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«La crise en Europe : quelles retombées sur l'économie du Maroc ?»

La crise en Europe est telle que la Commission européenne a présenté récemment une proposition explosive : dés 2011, un examen de l'UE en amont des budgets nationaux pour s'assurer que les déficits resteront sous contrôle. En d'autres termes, les projets de budgets nationaux devraient dorénavant être soumis à la Commission, puis examinés par les ministres européens des Finances qui donneraient leur avis. Et ce, avant même d'être soumis aux Parlements dans les Etats concernés. Cette coordination précoce au niveau européen telle qu'elle est présentée et qui selon les eurosceptiques porte atteinte à la souveraineté des pays est en fait un contrôle qui permettrait à l'avenir d'éviter les dérapages comme celui de la Grèce qui a mis en danger l'Europe toute entière. Entretien sur cette crise sans précédent et ses retombées sur l'économie nationale.

«La crise en Europe : quelles retombées sur l'économie du Maroc ?»
Youssef Lahrech
ÉCOPLUS : Pour faire face à la crise, le conseil de l'U.E, dites-vous, a adopté des mesures de relance budgétaire en privilégiant le rétablissement du fonctionnement des marchés de crédit de la région euro et en évitant toute forme de protectionnisme. Il a également appelé à la transparence et la régulation des marchés, à la lutte contre la fraude fiscale, autant de chantiers pour le gouvernement grec.

Comment expliquez-vous la crise grecque ?

Youssef Lahrech :
La Grèce se trouve confrontée à de sérieux handicaps de fond qu'elle a enchaînés sur plusieurs années suite à la succession de plusieurs gouvernements : un système de retraite déraisonnablement généreux, un taux de chômage en croissance alarmante dû à un marché de travail paralysé, une pratique courante de la fraude fiscale, etc. Les déficits de la Grèce, depuis son entrée dans l'Union en 1981, ont coûté près de 250 milliards d'euros de subventions diverses, ce qui représente à peu près la dimension du problème actuellement posé. Le pays est spécialement ravagé par la fraude fiscale, vu que 77% de la population génère son revenu total ou partiel du produit des prélèvements des taxes. L'Etat grec connaît depuis les années 90 une dette proche du 100% du PIB et n'a pas consenti des efforts suffisants pour baisser son endettement.

Le déficit public s'accroît, durant ces dernières années, par 15% annuellement, ponctué par une décroissance économique. Au terme du premier trimestre 2010, les agences de notation ont baissé la note de la dette publique grecque à BB+, ce qui laisse présager que l'économie du pays se trouve dans une situation critique tout en considérant qu'il existe un risque élevé que cet Etat européen fasse faillite. Les taux d'intérêt demandés à l'Etat grec, et compte tenu de la note obtenue par les agences de notation à savoir BB+, sont actuellement fixés autour de 15% pour des emprunts à trois ans, ce qui est extrêmement élevé, engendrant une charge de la dette plus lourde et précipitant vraisemblablement le risque de la faillite du pays. Afin d'éviter ce mode de financement désastreux, le gouvernement grec est amené à recourir à des prêts des autres Etats de l'Union, du FMI ou des autres pays développés confrères.

Sans parler d'effets domino, on a traité les difficultés des pays membres du club Med comme les a appelés la presse allemande, en l'occurrence, l'Espagne et le Portugal qui connaissent les mêmes problèmes ?

La situation économique des autres pays de l'U.E., comme l'Espagne et le Portugal, n'est pas aussi confuse et alarmante que la Grèce, même si les taux d'intérêt qu'ils doivent payer pour le financement par obligations de leurs dettes publiques sont également en augmentation. Les deux ont vu leur notation se dégrader, en enregistrant AA pour l'Espagne et A- pour le Portugal. A priori, l'Espagne se trouve dans une situation tout à fait différente par rapport à la Grèce. Avant la crise, ce pays ibérique avait une dette publique faible, ne représentant que 60% de son PIB, tout en enregistrant un excédent budgétaire satisfaisant. Mais l'économie espagnole a accusé un fort recul de son PIB après la crise, cadencé par l'éclatement de son déficit budgétaire. Malgré ce constat préoccupant de sa situation économique, la dette espagnole s'est élevée à 54% en 2009, tandis que les prévisions de la Commission européenne sont de 66% en 2010 et 74% en 2011.

On a assisté à de fortes turbulences et spéculations autour de l'euro ces derniers mois. Comment expliquez-vous cette crise et ses conséquences sur les marchés boursiers ?

La monnaie unique européenne s'est rétrogradée depuis plusieurs mois, en relation avec la situation en Grèce, et ses pertes se sont aggravées ces derniers jours face au dollar. La crise, concentrée initialement sur les marchés obligataires, se transforme actuellement en crise de change sauf qu'il faut garder le sens de la mesure : l'euro s'échangeait à 1,18 dollar au moment de son introduction en 1999, et était tombé jusqu'à 0,82 dollar en 2000. Pourtant, ce repli actuel de l'euro constitue un soutien salutaire aux exportateurs européens, en permettant aussi à plusieurs pays de redresser partiellement leur balance commerciale, mais aucune règle ne peut formellement prédire jusqu'où se poursuivra cette décroissance de la monnaie européenne. Quant aux marchés boursiers, en dehors de l'U.E., la crise européenne est suivie de près par les investisseurs américains et asiatiques qui ne comprennent pas suffisamment le fonctionnement de la zone euro. De ce fait, le moindre dysfonctionnement inquiète sérieusement les investissements à court terme. Pour cette raison, une forme de panique s'est spécialement emparée des bourses européennes de peur d'un crash économique de la Grèce cadencé par une assistance financière insuffisante et très tardive de l'Europe. Les autres marchés mondiaux craignent, quant à eux, l'effet «boule de neige» si la panique s'installait à la suite de l'extrapolation de la crise grecque, dont l'économie représente 2% du PIB de la zone euro, à d'autres pays tels que l'Espagne, dont l'économie représente plus de 10% du PIB de l'U.E. Ces craintes sont notamment justifiées par l'augmentation des taux d'intérêt afférents à la dette espagnole; ce qui rendrait son endettement insoutenable.

Quelles sont les mesures adoptées par l'U.E pour éviter la crise actuelle et relancer son économie et quel impact sur la Grèce et l'Espagne ?

Pour arrêter la transmission de la crise grecque à d'autres pays de l'euro, l'U.E a adopté un plan de sauvetage s'élevant à 750 milliards d'euros. A la suite de l'approbation de ce plan, les taux d'intérêt ont fortement baissé sur les marchés destinés à l'acquisition des obligations portugaises, espagnoles ou irlandaises. Ce financement proposé dans le cadre du plan de sauvetage prévu par la Commission européenne ne sera pas forcément déboursé mais il représente une garantie, en cas de besoin, avec laquelle l'U.E s'apprêtera à résoudre les difficultés financières de sa crise. En fait, ce mécanisme a été déjà employé lors de la crise financière mondiale en octobre 2008 pour rassurer les marchés et sauver les banques européennes sans pour autant qu'il soit déployé. Les bailleurs de fonds de ce plan de sauvetage se répartissent comme suit : les Etats membres de la zone euro (en plus de la Pologne et de la Suède ayant souhaité se joindre à ce plan d'aide) fourniront 440 milliards d'euros, en fonction de leur quote-part au capital de la Banque centrale européenne (BCE). La commission avancera également 60 milliards d'euros complémentaires qui peuvent être déployés directement au profit des Etats qui rencontrent de graves difficultés susceptibles de compromettre le fonctionnement du marché intérieur ou la réalisation de la politique commerciale commune. Le FMI s'est engagé, quant à lui, à assurer le financement de 250 milliards d'euros restants, soit la moitié de la contribution de l'U.E.

Avec la baisse des salaires des fonctionnaires, le gel des retraites, la Grèce devra rétablir sa compétitivité par des ajustements de prix internes tout en œuvrant à relever son grand défi relatif à sa consolidation budgétaire. Ces ajustements budgétaires contribueront amplement à réajuster et réduire la dette grecque à partir de l'année 2013. Les mesures rigoureuses précitées, ponctuées par le soutien financier global de 110 milliards d'euros sur trois ans, permettront de relancer la croissance économique annuelle grecque, selon le FMI, en ramenant ainsi sa dette à 80% de son PIB en 2020 au lieu de 115% en 2009 et 149% prévue en 2013. Le gouvernement espagnol s'est engagé lui, à faire un ajustement de ses dépenses, à l'instar de la Grèce, en réduisant les salaires du secteur public sans pour autant augmenter les impôts. Cette initiative permettra à ce pays de réduire ses dépenses publiques de 5 milliards d'euros cette année et de 10 milliards d'euros l'an prochain. Selon les prévisions, l'application de son plan d'ajustement permettra de décroître le déficit espagnol par rapport à son PIB de 11,2% à 6% entre les années 2009 et 2011.

Nous connaissons les liens entre le Maroc et l'Europe. Quel sera l'impact de cette crise sur le Royaume ?

L'Europe est de loin le principal partenaire économique du Maroc. Les statistiques de l'Office des changes pour le mois de mars 2010 montrent que près de 60% des échanges de marchandises s'effectuent avec des pays européens, la France et l'Espagne en tête, que plus de 63% des recettes et près de 59% des dépenses sont libellés en euros. Notre économie devrait être touchée par l'impact de ces interventions sur l'évolution du taux d'inflation au niveau de la zone euro et du taux de change de l'euro, mais aussi des retombées des politiques budgétaires sur la demande agrégée et partant, sur la demande étrangère adressée à notre économie. La décision de la Banque centrale européenne (BCE) de racheter les emprunts d'Etats sur les marchés secondaires de la dette publique, ce qui constitue une rupture avec la stratégie poursuivie par la Banque jusqu'ici, préoccupe les marchés financiers actuellement.

Cette décision, qui intervient dans le sillage du plan européen de stabilisation de la zone euro et qui s'accompagne de la relance des opérations de prêts en dollars et de la réactivation des mesures exceptionnelles de liquidité que la Banque avait commencé à retirer, a pour but donc de soutenir les marchés financiers suite notamment à l'éclatement de la crise grecque. Ces interventions massives et le doute qui plane sur l'indépendance de la BCE suite à de telles décisions amènent les analyses à anticiper le retour des tensions inflationnistes au niveau de la zone euro. Une éventuelle exacerbation des tensions inflationnistes au niveau de la zone euro pourrait se propager à l'économie marocaine par le biais des importations (inflation importée) et induire donc une remontée du niveau général des prix. Le rapport sur la politique monétaire du mois de mars 2010 de Bank Al-Maghrib prévoit un taux d'inflation de l'ordre de 1,4% en moyenne pour les six prochains trimestres, en baisse par rapport aux prévisions du mois de décembre 2009 qui tablaient sur une inflation moyenne de 1,9%.

La crise grecque et les risques soulevés quant à la situation des finances publiques de pays comme l'Espagne, le Portugal ou encore l'Italie et les resserrements budgétaires qui s'en suivent, ainsi que les interventions de la BCE en vue de calmer les marchés financiers laissent entendre une recrudescence du choc défavorable de la demande adressée à l'économie marocaine et une exacerbation des tensions inflationnistes d'origine externe.

On sait que le panier d'ancrage du dirham marocain (MAD) est plus indexé sur l'euro (80%) que sur le dollar américain (20%). Quelle serait alors la dépréciation du DH marocain par rapport au dollar et son appréciation par rapport à l'euro ?

L'éclatement de la crise grecque et les doutes qui planent sur la situation des finances espagnoles, portugaises, irlandaises ou encore italiennes poussent l'euro à se déprécier face au dollar américain. Les analystes s'attendent même à ce que la monnaie européenne retrouve son niveau de lancement, à savoir 1,18$. Le MAD s'est notablement apprécié par rapport à l'euro et déprécié par rapport au dollar américain depuis le mois de novembre 2009. La poursuite de la dépréciation de l'euro pourrait ainsi avoir un impact négatif sur le déficit de la balance commerciale marocaine. Les exportations nationales vers l'Europe vont pâtir d'un effet prix négatif, alors que les importations libellées en dollar se gonfleraient, ce qui pourrait particulièrement alourdir la facture des hydro-carburants. La dépréciation de l'euro face au dollar est quant à elle de nature à accentuer les tensions inflationnistes au niveau de la zone euro, ce qui devrait également se ressentir sur le niveau des prix au Maroc.

Les exportations marocaines on le sait ont évolué de manière négative notamment sur les branches industrielles à vocation exportatrice. Quelle analyse faites-vous à cette évolution ?

Il y a un impact inquiétant au niveau de l'emploi : le secteur de l'industrie a enregistré des pertes nettes d'emploi de 83.000 lors du quatrième trimestre 2009, avant de se reprendre légèrement au premier trimestre 2010 avec des créations nettes d'emploi de 11.000 postes. Une évolution défavorable de la demande extérieure adressée au Maroc risque de dégrader encore plus le taux de chômage, qui est passé de 9% (13,8% en milieu urbain) au quatrième trimestre 2009 à 10% (14,7% en milieu urbain) au premier trimestre 2010. Une dégradation du taux de chômage impacterait négativement la demande émanant des ménages et partant, la croissance économique. Conjuguée à une baisse du niveau des exportations, ceci creuserait encore davantage l'output gap non agricole déjà constaté par BAM au quatrième trimestre 2009.

Le Maroc a lancé une campagne pour attirer les investisseurs. Peut-on avoir une idée sur l'évolution des IDE ?

En 2009, le montant des IDE reçus par l'économie marocaine a à peine dépassé 19 milliards de dirhams, soit une baisse de plus de 31,5% par rapport à 2008, année où ils avaient déjà baissé de 26,3%. Il est vrai que le flux des IDE a connu une importante baisse de 35% à l'échelle mondiale, mais les pays méditerranéens ont globalement limité leur contre-performance à 17% seulement. La baisse des IDE pourrait s'accentuer encore davantage en 2010. En effet, la France, l'Espagne, l'Allemagne et les Emirat Arabes Unis ont été à l'origine de près de 72,5% du flux total des IDE reçus entre 2005 et 2008.

Pourriez-vous faire un focus sur les transferts des MRE et les revenus générés par le tourisme ?

Les transferts effectués par les MRE ont atteint 50,24 milliards de dirhams au terme de l'année 2009, soit une baisse de 5,34% par rapport à leur niveau de 2008. L'analyse de la structure des transferts des MRE par pays d'origine montre que la France, l'Espagne et l'Italie ont été à l'origine de plus de 68,3% des transferts entre 2005 et 2008. Outre l'impact négatif que devrait exercer la remontée du chômage qui touche les émigrés, les transferts des MRE devraient également pâtir de l'appréciation du dirham face à l'euro. Les recettes tourisme ont atteint près de 52,8 milliards de dirhams au terme de l'année 2009, soit une baisse de 4,95% par rapport à l'année 2008. La France, l'Espagne, la Grande-Bretagne et l'Italie ont été à l'origine de plus de 62% des recettes voyages entre 2005 et 2008. Malgré le durcissement de la conjoncture au niveau des pays européens, les professionnels du secteur marocains espèrent une stabilisation des revenus provenant du tourisme. Le Maroc a un avantage clé, il est la destination soleil la plus proche de l'Europe et la moins coûteuse. Il pourrait également tirer profit des problèmes du secteur touristique grec. Ce pays fait actuellement face à des annulations massives des réservations, et ce, suite aux manifestations qui ont agité le pays.

Les analystes économiques parlent du resserrement, voire de l'assèchement de la liquidité bancaire. Quelle est votre analyse ?

Si le scénario de baisse des IDE, des transferts des MRE et des recettes voyages venait à se concrétiser, ceci ne manquerait pas de resserrer encore les trésoreries bancaires. L'insuffisance moyenne des trésoreries bancaires est passée de 16,6 milliards de dirhams au quatrième trimestre 2009 à 19,2 milliards au premier trimestre 2010. Les opérations sur les avoirs extérieurs ont à elles seules induit une ponction de liquidité de 4,3 milliards de dirhams, résultant de la différence entre les achats et les cessions de devises effectués par les banques commerciales. Au terme de l'année 2009, la dette extérieure du Trésor s'est établie à 10,8% du PIB, après 9,9% une année auparavant. 76,7% de cette dette est libellé en euro et 10,5% en dollar. L'appréciation du dirham face à l'euro devrait donc occasionner une baisse des charges du service de la dette en général. Mais l'effet de l'appréciation du dirham face à l'euro pourrait s'estomper si les taux d'intérêt à l'échelle internationale venaient à augmenter, étant donné que 42,3% de la dette extérieure du Trésor sont contractés à des taux flottants.
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