement vers la pauvreté. L'encouragement pour adopter les médicaments génériques permettrait une large accessibilité aux médicaments. Il faut agir sur les salaires et sur le pouvoir d'achat des citoyens. Au cas contraire, une frange de la population marocaine pourrait bien basculer vers la pauvreté.

Nul n'ignore que les frais de logement dépassent parfois les 70% du total des dépenses d'un ménage marocain. Une situation qui rend difficile la vie de millions de Marocains et tire vers le bas un bon nombre d'entre eux. Le marché de l'immobilier n'assure pas aujourd'hui de logements adaptés au pouvoir d'achat de la classe moyenne. La part des dépenses de l'habitat est censée s'élever à 35% du total des dépenses des ménages. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui : les dépenses mensuelles des ménages relatives au logement sont en moyennes de 5500 DH. Par conséquent, le département de l'Habitat se penche actuellement sur la conception de nouveaux projets (appartements et villas économiques). Mais pour relever cette gageure, il faut encourager le partenariat public-privé, mettre en place des mesures fiscales incitatives et renforcer le rôle des fonds de garantie. Il faut un travail de fond pour permettre l'émergence de la classe moyenne marocaine du fait que cette catégorie sociale est aujourd'hui rongée par plusieurs inquiétudes, à savoir, entre autres, l'insécurité, la corruption, le manque de transparence, l'incivilité, et la pollution. La précarité s'installant, les ménages de la classe moyenne marocaine basculent vers la pauvreté. A l'intérieur de cette classe sociale, on constate que le modèle en marche ne permet pas la mobilité sociale de ses enfants. Ainsi, il faut agir sur l'éducation puisque les pays disposant de classes moyennes fortes ont basé leurs politiques sur le capital humain. C'est également le cas des pays d'Amérique latine. Hormis la santé et le logement, l'éducation est le troisième levier sur lequel il est important d'agir pour aider à l'émergence de la classe moyenne.

En effet, la médiocrité du système éducatif national pousse les familles marocaines à opter pour l'enseignement privé qui coûte cher faute de mesures fiscales stimulantes. A une certaine époque, au Maroc, l'école a joué le rôle d'ascenseur social, notamment dans les années 1960 et 1970. Mais, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Moins de 10% seulement des élèves marocains atteignent l'enseignement supérieur. C'est l'un des taux les plus bas dans le monde, d'autant plus que ce taux devrait s'élever à 30% ou 40%.

Il est temps, aujourd'hui, de reconnaître cet échec et de rompre avec le passé. L'enseignant doit être l'élément clé de la réussite de toute réforme. C'est pourquoi, il convient de le mettre à niveau, de le motiver et de lui rendre sa dignité. Il est également important d'encourager l'apprentissage des langues étrangères et d'entreprendre une profonde réforme pédagogique. Les frais du logement, de la santé et de l'éducation alourdissent les charges des ménages marocains, d'où l'urgence d'agir sur ces trois leviers. Les chantiers de réforme de ces trois secteurs sont en cours. Que propose t-on à cette classe moyenne pour la faire sortir de l'ombre ? Les avis divergent. Pour certains, il faut agir sur les salaires et sur l'aspect fiscal notamment la révision de l'IR et l'IS. Pour d'autres, l'émergence de la classe moyenne est plutôt une question de bonne gouvernance et de transparence.

Pour éviter à cette classe moyenne davantage de frustrations, il faut instaurer un système d'égalité des chances. L'idée de créer un système de production économique performant et innovant reste importante car sans une croissance économique régulière, on ne peut imaginer une floraison de cette catégorie sociale. Le débat autour de la classe moyenne au Maroc est donc à peine entamé.
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Une préoccupation internationale

Le devenir de la classe moyenne est une préoccupation internationale. En effet, même les pays les plus développés se posent aujourd'hui des questions sur l'avenir de leurs classes moyennes.
Au Maroc, il ne s'agit pas du même schéma du fait que le Royaume est un pays en transition avec un niveau de croissance économique limité. Aussi, parler aujourd'hui d'une classe moyenne comme entité sociale homogène en se basant sur les revenus n'est pas une approche correcte. Il n'y a pas
-Il n'y a pas de statistiques sur les revenus au Maroc et nous sommes très mal outillés pour parler de revenus. Il y a également une polarisation excessive des salaires chez nous ;
-Le point de départ pour nous serait de créer un système de production économique performant ;
-Les politiques publiques doivent être orienté vers les secteurs innovants créateurs de richesses et de valeur ajoutée ;
-Les réformes fiscales que contient le projet de loi de Finances 2009 visent entre autres à préserver et consolider le pouvoir d'achat des couches moyennes.

Pour un plan d'épargne Action

La classe moyenne peut servir de vecteur de financement de croissance économique. Dans ce cadre, la bourse de Casablanca est en phase de mettre en place et développer certains outils permettant le développement de l'épargne public, dont :
- un plan pour vulgariser la culture de la bourse ;
- la mise en place d'un « Marché de la croissance » destiné aux moyennes entreprises ;
- le lancement d'opérations de «stock split» de la valeur nominale visant à rendre les valeurs plus accessibles à la petite épargne ;
- un plan d'épargne Action (PEA), outil permettant de promouvoir l'actionnariat auprès de la classe moyenne et dont la concrétisation nécessite une volonté politique prononcée.
Concernant l'aspect fiscal, il est prôné d'agir sur la fiscalité afin de renforcer le pouvoir d'achat des ménages.
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